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Dominique Meyer : « Je suis très heureux ici »

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Interview
9 janvier 2011

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Il était temps de changer. Comme il le dit lui-même, le Théâtre des Champs-Elysées qu’il a dirigé onze saisons durant était un « paradis terrestre ». Mais Dominique Meyer, n’écoutant que sa raison, a tourné la page : à un peu plus de cinquante ans, c’était maintenant ou jamais. Homme de cabinets (au ministère de l’Industrie puis de la Culture), homme de grands projets (la fondation d’Arte, l’ouverture de l’Opéra Bastille), il s’est souvent trouvé au bon endroit au bon moment, bien qu’il se défende toujours d’un quelconque plan de carrière. Le voilà aujourd’hui à la tête de l’Opéra de Vienne, qu’il réforme en douceur, loin des coups d’éclats parisiens. Dominique Meyer aime à répéter qu’il n’est pas un artiste, à peine un homme de théâtre : les étoiles sont sur scène, pas en coulisses. Pour une fois, laissons-lui leur voler (un peu) la vedette. 

 


Dominique Meyer ©Wiener Staatsoper / Sepp Gallauer 

 

Dans quel état avez vous trouvé l’Opéra de Vienne à votre arrivée en septembre dernier ?

 

D’abord, je ne suis pas arrivé hier : j’ai déjà eu 3 ans pour m’acclimater au théâtre et à son fonctionnement. En tout cas, ce que j’y ai trouvé, c’est une machine très efficace, un personnel extrêmement compétent, un orchestre d’un niveau exceptionnel, un superbe chœur. Et contrairement à ce que l’on pense, peu de conservatisme, une grande ouverture à la nouveauté. Enfin, cette très belle tradition de la troupe, qui laisse la possibilité d’inviter les stars, mais qui s’attache aussi à révéler celles de demain. Pour autant, tout n’est pas parfait et j’ai entrepris quelques réformes, notamment sur les conditions de répétitions. Nous construisons une scène de répétition annexe, de telle façon que la scène principale soit libérée pour travailler davantage les reprises et pour proposer de temps à autre des opéras pour enfants. Parallèlement, nous avons renégocié les contrats des musiciens de l’orchestre et des chanteurs, de manière à ce qu’ils répètent également davantage.

 

C’est le premier pas vers des changements plus profonds ?

 

Je suis quelqu’un de très patient et je suis partisan des changements maitrisés. On ne peut pas avoir tout, tout de suite. Je prends pour exemple mon expérience au Théâtre des Champs-Elysées, où je suis resté onze saisons. Il m’a fallu au moins cinq ou six saisons pour commencer à changer réellement les choses. Il faut du temps. Les maisons d’opéra, ce sont de gros paquebots, pas des jouets. On ne peut pas en changer la direction d’un coup sec de gouvernail : c’est extrêmement dangereux. C’est à manipuler avec précaution.

 

Vous arrivez dans un pays et dans une ville où l’opéra est au cœur de la vie de tous les jours, où toute affaire touchant à l’Opéra devient très vite affaire d’État : c’est une pression supplémentaire ?

 

Non. J’ai même beaucoup de respect pour cela. D’abord, plus qu’une pression, c’est un plaisir immense, parce que ce que l’on dit est vrai : l’opéra est ici dans toutes les têtes. Il y a ici un véritable amour de la musique, dans toutes les couches de la société, sociales ou générationnelles. Il y a quelques jours, un vieux monsieur me reconnaît et m’aborde : « Vous savez, je vais à l’opéra trois fois par semaine depuis 50 ans. Mais je vais aux Stehplätze, vous comprenez, j’aurai ruiné ma famille si j’étais allé m’installer au parterre… ». Comment voulez-vous que cela représente une pression ? Je travaille pour des gens qui aiment passionnément l’opéra !

 

En revanche, l’on vous reconnaît dans la rue…

 

Oui, ça c’est le côté moins agréable. J’aime assez la discrétion, ceux qui me connaissent le savent bien. Mais ici, c’est rigoureusement impossible !

 

Il y a quelque chose qui stupéfie le spectateur parisien qui visite Vienne, c’est le rythme des représentations. 300 pour une seule salle à Vienne ; sensiblement le même chiffre à Paris, mais avec deux salles ! Comment cela peut-il fonctionner ?

 

C’est la magie du théâtre de répertoire. Prenez l’orchestre : il peut tout jouer, et la plupart du temps sans même répéter. Pour donner un exemple, nous avons repris en septembre La Bohème, avec deux services de répétition. C’était la première fois que l’orchestre répétait l’œuvre depuis Carlos Kleiber, en 1985. Et c’était irréprochable ! Il a également une polyvalence incroyable : il m’est arrivé de voir jouer les mêmes musiciens le Requiem de Verdi au Musikverein un dimanche matin pour enchaîner ici avec la première de Capriccio, le soir même à 18h… C’est donc l’orchestre qui est au cœur du système, ajouté au travail formidable des membres de l’équipe technique. Leur journée commence à 7h : démontage des décors de la veille, montage des décors de la répétition, début de la répétition à 10h, jusque 14h, puis à nouveau démontage pour laisser place aux décors de la représentation du soir pour 18h ou 19h. Un travail de titan !

 

Et le rôle de la troupe, dans l’une des dernières maisons d’opéras à en être dotée ?

 

Naturellement, la troupe est fondamentale. On ne pourrait pas non plus donner autant de représentations sans elle, cela coûterait une fortune. Nous avons donc ici un ensemble de 45 chanteurs permanents, que l’on pourrait diviser en deux catégories. D’une part des chanteurs chevronnés, qui chantent essentiellement des petits rôles, qui se cantonnent à certains emplois, un peu comme à la Comédie Française. Et d’autre part, il y a de nombreux chanteurs en début de carrière, qui restent quatre ou cinq ans et qui reviendront ensuite en tant qu’invités. C’est un système qui a beaucoup de mérites, puisqu’il permet de mettre le pied à l’étrier à de jeunes chanteurs. Et dans quel endroit peut-on rêver de mieux commencer une carrière ?

 

Parlons de la programmation de votre première saison. Il y a eu la première de Cardillac il y a quelques semaines, puis celle d’Alcina le 14 novembre : vous semblez vouloir élargir le répertoire du Staatsoper, ce sont des signes ?

 

Oui, évidemment, c’est assez symbolique. Avec Franz Welser-Möst (le nouveau directeur musical, ndlr), nous avions de toute façon décidé de débuter la saison avec une œuvre du XXe siècle. Et je tiens Cardillac pour une pièce majeure de ce siècle : une œuvre très forte, un formidable terrain de jeu pour un metteur en scène, et en même temps la possibilité de distribuer à la fois chanteurs invités et chanteurs de la troupe. Tout cela est porteur de sens pour moi. Et en ce qui concerne l’opéra baroque, c’est essentiellement parce que jamais n’a été jouée ici une telle œuvre sur instruments anciens. Il y a bien eu Böhm avec Giulio Cesare – en allemand – ou Karajan avec Le Couronnement de Poppée, mais dans des conditions musicologiques quelque peu éloignées des standards actuels… Nous allons donc ouvrir la porte à un répertoire qui donne beaucoup de satisfaction au public, mais qui n’avait encore jamais eu de droit de cité ici.

 

Cette révolution se double d’un deuxième bouleversement : l’invitation d’un orchestre extérieur (Les Musiciens du Louvre), ce qui n’est jamais arrivé dans l’histoire du Staatsoper. Vous renouvellerez cette expérience ?

 

Oui, je le ferai régulièrement. Certes, cela ne deviendra pas l’élément principal de la programmation de ces prochaines années, et pour cause : nous avons l’un des meilleurs orchestres du monde ; pourquoi l’évincer de la fosse ? Mais cela a un avantage très concret : cela permet de continuer à programmer de manière intéressante lorsque l’orchestre est en tournée. On peut faire d’une pierre plusieurs coups : ouvrir la porte à un genre oublié, amener de nouveaux interprètes, et en même temps régler le problème des tournées.

 

Le répertoire est une chose, qu’en sera-t-il des choix de mises en scène, dans une maison souvent considérée comme conservatrice ?

 

Au fond, le problème de la mise en scène, c’est que chacun croit détenir la vérité. Ce que je cherche à faire ici, c’est décloisonner. Je n’aime pas l’idée qu’il n’y ait qu’une seule vérité à un endroit et à un moment donné. J’aime plutôt que plusieurs courants de pensée puissent présenter leur façon de voir les choses dans un même lieu. C’est plus riche, c’est plus intéressant. Ce qui me frappe, c’est qu’il y a des personnes, notamment dans la presse, qui ont pouvoir de dire ce qui est juste et ce qui est faux. J’ai vingt-cinq ans d’expérience dans le métier, j’en suis strictement incapable. Il me paraît plus intéressant de montrer au public qu’il y a différentes façons de voir l’opéra, certaines plus esthétisantes, d’autres plus intellectualisantes, et également de ne pas oublier que n’importe quel traitement ne peut pas être appliqué à n’importe quel type d’ouvrages. Vous savez, j’ai grandi dans une période où se côtoyaient à Paris des personnes telles que Patrice Chéreau, Giorgio Strehler, Giorgio Lavelli, August Everding, Jean-Pierre Ponnelle, Peter Stein ou Klaus Michael Grüber. On ne peut pas dire qu’ils avaient beaucoup en commun, mais ils étaient tous de très grands metteurs en scène. J’en ai retiré beaucoup de richesse, et aujourd’hui je ne sais pas dire si Peter Stein est supérieur à Giorgio Strehler. J’ai goûté leurs différences, et cela m’a plu énormément.

 

Envisagez-vous la commande d’ouvrages et leur création dans ces murs ?

 

Oui, bien sûr. Nous sommes en pourparlers, mais… cela prend du temps !

 

Vous avez nommé Franz Welser-Möst directeur musical. Quel est son rôle effectif ? Entre-t-il dans le processus de programmation, de choix des chanteurs ?

 

Franz Welser-Möst est l’un des plus grands chefs d’orchestre actuels. Il est peu connu en France, tout simplement parce qu’il se concentre sur ses activités. Ce n’est pas un chef d’orchestre itinérant, que l’on retrouve une semaine à Paris, la suivante à Vienne et la troisième à Chicago. C’est un très bon partenaire : nous discutons en permanence, de nos projets, de nos avis sur les chanteurs. Il m’est d’une aide précieuse. Il dirigera également beaucoup – environ 35 représentations par saison –, et dans tous les répertoires. Dans un théâtre comme le nôtre, c’est une chance de pouvoir compter sur un artiste tel que lui.

 

Comment se déroulent vos relations avec l’État autrichien ? Vous avez plaidé dans la presse autrichienne pour une hausse des subventions…

 

J’ai seulement dit une fois qu’il me paraissait étrange que l’Opéra de Vienne ne touche une subvention que deux millions d’euros supérieure à celle du Burgtheater (le principal théâtre viennois, ndlr). Non pas que je ne sois pas heureux que le Burgtheater ait beaucoup d’argent, mais je trouve qu’une différence de deux millions d’euros pour la présence de toutes les plus grandes stars du chant international, pour le Wiener Philharmoniker, pour une troupe permanente, pour un chœur de 100 personnes, pour un corps de ballet, ce n’est pas très cher payé. C’est seulement ça. Mais d’ailleurs, si vous trouvez un seul directeur d’opéra qui soit satisfait de son budget, présentez-le moi !

 

Allez-vous revenir à Paris ?

 

En vacances, certainement. Sérieusement, je n’en sais rien : je n’ai jamais fait de plan de carrière. Dans la vie, les choses sont ainsi : par votre travail, votre compétence, votre expérience, vous pouvez faire partie des trois ou quatre personnes dont on parle pour briguer telle ou telle fonction. Après, ce n’est pas vous qui décidez. Je ne me préoccupe pas beaucoup de ces questions : dans ma vie, il m’est arrivé de ne pas être choisi pour tel ou tel poste, pour finalement en obtenir un autre plus intéressant trois mois plus tard. Je suis totalement décrispé : d’ailleurs, comment ne le serai-je pas ? J’aurais mauvaise grâce à me plaindre de quoi que ce soit. Je suis très heureux ici.

 

Propos recueillis par Maximilien Hondermarck, à Vienne le 8 octobre 2010

 

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