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GLUCK, Alceste — Aix-en-Provence

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Spectacle
2 juillet 2010
Véronique Gens, tragédienne et reine malgré la mise en scène

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Détails

Christoph Willibald Gluck (1714 – 1787)
Alceste
Tragédie lyrique en trois actes
Livret de Ranieri de’ Calzabigi
Version française sur les paroles de Marie François Louis Gand Le Blanc du Roullet
Créée le 23 avril 1776 par l’Académie royale de musique, salle des Tuileries à Paris
Mise en scène, Christof Loy
Scénographie, Dirk Becker
Costumes, Ursula Renzenbrink
Lumières, Olaf Winter
Alceste, Véronique Gens
Admète, Joseph Kaiser
Le Grand Prêtre d’Apollon, Andrew Schroeder
Hercule, Thomas Oliemans
Enfant d’Admète et Alceste, Marianne Folkestad Jahren
Enfant d’Admète et Alceste, Bo Kristian Jensen
Le Coryphée (Apollon), Joao Fernandes
L’Oracle, David Greco
Une jeune fille, Léa Pasquel
Chœur, English Voices
Chef de chœur, Tim Brown
Orchestre Freiburger Barockorchester
Direction musicale, Ivor Bolton
Théâtre de l’Archevêché, Festival d’Aix-en-Provence, vendredi 2 juillet 2010, 22h

A propos d’Alceste, on aime raconter l’histoire suivante. Lors d’une représentation de la tragédie lyrique de Gluck à Paris, en janvier 1777, alors que Rosalie Levasseur, la créatrice du rôle-titre, chantait « Ah ! Il me déchire et m’arrache le cœur » à la fin de l’acte II, un spectateur excédé s’écria « Ah ! Mademoiselle, vous m’arrachez les oreilles ». Ce à quoi, son voisin, transporté au contraire par le chant de l’artiste, lui répliqua « Ah ! Monsieur, quelle fortune si c’est pour vous en donner d’autres »1. L’anecdote n’illustre pas seulement le climat qui régnait autour de la création de l’œuvre, la fameuse querelle entre gluckistes et piccinistes ; elle révèle l’ambigüité d’un rôle dont l’adjectif tragique semble avoir été inventé pour le qualifier.

 

Un rôle long, particulièrement exigeant parce qu’il nécessite endurance et expression. Un rôle difficile qui, en plus d’une diction parfaite, réclame puissance et souplesse, sur toute la longueur, l’ensemble des registres étant sollicités. Un rôle dont les accents sublimes ont cependant tenté les plus grandes cantatrices : Flagstad, Gencer, Callas, des mains desquelles Véronique Gens reprend à Aix le fier flambeau avec le succès que pouvaient laisser espérer Tragédienne 1 et Tragédienne 22. On retrouve sur la scène du Théâtre de l’Archevêché la même puissance, la même précision dans la prononciation, la même aisance dans la déclamation que celles qu’on admirait déjà au disque. C’est dans les récitatifs d’ailleurs que l’on préfère cette Alceste : le tracé royal de la ligne ; la nudité du mot quand il se dépouille de la mélodie ; le passage soudain d’un état d’exaltation à un autre ; « Où suis-je ? Ô malheureuse Alceste », plutôt que l’air qui suit, le célèbre « Divinités du Styx » où Véronique Gens nous parait moins inspirée : remarquable certes mais le geste comme entravé par trop de noblesse. La voix, égale, possède l’extension nécessaire aux élans de l’âme, lumineuse dans l’aigu, sonore dans le grave, avec des mots – « mort », « ténèbres » – qu’elle sait charger de sens. Une interprétation à laquelle on pourra juste reprocher une certaine froideur : de la grandeur, du sentiment au détriment de la volupté et de la tendresse. Reine davantage qu’épouse ainsi que le veut une mise en scène qui fait d’Alceste la mère de tous ses sujets. Nous y reviendrons.

En Joseph Kaiser, elle trouve pourtant un Admète auquel il s’avère difficile de résister. Lui aussi exemplaire de diction et de maintien, d’un format presque héroïque dans un rôle sur lequel il fait souffler un vent de jeunesse, avec ce surcroît de sensualité qui fait défaut à sa partenaire. La colère puis le désespoir succèdent avec la même conviction à l’assurance virile de « Bannis tes craintes et tes larmes », la fraîcheur et la vaillance compensant largement quelques tensions dans l’aigu et une tendance à chanter forte au détriment des nuances.

Troisième protagoniste du drame, le chœur : un English Voices dont on apprécie autant la multiplicité des teintes que la netteté des attaques, non pas statique à la manière de ces grands ensembles marmoréens qu’on a pu entendre ailleurs mais ductile, d’une matière fluide et changeante en fonction des affects exprimés, et lui aussi idiomatique.

Thomas Oliemans (Hercule) possède l’éclat qui fait défaut au Grand Prêtre d’Andrew Schroeder. N’aurait-il pas fallu d’ailleurs intervertir la distribution, ce dernier rôle demandant une autorité qui semble mieux caractériser le premier des deux interprètes ?

En Ismène et Evandre, devenus pour des impératifs de mise en scène fils et fille d’Alceste, Marianne Folkestad Jahren et Bo Kristian Jensen, vocalement irréprochables, ont bien du mal à traduire la tendresse d’une filiation que n’avait pas prévu la partition.

 

Dans la fosse, une ouverture puissamment contrastée fait craindre d’abord une lecture exagérée, dont l’excès pourrait nuire à la majesté de l’ouvrage. Fouetter pour tenir l’intérêt éveillé : Ivor Bolton3 n’aurait pas été le premier. Crainte vaine. Le chef propose au contraire une interprétation toute en mesure et transparence. Tempérée, équilibrée mais habitée. Malgré quelques égarements côté cuivres dans le dernier acte (l’air d’Hercule et l’appel de Caron), les instruments anciens de l’Orchestre Freiburger Barockorchester débarrassent la musique de cet empois qui parfois l’alourdit.

 

Tout cela nous vaudrait une soirée au sommet si la mise en scène ne s’employait, au contraire de l’orchestre, à la charger de lest. Sous prétexte que, dans son premier récitatif, Alceste s’adresse autant à ses enfants qu’à ses sujets, Christof Loy a décidé d’en faire l’archétype de la mère. Sclérosée sur cette seule idée, dont il épuise très vite la maigre substance, il habille les choristes de culottes courtes et de robe à volants et les place dans un décor unique censé évoquer une école protestante des années 1950. Dans ce contexte, le Grand Prêtre devient proviseur et les présents qu’offrent les habitants de Phère à Apollon sont ours en peluche, poupées et autres jouets tandis que l’enfer se peuple de marionnettes. L’intelligence de la scénographie, quelques gestes d’un bel effet (Admète qui dénoue les cheveux d’Alceste par exemple) ne rachètent pas l’échec d’un système qui veut, d’après le metteur en scène, nous rendre le couple royal plus proche. Ainsi, au premier acte, la reine ressemble à une institutrice, et au dernier, elle apparaît auprès de son époux en chemise de nuit et en chaussettes grises. Alceste et Admète au seuil des enfers en socquettes : un mythe s’effondre. Etait-ce bien là aussi le but recherché ?

 

 

1 L’anecdote est rapportée par l’édition du 21 janvier 1777 du Journal de Paris. Pour en savoir plus sur Alceste de Gluck, on recommande vivement la lecture de l’Avant-Scène Opéra n° 256.

2 Deux enregistrements d’airs opéras français du XVIIe et XVIIIe siècle chez Virgin Classics

3 Lire l’interview qu’il nous a accordée autour de cette nouvelle production d’Alceste

 

 

 

 

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Tragédie lyrique en trois actes
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Version française sur les paroles de Marie François Louis Gand Le Blanc du Roullet
Créée le 23 avril 1776 par l’Académie royale de musique, salle des Tuileries à Paris
Mise en scène, Christof Loy
Scénographie, Dirk Becker
Costumes, Ursula Renzenbrink
Lumières, Olaf Winter
Alceste, Véronique Gens
Admète, Joseph Kaiser
Le Grand Prêtre d’Apollon, Andrew Schroeder
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Enfant d’Admète et Alceste, Marianne Folkestad Jahren
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L’Oracle, David Greco
Une jeune fille, Léa Pasquel
Chœur, English Voices
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Théâtre de l’Archevêché, Festival d’Aix-en-Provence, vendredi 2 juillet 2010, 22h

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