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Le souffleur : entretien chez Monsieur Taupe

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Actualité
16 janvier 2017
Le souffleur : entretien chez Monsieur Taupe

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Qui est ce Monsieur Taupe ? Si les inconditionnels de Richard Strauss l’auront tout de suite reconnu, ce nom pour le moins étonnant mérite explication. Monsieur Taupe est, dans une optique platonicienne, l’essence éternelle et immuable d’un métier auquel nous voudrions nous intéresser dans cette interview : le souffleur. Etant donné que le portrait brossé par Strauss et Krauss dans Capriccio n’est guère élogieux, nous nous sommes sentis dans l’obligation de réparer le mal qui a été causé. C’est pourquoi  nous avons voulu rencontrer Mario Pasquariello, chef du département des maestri suggeritori à l’Opéra de Vienne l’été dernier.


Afin de commencer, pourriez vous définir la mission d’un souffleur en quelques phrases ?

Nous avons pour fonction d’assurer le lien entre les musiciens et le chef dans la fosse d’orchestre et les chanteurs et le chœur sur le plateau. Lors d’une représentation, nous tentons donc de mieux transmettre les intentions du chef aux chanteurs. Nous sommes en quelque sorte un pont entre l’orchestre et la scène. Afin de nous faire comprendre des chanteurs, nous communiquons avec des gestes simples: impulsions, levées et bien sûr annonce du texte. 

Pour être tout à fait exact, vous n’êtes pas souffleur, mais maestro suggeritore. Pouvez vous expliquer cette différence ?

Elle est assez minime mais il peut être utile de la mentionner. Un souffleur existe dans d’autres domaines que celui de la musique, comme par exemple le théâtre. La différence entre un souffleur et un maestro suggeritore est que ce dernier doit disposer en plus de solides compétences musicales: lecture à vue, piano, direction d’orchestre ou de chœur et technique vocale. A cela s’ajoute bien entendu une maîtrise de plusieurs langues, ou au moins de leur prononciation. En effet, nous sommes amenés à souffler dans toutes les langues du répertoire et le fait d’être italien ne doit pas m’empêcher de souffler en russe, en tchèque ou en anglais si la saison le requiert. 

Les qualités que vous venez de citer ressemblent beaucoup à celles d’un chef de chant. Existe-t-il des passerelles entre ces deux métiers ?

Il n’est en effet pas rare que certains musiciens possèdent cette double casquette du souffleur et du chef de chant. Prenez l’exemple d’Istvan Cserjan, un des maestri suggeritori les plus renommés de son temps, et qui travaillait à l’Opéra de Vienne juste avant mon arrivée. Son activité principale de souffleur ne l’empêchait pas d’accompagner les chanteurs solistes pour des séances de travail et de leur donner de précieux conseils de prononciation. Si le lien entre ces deux disciplines n’est pas automatique, il n’est pas invraisemblable non plus.

Nous avons parlé de vos compétences, existe-t-il un parcours privilégié pour devenir souffleur ?

Malheureusement, aucun conservatoire ne propose de filière dédiée à l’apprentissage de notre métier. C’est d’autant plus dommage que souvent, les étudiants en musique ignorent les enjeux (voire l’existence même) de la profession. Ainsi, un apprenti chef d’orchestre n’a parfois jamais entendu parler de nous durant la totalité de son cursus, pensant qu’il ne s’agit que d’une sorte de garde-fou pour les chanteurs. Il est inutile de préciser que c’est un peu plus compliqué que cela, et que la complexité de notre métier pourrait tout aussi bien intéresser ces jeunes chefs d’orchestre. Par ailleurs, je pense que tout étudiant en direction d’orchestre devrait se « faire les dents » au moins en tant que chef-de-chant, afin de mieux comprendre les enjeux spécifiques du lyrique et de la scène.
C’est pour cette raison que je suis d’avis qu’une formation spéciale ou au moins une classe devrait être créée dans une Hochschule allemande ou dans un conservatoire en France, afin que les musiciens se rendent compte de la nécessité de notre présence.
Cependant, j’ai l’impression que cette prise de conscience est en train de s’opérer progressivement. En témoigne le nombre croissant d’interviews que j’ai dû donner ces dernières années. Il est je pense le reflet d’un regain d’intérêt pour cette discipline qui sort peu à peu de l’ombre.

Venons-en à votre rôle durant la représentation, comment le percevez-vous ?

Etant donné que nous sommes placés tout au devant de la scène, nous sommes dans une position idéale pour percevoir, voire même anticiper les erreurs des chanteurs sur la scène. Ainsi, si un chanteur n’est pas sûr de son texte ou de son départ lors d’un passage confus dans la partition, un rapide regard vers le trou du souffleur lui suffit pour que nous lui indiquions un temps ou un demi-temps en avance la première syllabe de son texte en rythme. Bien entendu, tout l’art du métier réside dans la capacité à souffler de manière la plus claire et perceptible pour le chanteur mais sans être remarqué par le public. Dans quelques très rares cas, nous corrigeons l’intonation d’un chanteur en lui donnant sa note de départ, mais pour des raisons évidentes de rendu sonore pour les spectateurs, il s’agit vraiment d’un dernier recours.
Nous intervenons également lorsque le chœur se situe un peu trop loin du chef, par exemple dans le fond de la scène. C’était le cas dans la dernière production de Turandot [en mai 2016 dans la régie de M. A. Marelli ndlr], où le chœur se plaignait régulièrement de ne pas bien voir le chef depuis les sièges placés à l’arrière du décor. De plus, vous imaginez bien qu’un chœur de quatre-vingt personnes possède une certaine inertie, et que pour la contrer, un souffleur n’est jamais de trop. Dans de tels cas, nous assurons la cohésion rythmique des passages les plus corsés et tentons de rattraper les éventuelles erreurs.

Peut-on dire que dans votre métier, vous vous réjouissez des erreurs des autres ?

Pas vraiment, car notre but réside justement dans l’anticipation de ces erreurs. C’est pour cela que la communication entre les chanteurs et nous est primordiale. Les solistes doivent savoir que nous sommes là pour eux en cas de problème ou d’insécurité, et c’est lorsque cette confiance mutuelle entre le chanteur et le souffleur s’instaure que nous pouvons prévenir ces petits accidents qui émaillent une représentation.

N’êtes-vous alors pas moins utile lors de productions au temps de répétitions plus généreux ?

Ici encore, la réponse doit être nuancée. Il est vrai que la probabilité pour un chanteur de se tromper dans son texte ou dans son départ diminue avec le nombre de répétitions. Cependant, notre tâche ne se limite pas à réparer ou prévenir les erreurs, car nous assurons aussi une cohérence organique de la musique en renforçant le lien entre la scène et la fosse d’orchestre. Si un chef veut pouvoir se concentrer sur l’orchestre dans certains passage, il sait qu’il possède une phalange supplémentaire qui prendra en charge les départs sur la scène. Viennent enfin les aléas de la scène ou l’inertie du chœur dont nous parlions tout à l’heure: ce sont des éléments qui peuvent rapidement perturber le bon déroulement musical tel qu’éprouvé en répétitions.

Dans une maison au répertoire aussi riche que l’Opéra de Vienne, comment distribuez-vous la charge de travail entre souffleurs ?

Il est vrai qu’avec plus de 200 représentations d’opéra par an, nous sommes obligés de répartir les services avec soin. Nous sommes quatre souffleurs à la Wiener Staatsoper, mais je ne vous cache pas que nous avons parfois du mal à tenir ce rythme très soutenu. Pour ma part, j’occupe la loge du souffleur pour à peu près soixante représentations par an. Ajoutez à cela les répétitions et le casse-tête est infernal. Même si le temps de préparation s’est allongé ces dernières années, il n’est pas rare qu’un chef d’orchestre n’arrive que pour les dernières répétitions, laissant la direction de toutes les autres aux souffleurs. Pour notre tournée au Japon [en octobre 2016], nous avons été ainsi obligés d’engager un de nos anciens collègues, afin de pouvoir assurer le roulement des représentations malgré l’absence d’une partie du personnel.
Enfin, nous devons en même temps s’adapter au répertoire changeant de notre maison, en apprenant toutes les nouvelles œuvres. Pour cela, nous étudions la partition au piano, avec des enregistrements et passons beaucoup de temps à travailler sur notre prononciation du texte. L’idéal serait bien entendu que chaque souffleur se spécialise dans une langue ou dans un répertoire qu’il maitrise mieux que les autres, mais le manque d’effectifs ne nous permet pas cela pour le moment. 

Pour finir, quelles sont les grandes satisfactions que vous apporte votre métier ?

Je dirais que c’est l’atmosphère collective de travail qui assure avant tout la réussite d’une production. Prenez nos derniers nouveaux spectacles de la saison 2015-2016 : L’affaire Makropoulos de Janaček et Trois Sœurs de Eötvös. Toutes les équipes ont fait preuve à la fois de sérieux et de bonne humeur, et c’est lorsqu’une telle synergie entre chanteurs, chef d’orchestre, musiciens et équipe scénique s’installe que naissent de beaux souvenirs de productions.

Propos recueillis le 27 mai 2016

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