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Don Bucefalo, l’opéra bouffe italien après Don Pasquale

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Dossier
14 décembre 2009

Infos sur l’œuvre

Détails

Don Bucefalo, Martina Franca, aôut 2008 © DR

Le « Festival della Valle d’Itria », qui représente dans la cour du Palais ducal de Martina Franca des opéras rarement donnés ou franchement oubliés, a proposé en 2008 le Don Bucefalo de Antonio Cagnoni, un ouvrage fort populaire à son époque. La publication par la firme Dynamic d’un enregistrement de ces représentations est l’occasion de se pencher sur une intrigue gentiment parodique de la composition d’un opéra, mais surtout de découvrir une musique délicieuse rappelant qu’il existe un opéra bouffe italien après Don Pasquale.

Nous considérerons plus en détail la vie et les oeuvres d’Antonio Cagnoni, lors d’une prochaine étude consacrée à son ultime opéra, Re Lear, édité mais jamais représenté, et que le même festival vient de créer en cet été 2009.

A lire aussi : la critique de l’enregistrement CD des représentations de Martina Franca (Dynamic)

 

 

Antonio Cagnoni (1828-1896) entre au conservatoire de Milan en 1842, alors que le Romantisme flamboie encore, mais d’une manière plus sentimentale, avec la Linda di Chamounix, tout nouvellement composée par Donizetti. Cagnoni a pour compagnons d’études Amilcare Ponchielli et Giovanni Bottesini, illustre violoncelliste, passé à la postérité plus pour ses fantaisies d’après d’autres maestri, que pour ses propres compositions, pourtant notables. Il se fait remarquer, n’étant encore qu’élève, composant lors de sa troisième année d’études l’opéra « semiserio » Rosalia di San Miniato, créé au conservatoire en 1845, comme les deux opéras qui devaient suivre, I Due Savoiardi (1846), également du genre semiserio, et enfin ce Don Bucefalo, « dramma giocoso » donné le 28 juin 1847 et appelé à devenir l’ouvrage le plus populaire de son auteur… alors âgé de dix-neuf ans ! Quinze opéras devaient suivre, alternant les genres mais comportant toutefois plus de compositions relevant de l’opéra bouffe, comme ces deux autres succès, Michele Perrin (1864) et Papà Martin (1871).

 

La caricature rançonnant le succès populaire, ou au moins la notoriété, on découvre dans un beau volume consacré à l’opéra italien et offert aux lecteurs du Corriere della Sera à l’orée du XXe siècle, un portrait de la basse Alessandro Bottero, en costume de Don Bucefalo : une grosse tête disproportionnée mais au visage souriant et débonnaire, la canne dans une main et le chapeau dans l’autre. Le commentaire explique comme la basse Bottero, « déjà alors un chanteur célèbre, fit de Don Bucefalo une telle magnifique figure, au point de rendre populaire le nom du maestro, l’associant au sien, déjà fort connu. »

Quant au nom, cette fois, du personnage principal, précisons que « Bucefalo » désigne comme le français Bucéphale, le cheval que seul Alexandre-le-Grand sut dompter. Il existe d’autre part dans les deux langues, un sens figuré et ironique, de « rosse » pour un mauvais ou vieux cheval ! L’allusion n’est peut-être pas voulue… mais il appartiendra au lecteur de déterminer à la fin de notre promenade dans cet aimable opéra bouffe, si ce Don Bucefalo, maestro alliant volontiers la musique à la recherche de l’aventure, n’était au fond, pas un mauvais cheval

  

 

Don Bucefalo

 

« Dramma giocoso » en trois Parties et six tableaux de Calisto Bassi

Musique du Maestro Antonio Cagnoni

 

 

L’action se déroule à Frascati, près de Rome

 

Première Partie [41mn. 08]

 

Une place à la campagne.

D’un côté, la maison de Rosa ; de l’autre, celle de Don Marco. Don Bucefalo est en train de prendre une collation au café ; Agata et Giannetta sont assises un peu plus loin. Les paysans et les paysannes entrent en scène.

 

Coro  d’Introduzione. Des accords rebattus à l’orchestre semblent introduire un opera seria mais une lumineuse vivacité nous rappelle bientôt qu’il s’agit d’un opéra d’esprit comique. Comme s’il voulait rendre hommage à son illustre contemporain, le bon Maestro Cagnoni nous accueille avec un choeur à la saveur toute donizettienne : on se croirait dans la distillerie de L’Elisir d’amore ! A propos de boisson alcoolisée, voici que les paysans enjoués se disposent à commencer les vendanges, car rappelons-nous que cette campagne romaine produit l’un des vins blancs les plus célèbres et généreux d’Italie : le frascati !

 

Aria buffa Don Bucefalo. Entendant ces chants bucoliques, Don Bucefalo (basse bouffe) bondit d’enthousiasme à cause de la qualité des voix, et de ces mélodies que l’on ne trouve pas en ville ! Il les interpelle, leur déclare qu’ils sont faits pour la scène et devraient profiter de la présence au village d’un maestro di cappella (lui !).

Ils lui répondent avec un réalisme touchant de candeur : « Ah ! signor, non c’illudete ! » : Ah ! monsieur, ne nous bercez pas d’illusions ! Il commence alors un air-catalogue sur fond d’une mélodie orchestrale pimpante, un peu à la Rossini. Que de pays les acclameront, que de cadeaux somptueux !… Les paysans émerveillés lui demandent s’il ne plaisante pas… puis, lui demandant des leçons de chant, ils participent à une cabalette plus vive encore, mais au parfum donizettien cette fois.

 

Aria Rosa [Cavatine I]. Alors que tous les paysans sont sortis à la suite de Don Bucefalo, une gracieuse musique introduit un nouveau personnage, Rosa (soprano) qui sort de sa maison et chante aussitôt une cavatine à la musique posée et délicatement ornée de vocalises. Elle y commente sa satisfaction d’être la plus belle du village, celle qui chante le mieux et qui se trouve la plus courtisée… On en oublie que son mari, parti soldat, n’est plus revenu.

Quelques mesures de récitatif nous révèlent son souhait : si elle pouvait étudier la musique elle pourrait alors répondre à l’amour du « povero Contino », ce pauvre jeune comte ardent de l’épouser. [Cavatine II] L’orchestre soupire alors un motif mélancolique : cette cavatine n°2 est l’expression de son tendre sentiment pour le comte, mais elle se garde de le lui montrer, car en tant que veuve, il lui faut du calme et de la réflexion. [Cabalette] Une musique plus enjouée sourit alors à l’orchestre : une charmante cabalette exprime son espoir de réussir par l’étude à devenir, de respectée qu’elle est déjà, enviée cette fois, et alors seulement par son art, elle méritera « la couronne », la main du comte.

 

Scena e Cavatina Conte. L’orchestre fait entendre un intermède où les volutes de la clarinette évoquent comme une interrogation. Entre le comte di Belprato (ténor), la scena nous apprend l’étendue de son amour pour Rosa, mais également l’opposition de sa famille ne voulant pas entendre parler de mariage avec elle. La cavatine, délicatement veinée de mélancolie, commence par des paroles éloquentes :

« Io l’adoro, e nel suo sguardo

Norma e vita ha il mio pensiero »

(Je l’adore, et dans son regard, / Ma pensée trouve norme et vie)

C’est la plainte de l’inutilité de ses larmes : Rosa est toujours plus sévère et il doit respecter la vertu de sa contenance.

 

Recitativo secco. On est en effet surpris de l’entendre, encore en 1847, alors que l’opera seria l’a banni (avec bonheur) depuis longtemps déjà. On entend, depuis le café, la voix de Don Bucefalo qui rassure les jeunes femmes, Rosa et Agata (sop.). Il est persuadé qu’elles apprendront vite, malgré les doutes de Rosa déclarant qu’elles ne savent rien de musique puis concluant avec une jolie fraîcheur de bon sens : « Nous chantons… parce que nous chantons ! »

— Et le maestro, réplique Don Bucefalo, il est ici pour rien ? ». Il conclut : « Dans notre siècle, / Celui qui sait solfier un peu, / Trouve pour débuter immédiatement un lieu. » Il a des ordres de mission d’Espagne, de France et d’Allemagne et les fera engager ! Impressionné, le comte s’avance et déclare « chanter le ténor », comme on dit en italien, Don Bucefalo lui trouvera aussi un engagement ! Tandis qu’il s’entretient avec Agata, on voit le comte déclarer à Rosa qu’il mourrait si elle partait ainsi de scène en scène… Voyant cet a parte, Don Bucefalo abandonne subitement Agata et dit à Rosa qu’un de ses élèves possédant un clavecin à Frascati, il va le faire venir chez Rosa. Agata se dresse alors : pourquoi pas dans sa maison ? Don Bucefalo note à part qu’elles commencent à se disputer, alors qu’elles doivent à peine apprendre « Dov’abita di casa alamiré ! » : Dans quel logement habite ré-mi-sol-fa, le solfège, en quelque sorte ! « Tu ne sais pas te mouvoir », lance Rosa  — Le « poeta » (le librettiste) me l’enseignera », riposte Agata.

 

Quartetto. Non encore débutants, ces chanteurs révèlent pourtant une belle détermination ! Si elle se trompe dans l’air, dit Rosa, puisqu’elle a une voix « buona e bella », c’est que le « maestro di cappella » (c’est-à-dire le compositeur) s’est trompé lui-même. « Si je ne plais pas », annonce le comte, non plus timide, Je donnerai la faute / Au poeta et au maestro. », à coup sûr, l’inspiration leur a fait défaut ! Don Bucefalo commente alors : « Et tandis que superbes, / Vous vous déplacerez entre les décors, / Poveretto l’impresario / in rovina se ne andrà : le pauvre vieil entrepreneur de spectacles s’en ira à la ruine. » Ici Cagnoni a la bonne idée d’appuyer cette triste constatation, de traits de violoncelles mélancoliques, tout juste appuyés, afin de croire au malheur de l’impresario, mais néanmoins un peu ironiques ! De même, on remarquera le gracieux tissu orchestral enjoué, accompagnant les démonstrations de ces messieurs-dames, car ils s’en donnent à présent à cœur joie ! Don Bucefalo, exaspéré, se met aussi à la vocalise, pour les réprimander. Chacun veut maintenant montrer son trille, puis à nouveau son falsetto… [Stretta finale Quartetto] le rythme s’accélère dans une vivacité verdienne, plus évidente et manifeste, vers une facilité de motif annonçant l’allant, les rythmes de l’opérette…

 

Recitativo secco. Deux nouveaux personnages font leur entrée, Carlino (ténor) prenant à partie Don Marco (baryton) à propos de Rosa car son époux, mort en Espagne, lui a donné procuration pour veiller sur Rosa. Rassuré, Don Marco s‘explique : il aime Rosa qui l’aime également et si ce « procurateur » veut bien arranger les choses et aider au mariage, D. Marco lui offrira deux chevaux. Carlino remarque entre ses dents : « Quelle hâte a celui-là de se faire tuer ! », ce qui nous confirme qu’il est lui-même le mari de Rosa.

En attendant, les bruits de la leçon de chant sortant de sa maison l’intriguent fortement… « Ouvre la bouche et fais comme je fais moi-même. », commande Don Bucefalo. Docilement, Rosa répond : « Oui, oui, maestro mio. » Carlino s’étonne de plus en plus… le comte survient sur ces entrefaites et voilà que Rosa déclare au maestro qu’elle veut aller chanter l’air dans la rue, pour faire envie à Agata et à Giannetta.

 

Finale Primo [a) Ensemble-répétition de l’Arietta]. La mélodie commence, linéaire et au texte fort convenu de la métaphore devenue cliché, du cœur en dérive tel le bateau près du naufrage. Sans honte, Rosa demande aux autres de faire le rôle de la contrebasse et ils s’exécutent, avec force « zun-zun » (prononcer « dzounn »). Le livret ne précise rien en ce qui concerne Carlino mais il est évident qu’elle ne l’aperçoit pas. L’exécution de Rosa semble correcte mais ne satisfait pas le maestro qui la reprend d’une tout autre manière : « Tu as suivi la mode / Et la mode ne me va pas. » Alors que Rosa avait adopté une manière de faire à la brillance rossinienne, il l’exécute pour sa part, avec une chaleureuse souplesse, une élasticité toutes donizettiennes !  Le chant trouve un écho dans la jalousie de Carlino et de Don Marco, et l’agacement d’Agata, déclarant qu’elle peut chanter aussi bien, et d’ailleurs elle s’exécute. Don Bucefalo préfère Rosa, tandis que Giannetta veut chanter à son tour ! Don Bucefalo n’est pas plutôt remis de l’étonnement de voir tant de monde profiter de ses leçons, que le comte reprend à son tour l’arietta… Il a vite fait de déchanter, si l’on peut dire, car chacun n’en faisant qu’à sa tête, massacre l’air, et le rythme s’accélère… quand Carlino menace de deux balles de pistolet dans la gorge, celui qui s’intéresse un peu trop à son épouse.

Le livret ne signale pas de coup de feu mais on l’entend à Martina Franca, ce qui rend plus logique la fin de la confusion, exactement comme à l’arrivée de « la forza » dans le Finale primo de Il Barbiere di Siviglia. Carlino ordonne à tous de ne plus bouger ni parler. [b)] La stretta du Finale débute alors, en crescendo qui plus est : Rosa veut poursuivre la leçon, Carlino tente de réfréner sa fureur et les autres remarquent qu’il a beau être soldat, cela ne justife pas son attitude grossière (Rosa, apparemment, ne le reconnaît toujours pas). Don Marco, quant à lui, se voyant supplanté par le maestro, promet une belle vengeance. Le rythme s’accélère encore pour des cadences à toute allure, couronnées enfin, par une retentissante charge orchestrale, vibrante des timbales qui roulent, dans une sympathique grandiloquence mise à la mode par le Romantisme, mais dramatique tout de même ! Le rideau tombe.

 

 

Deuxième Partie [28mn. 50]

 

Premier tableau : Un lieu entouré d’un enclos, près du village.

Des paysans vêtus d’habits caricaturaux apportent quelques instruments à cordes, des sistres, des cymbales etc. ; par la suite les femmes du village.

 

Coro. L’orchestre prélude puis énonce en tempo di valse le motif du chœur. Les paysans s’apprêtent à répéter « la canzonetta » en ce lieu à l’écart du village. Cette réunion en secret s’explique peut-être par les paroles de la chansonnette en question, invoquant sur un rythme hispanisant la « nuit amie » afin qu’elle apporte la joie au coeur de celui qui s’est consumé en prières d’amour… Mais voici que surviennentles femmes du village, déclarant avoir tout entendu ! A la question d’appréciation posée par les paysans, elles répondent : « voi siete tanti cani ! vous êtes tous des chiens ». Le terme italien, non injurieux comme en français, se trouve être néanmoins la pire qualification négative pour un chanteur… (on remarque curieusement que le nom de Cagnoni signifie « gros/grands chiens » !). Les paysannes s’expliquent : « Les paroles ne sont pas exprimées ! / Il n’y a pas d’accentuation !… » Elles vont évidemment leur montrer comment il faut s’y prendre. Mais alors, il y a de la triche! pour reprendre l’expression populaire, car le changement n’est pas dans l’accentuation des paroles, Cagnoni modifie en effet la musique ! Le rythme espagnol est délaissé et la chanson se fait plus sentimentale : la clarinette dessine les accords ondoyants mélancoliques typiques du Romantisme, la flûte s’épanouit, les violons se font fervents. Les paysannes commencent une chaleureuse mélodie. Les hommes ne cachent pas leur admiration, le rythme s’accélère et le morceau arrive à sa conclusion.

 

Deuxième tableau : La pièce de Don Bucefalo, avec un piano, des chaises etc.

 

Preludio. Un prélude semble refléter la perplexité qui étreint Don Bucefalo entrant, des feuillets à la main, comme si l’inspiration lui faisait défaut. Deux motifs principaux passent à l’orchestre : la flûte esquisse le choeur « très Elisir » du début de l’opéra, et d’autres motifs dont la canzonetta à peine entendue… On dirait que Cagnoni, en citant ses belles mélodies, se moque précisément du pauvre Bucefalo s’en prenant justement à son « ingrata fantasia », son ingrate imagination. La didascalie nous précise aussi qu’il survient, l’air méditatif, « l’esprit rempli des impressions ressenties dans ses rencontres avec les jeunes paysannes » ! de quoi perdre la fantasia musicale, justement ! Découragé, il jette les feuillets.

Recitativo secco / Scena ed Aria della creazione. On entend Don Bucefalo répéter, puis déclamer le texte qui devrait l’inspirer… Un texte évidemment lourd de sens, avec l’immanquable « barbaro dolor » qui bien sûr « delirar mi fa », fleur de la librettistique italienne, de Felice Romani à Salvatore Cammarano ! Don Bucefalo finit même par chanter le prmeier vers, d’une voix de fausset amusant le public et du reste peut-être voulue et notée ainsi par Cagnoni.

On assiste alors à la création, à la pure composition d’un air, dans son orchestration, avec la naissance de la conception de tel ou tel instrument à employer dans tel ou tel passage, selon les paroles. L’orchestre réel intervient évidemment lorsque le maestro évoque le traitement qu’il réserve aux divers instruments, mais avec une exagération comique, comme si Cagnoni se moquait gentiment des propres moyens d’expression de son époque. La Scena est originalement menée, laissant intervenir le clavecin alternant avec les instruments de l’orchestre. Finalement, Don Bucefalo se lance dans un air vif et pétulant, décrivant la composition de l’orchestration, avec les effets d’instruments à mesure qu’il les conçoit ! Il s’emballe d’enthousiasme, demande excuse au passage, à ses « Classiques » auxquels il emprunte consciemment ces « terzine », triolets qui lui plaisent trop ! Parvenu à l’apothéose finale, il évoque même les Bravo! et les Bis! Bis! qui ne manqueront pas d’accueillir cette géniale cavatine.

 

Troisième tableau : Une pièce dans la maison de Rosa.

 

Finale Secondo. [a) Romanza-Duettino-Terzettino-Quartetto] L’orchestre prélude délicatement puis commence aussitôt les typiques harpèges ondoyants romantiques des violons : c’est une jolie romance répétée par Rosa, triste de ne plus recevoir de leçons à cause de l’envie, du mal qu’on a pu dire d’elle peut-être… Survient Don Bucefalo, frétillant à l’idée de farie étudier par Rosa « questo fior di cavatina », cette quintessence de cavatine qu’il vient de composer. Les paroles que chacun dit à part nous renseignent : Rosa aperçoit le maestro et dit « (A présent je vais faire la folle / Et je me mets à chanter là.) » Don Bucefalo utilise une vieille métaphore mais se plaçant curieusement dans l’être le plus faible : « (La chatte s’est aperçue / Que le souriceau se trouve ici.) »

Don Marco appelle au dehors et la panique saisissant maître et élève est significative ; Don Bucefalo aperçoit une tonneau et s’y glisse !

Sur une musique orchestrale pimpante au possible, Don Marco Bomba, comme son nom semble l’évoquer, n’y va pas par quatre chemins lorsque Rosa lui demande ce qu’il veut, et répond : « amore ! » Rosa est scandalisée et Don Bucefalo se voit déjà, selon sa plaisante expression, porter « e la torcia ed il lampione », c’est-à-dire tenir la chandelle !

Sur ces entrefaites Carlino, le soldat, frappe et c’est au tour de Don Marco de se montrer ennuyé : il se glisse dans le corps d’une horloge, tandis que Don Bucefalo, ironique remarque que « Ici, la liste des émules / Est toujours en train d’augmenter. » Personne d’autre n’aura besoin de se cacher en fait et du reste Carlino ne soupçonne que la présence du maestro. Rosa adopte une attitude digne et un moment de quatuor s’ensuit, toujours sur le motif pimpant à l’orchestre.

Le rythme change à l’entrée des autres personnages et Agata et le choeur semblent bien informés pusiqu’ils décalrent que Don Marco et le maestro sont cachés ici… Indigné, Carlino veut se venger sur le clavecin, mais Don Bucefalo s’interpose ! il demande pitié pour l’instrument… et pour lui, puis détournant habilement l’attention, déclare ne pas être le seul caché ici ; un Don Marco apeuré sort de l’horloge —confusion générale.

[b) Scena e gran Pezzo concertato « Per causa d’una femmina »]. On imagine les sentiments contrastés animant les différents personnages et Cagnoni unit tout cela en un admirable morceau d’ensemble, tragi-comique, avec la lente montée d’une admirable grande phrase lyrique vers un point culminant, tout de chaleur donizettienne extatique, retouchée d’« évidence directe » à la Verdi. Là se met en place le miracle de l’opéra bouffe romantique italien : la musique de l’ensemble atteint à une ampleur, à un pathos d’opéra serieux !

[c) Scena e Stretta finale] Rosa s’indigne et interroge en vertu de quoi Carlino se mêle de faire la loi chez elle, il prétexte alors de devoir maintenir l’ordre, en tant que… soldat. La tension croît à l’orchestre qui se lance dans une folle phrase ascendante. Sur un chant syncopé ou syllabique à la Rossini, chacun a beau avancer des excuses, Carlino veut apprendre à vivre « à ces vieux malotrus ». Le comte l’encourage du reste à sévir, tandis que les femmes, toujours impitoyables entre elles, sont plutôt contentes de ce qui arrive à Rosa. Les hommes quant à eux appellent les coups sur le musicien « qui a soulevé les femmes » et sur Don Marco qui lui sert de second ! et enjoignent le militaire à n’éprouver aucune compassion. Non plus de crescendo rossinien, pour motif principal de cette stretta : Cagnoni, comme s’il composait un opéra sérieux, imagine une irrésistible phrase plaintive, chaleureuse au possible et mélancolique comme l’on en composait à l’époque, et assumant les regrets et amertumes des personnages. Quelques cadences conclusives traditionnelles et une charge orchestrale presque trop sobre, vu le style général, termine ce beau Finale Secondo.

 

 

Troisième Partie [37mn. 06]

 

Premier tableau : La place comme au premier acte.

 

Recitativo secco. Don Marco est décidé à faire une répétition « a piena orchestra » et a déjà envoyé deux voitures chercher à Rome les meilleurs instrumentistes. Il a même prévu un habit pour Don Bucefalo, afin qu’il fasse son propre effet ! et lorsque ce dernier lui confie qu’il manque un « primo basso », Don Marco veut s’en charger. « Ils vont te tuer. », réplique le maestro, mais Don Marco précise clairement sa pensée : « Moi, je dépense l’argent et je veux m’amuser. » et envoie Don Bucefalo procéder aux préparatifs au Théâtre.

 

Scena e Romanza Agata. Agata est bien triste, elle possède autant de qualités vocales que Rosa mais personne ne la considère et n’a d’yeux que pour Rosa. C’est trop de souffrance… Les violons ondoient dans le typique mouvement d’accompagnement romantique et commence alors la tendre et touchante Romanza. Seul l’amour peut la consoler et la faire vivre, s’il consent à entendre ses lamentations, sinon elle préfère mourir.

 

Scena e Duetto Conte-Rosa. [a) scena et début du duo] Le Contino soupire d’amour pour Rosa qui lui répond avec une charmante vivacité, un peu moqueuse mais empreinte de chaleur donizettienne. La réplique passionnée du comte protestant de sa sincérité, ondoie sur le rythme de valse tant aimé par l’opéra romantique italien, délicieuse réponse avec ses savoureux ralentissements à la Donizetti, et ses traits sentimentaux de violoncelles soulignant la voix lorsque la passion s’enflamme. On peut alors se poser alors la question : élément parodique voulu par Cagnoni ? ou se laisse-t-il sincèrement emporté par la situation ? peu importe, le délice de l’auditeur est clair, lui !

Rosa entre dans la valse et lui répond sur le même rythme.

La Stretta finale change de rythme et adopte ce typique « halètement verdien » des cordes. Le comte donnerait tous les trésors afin de pouvoir la conduire à l’autel, la rendre heureuse. Prudente, Rosa répond qu’elle lui accorde l’espoir mais sans lui donner son coeur… Lui résister signifie résister à l’élan musical verdiano-donizettien si bien rendu par Cagnoni et c’est impossible ! …sauf pour l’honnête Rosa.

 

Second tableau : La scène du Théâtre de Frascati en désordre.

Don Bucefalo entre et complimente les musiciens de l’orchestre ;

ensuite tous les autres personnages ; enfin, Carlino.

 

Recitativo secco e Prova d’orchestra. Don Bucefalo s’adresse aux « professori d’orchestra », nom italien des instrumentistes (en français le nom de professeur est réservé à une seule… profession !). Il leur fait ses recommandations : respecter surtout les crescendi les smorzati mais s’ils voulaient bien auparavant s’accorder un peu… Et l’orchestre de s’accorder copieusement, pompeusement même !

La Sinfonia, l’ouverture, commence, apparemment bien exécutée, charmant morceau pétulant, mais toujours avec cette chaleur venue corriger le style rossinien vers 1830. Le bon Don Bucefalo se répand en onomatopées sympatiques imitant de manière comique les sonorités des instruments que l’on entend du reste réagir ! Emu de satisfaction, Don Bucefalo s’écrie : « Non, même un Rossini / Ne sait faire plus belle sinfonia. », et tous le complimentent sur l’inspiration du morceau.

 

Recitativo secco e Prova Marcia trionfale. Le bon Don Bucefalo remercie et renvoie le compliment, déclarant qu’ils sont tous pour lui, des « professoroni » ! Les personnages sont arrivés, prêts à commencer la répétition de l’opéra… mais il manque le « suggeritore », nom italien du souffleur, et manque aussi le poeta, le librettiste… N’importe, Don Bucefalo est prêt à tout faire !

Une sonnerie de trompettes retentit, la marche triomphale sonne romaine, sèche et pompeuse (comme dans tant d’opéras des siècles précédents où régnait la mode des sujets antiques) et d’une manière caricaturale, mais curieusement se change en une souple marche élégante et chaleureuse à la Donizetti. Don Bucefalo bat la mesure pour les choristes « qui, selon la didascalie, entrent avec une gravité ridicule, armés de lances et de boucliers ; ensuite les femmes avec des rameaux de laurier pour les guerriers. »

Le choeur reprend fièrement la marche, sur un texte rempli de clichés de retours guerriers (en l’occurrence Ezio -Aetius- contre Attila), mais lorsque le choeur féminin s’ajoute, on est touché de la chaleureuse musicalité de leur partie, évoquant l’émotion véritable de passages similaires et sérieux, cette fois, comme dans La Vestale de Mercadante.

 

Prova Aria di Ezio (Don Marco). Don Bucefalo, remplissant le rôle du poeta, alors metteur en scène (ô époque de rêve !…), saisit un choriste et le pousse sur une espèce de trône afin de représenter ainsi l’empereur Valentiniano… mais Don Marco-Ezio, qui n’en finit pas de vocaliser sur une même interminable syllabe, comprend mal les paroles, et les « gelidi Trioni »,les deux Ourses glacées (­il fallait déjà aller chercher l’image !)deviennent « cefali e storioni »,les poissons mulets et esturgeons ! On voit ainsi que laparodie est également littéraire. Don Marco répétant toujours mal ce que lui souffle le… souffleur, « le minacce e i lamenti »deviennent « li spinaci e le lenti »: les épinards et les lentilles… Il parvient à une telle salade —le mot n’est pas trop fort car il insiste avec ses spinaci auxquels il ajoute même des olives— que Don Bucefalo le fait cesser et asseoir, afin qu’il étudie encore. Du coup le choeur s’élance : « Gloria ad Ezio !…. », alors que son tour n’est pas venu, provoquant cette fois l’irritation du maestro, mais il se ressaisit pour répéter l’aria de Onoria : le comte conduit pour cela Rosa sur le devant de la scène…

 

Finale Terzo. [a) Scena e Pezzo concertato] C’est alors que l’orchestre —le vrai, celui de l’opéra de Cagnoni !— attaque une phrase ascendante : Carlino survient, furieux, se plante devant Rosa et enlève ses fausses moustaches…  ayant jusqu’ici, apparemment suffi à la tromper ! La réaction de chacun mérite une analyse : alors que la stupeur est générale, Agata et Giannetta se frottent les mains pour ainsi dire : « Il apparaît à point nommé pour châtier la superbe femme. » Quant à Bucefalo, Marco et le comte, leur texte commun, dit à part, nous renseigne sur leurs vues à propos de Rosa : « (Son mari !… Il paraît ici, et doit aller à ma place.) »

Tout est suspendu, comme après un coup de théâtre conduisant à un ensemble concertant.

« Son rimasta senza fiato : je suis restée le souffle coupé », commence Rosa ; combien d’opéras utilisèrent cette réplique !

Il est intéressant de noter au point de vue du texte, que la satisfaction des jalouses continue, et que Don Marco et le comte confirment l’évanouissement de leur « projet », mais Don Bucefalo n’affiche pas la même déception qu’eux. Ils s’adresse aux musiciens et voyant « que les événement s’embrouillent », il les prie d’attendre dehors.

Musicalement, l’ensemble a cappella se situe à mi-chemin entre l’utilisation pure, et la caricature d’une telle manière de faire si habituelle à l’opéra bouffe. [b) Scena] Rosa s’explique : si elle badina avec Don Marco, le Contino et le maestro, « ce fut une plaisanterie… une folie… / Ce ne fut pas le désir de mal faire. » Les trois nommés assurent Carlino qu’il s’agissait bien d’une plaisanterie et lorsqu’il objecte : « Mais en attendant !… », Rosa répond qu’on le disait mort, il riposte : « Mais je suis de retour ! ­—Et le Ciel t’a fait revenir », s’écrie Rosa en s’élançant dans ses bras.

Don Bucefalo paraît sincèrement satisfait :

« Bravi ! Bravi ! à merveille,

Je suis content vraiment.

Voici en paix une famille,

Voici tant de gens sauvés.

Allez, Rosina, une scaletta ;

Allez Agatina, à gorgheggiar [faire des roulades].

Un gruppetto, ô ma Giannetta ;

Ne pensons qu’à chanter.

A présent les ennuis sont passés

Nous pouvons être joyeux. »

 

Carlino intervient alors, et leur suggère de penser plus tard à tout cela : pour l’heure il veut se dévêtir du caractère de mari intolérant (l’image est plaisante), soucieux de faire à chacun les honneurs de sa maison, où il les invite tous ! Un beau geste lui valant ainsi l’estime générale.

[c) Cabaletta finale, Rosa, tutti]

sans transition, commence le traditionnel « Rondò finale » ou cabalette avec variations. Le rythme est posé et pas aussi brillant qu’on n’aurait pu l’attendre, une grâce chaleuruese et sensible, selon l’empreinte donizettienne, étant passée par là, après l’empreinte de Rossini.

Bien plus qu’agréable, le morceau pourrait être génial si l’inspiration mélodique venait seconder l’évidente fraîcheur de motifs, mais ne soyons pas trop exigeant avec notre maestro… —non plus Don Bucefalo, mais Don Antonio— de dix-neuf ans !

Le bonheur de Rosa à son amour renaissant, et la liesse générale habitent les paroles de cet air final, que vient couronner une retentissante charge orchestrale bien dans le sympathique style romantico-naïvo-brillant que nous avons essayé de définir au long de cette suave promenade.

Yonel Buldrini

 

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