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Dietrich Fischer-Dieskau, une ébauche de discographie

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Nécrologie
21 mai 2012

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Ecrire sur la discographie de Dietrich Fischer-Dieskau, c’est un peu comme entreprendre l’ascension du mont Everest. Elle dépasse allégrement les 1000 références, dont plus de 800 sur support CD. Fischer-Dieskau a gravé plus de 400 disques, qui ont pour la plupart fait l’objet de rééditions constantes. Les témoignages live se multiplient comme les pains dans l’Evangile, à la faveur de la législation sur les droits d’auteur. Circonstance aggravante : cette somme discographique ne comporte quasiment pas de déchet, ou si peu.

L’exhaustivité est donc impossible, on ne s’y risquera pas. On se contentera d’indiquer ce qui doit être considéré comme incontournable dans le legs immense de ce non moins immense chanteur qui, à travers son art, contribua autant à l’histoire du chant qu’à celle du disque. On y dénichera des merveilles, laissées à la postérité par celui qui fut pédagogue autant qu’artiste. Car au-delà du chagrin causé par sa disparition, la discographie de Dietrich Fischer-Dieskau est source d’espoir, de reconnaissance pour des générations entières de mélomanes, passées, présentes et à venir. Oui, assurément, par son héritage discographique, Fischer-Dieskau est vivant. A jamais.

(Lire l’hommage de Sylvain Fort à Dietrich Fischer-Dieskau)

L’Opéra

Ce ne fut qu’une part subsidiaire de son activité. Et pourtant… Avec 84 rôles à son actif, et plus de 150 témoignages enregistrés, Fischer-Dieskau à l’opéra, c’est déjà un continent. Verdi, Wagner, Strauss et Mozart se taillent la part du lion. Sans surprise, les rôles que Dietrich Fischer-Dieskau marque le plus durablement de son intelligence vocale sont des rôles de poètes, de personnages complexes psychologiquement, ceux qui requièrent sens du mot et subtilité. Les personnages univoques, unidimensionnels, ou dont l’attrait est trop uniquement et simplement vocal sont moins à sa mesure : il y marque moins, les laissant à d’autres, peut être plus riches de voix, mais souvent plus pauvres d’esprit.

Chez Verdi, on laissera à d’autres le soin d’épiloguer sur l’italianité de la voix de Fischer-Dieskau, sur son absence de morbidezza, son aigu détimbré…. Quoi qu’il en soit, c’est à lui que l’on doit l’un des Rigoletto les plus bouleversants de la discographie, entouré de la Gilda de Renata Scotto et du Duc de Carlo Bergonzi, sous la baguette de Kubelik, pour ce qui passe à juste titre pour un enregistrement de référence (Deutsche Gramophon). Difficile de ne pas mentionner, au même niveau, son Posa déchirant et suprêmement raffiné, là encore au sein de l’enregistrement qui depuis 45 ans, trône en tête de la discographie (Solti, chez Decca). Chez Verdi toujours, on écoutera avec intérêt son Macbeth torturé, dirigé par Sawallisch à Salzbourg (récemment réédité par Orféo), où il a pour partenaire la Lady vipérine et insolente de Grace Bumbry : une très grande soirée, de loin préférable au studio de Decca, où il est nettement moins bien entouré et moins bien dirigé. Il faut ranger à part son Falstaff rêveur et désabusé, moins jovialement pansu que d’autres, mais certainement pas hors de propos. Comme en outre Leonard Bernstein lui sert une des directions les plus déjantées de la discographie, et que le reste de la distribution est loin d’être indigne, on comprend qu’il faut absolument connaître ce témoignage peu idiomatique mais passionnant (RCA). On passera plus rapidement sur son Iago trop cérébral (chez EMI, un enregistrement par ailleurs disqualifié par la direction lymphatique de Barbirolli et l’Otello épouvantable de MacCraken). Amonasro, enregistré tardivement, le trouve dépassé par les emportements du rôle (Berlin en 1982, édité par Ponto) : dommage, car le reste est passionnant (la direction enflammée de Barenboïm, l’Aïda majuscule de Julia Varady, le Radamès insolent de Pavarotti…). De même, Germont et Renato ne laissent pas de souvenirs impérissables.
 
Le legs wagnérien de Fischer-Dieskau est, lui aussi, de première importance. Au pinacle, on placera sans hésiter son Wolfram d’anthologie. Le rôle semble avoir été écrit pour lui, sa vocalité de Liedersänger s’y coule avec une évidence désarmante, et il y dispense une leçon de poésie magistrale. Au studio, on choisira l’enregistrement dirigé par Franz Konwitschny en 1960, réédité par EMI. Mais on avouera une préférence pour le live bayreuthien de 1955, sous la baguette sensible de Cluytens : la voix est un brin plus jeune…et puis c’est Bayreuth. Un miracle de vocalité pure (Orféo). Difficile de ne pas mentionner également son Sachs : le rôle du cordonnier poète excède sans doute les capacités de Fischer-Dieskau en termes d’endurance vocale mais son génie du mot y trouve un terrain d’élection (l’enregistrement studio dirigé à Berlin par Jochum pour Deutsche Gramophon est bien connu ; plus confidentiellement, on cherchera un live munichois de 1979 dirigé par Sawallisch avec un casting de rêve : Julia Varady en Eva, inapprochable, René Kollo encore fringant en Walther, Peter Schreier impayable en David, Kurt Moll somptueux en Pogner ! Son Telramund veule et couard dans l’enregistrement de référence dirigé par Rudolf Kempe chez EMI est comme écrasé par l’Ortrud géniale de Christa Ludwig. Sagement, Fischer-Dieskau s’est peu aventuré dans le Ring : le Wotan de la Walkyrie et le Wanderer trop lourds pour sa voix, il s’est néanmoins laissé convaincre par Karajan de graver dans son Ring de studio le Wotan de l’Or du Rhin. Expérience fascinante, rendue possible par les allègements orchestraux inouïs du chef. Il en va de même du Hollandais, moins épique que d’autres mais sans aucun doute plus fin : incarnation marginale, sans doute, mais qui doit être connue (enregistrement studio Electrola dirigé par Konwitschny en 1959, réédité par EMI). C’est encore au studio que l’on doit les deux témoignages de Fischer-Dieskau en Kurwenal : en 1952 avec Furtwängler (EMI), trente ans plus tard avec Kleiber (Deutsche Gramophon). Dans un cas c’est trop tôt, dans l’autre c’est trop tard : en dépit de beaux moments, la magie n’opère pas. On est, de même, quelque peu réservé devant son Amfortas trop morbide et prudent, dont on aimerait qu’il crie davantage sa souffrance et ses tourments (à Bayreuth en 1956, sous la direction de Knappertsbusch, chez Melodram, ou bien dans le superbe enregistrement de studio réalisé par Georg Solti avec Vienne en 1972, chez Decca).

Chez Strauss, quelques unes des incarnations de Fischer-Dieskau appartiennent pour toujours à l’histoire. On pense en premier lieu à son Barak, débordant d’humanité, bouleversant. Deux témoignages munichois en existent, à connaître absolument pour les amoureux de La Femme sans ombre : le premier, dirigé par Josef Keilberth en 1963, le second par Wolfgang Sawallisch en 1976. Dans les deux cas, les distributions sont magnifiques. Tout amoureux d’art lyrique se doit par ailleurs de connaître le Mandryka de Fischer-Dieskau. On placera au dessus des autres l’enregistrement dirigé par Sawallisch à Munich en 1977 où il a pour partenaire sur scène celle qui déjà partageait sa vie : Julia Varady, dont l’Arabella ferait pleurer les pierres. A mentionner également, au panthéon du chant straussien, l’Olivier du fameux enregistrement studio de Capriccio dirigé à Londres en 1957 pour EMI par Wolfgang Sawallisch (encore lui). Là encore, ce rôle de poète trouve le Liedersänger dans son élément naturel. Passionnants, mais moins indispensables, on aura garde de ne pas omettre un Oreste déchirant, à deux reprises sous la baguette de Karl Böhm (au studio en 1960, chez Deutsche Gramophon, avec l’Elektra de Borkh, pour le film en 1981, avec l’Elektra de Rysanek), ni son Jochanaan, là encore dans l’enregistrement réalisé par Karl Böhm à Hambourg en 1970 (Deutsche Gramophon).

Dans le répertoire mozartien, Dietrich Fischer-Dieskau laisse également quelques témoignages incontestables. A l’absolu sommet, on placera son incarnation de l’Orateur dans la Flûte enchantée : un sommet d’intelligence, d’émotion et de bonté, un jalon majeur de toute la discographie mozartienne. Son Papageno sain et naturel doit être également connu (d’abord dans l’enregistrement de studio réalisé par Karl Boehm pour Deutsche Gramophon en 1964), même s’il doit être permis de lui préférer dans ce rôle son contemporain Hermann Prey. Tout honnête homme doit avoir entendu au moins une fois son Comte des Noces de Figaro, aristocratique et incroyablement fouillé. On ira prioritairement l’entendre sous la baguette sage et complice de Karl Böhm, au studio en 1968 (Deutsche Gramophon, un enregistrement difficilement surpassable, la quintessence d’un certain classicisme mozartien) ou bien live sur la scène de Salzbourg en 1957 (où il a pour partenaires, excusez du peu, la Comtesse superlative de Schwarzkopf, la Susanne idéale d’Irmgard Seefried et le Chérubin irrésistible de Christa Ludwig). On ne placera pas au même niveau un Don Giovanni trop distant et calculé, qui, en dépit de beaux moments (la Sérénade, évidemment…) ne parvient pas à convaincre (au studio avec Fricsay en 1959 et Boehm en 1967, tous les deux chez Deutsche Gramophon). On trouvera du Comte et du Don Giovanni de Fischer-Dieskau des captations vidéo : il s’agit, pour le Comte, du fameux film de Jean-Pierre Ponnelle, réalisé en 1975-76 (Deutsche Gramophon), et pour Don Giovanni de la retransmission télévisée de la soirée d’ouverture du Deutsche Oper de Berlin en 1961, sous la direction superbe de Ferenc Fricsay (Unitel).

Hors Verdi, Wagner, Strauss et Mozart, quj constituent les quatre points cardinaux, la discographie opératique de Dietrich Fischer-Dieskau comporte quelques pépites, reflets de rôles qu’il a marqué de manière indélébile : on pense notamment à son interprétation époustouflante de justesse psychologique du Barbe Bleue de Bartok (dirigé par Ferenc Fricsay en 1958, ou par Sawallisch, avec l’Ariane de Julia Varady, en 1979, dans les deux cas chez Deutsche Gramophon). Mais c’est surtout dans l’opéra allemand du XXème siècle que Dietrich Fischer-Dieskau a laissé des témoignages définitifs, qui sont autant de jalons de l’histoire du disque : difficile, en effet, de faire l’impasse sur son Doktor Faust… goethéen, dans l’opéra éponyme de Busoni (sous la baguette de Ferdinand Leitner, en 1969, pour la radio), sur son Wozzeck torturé, déchiré et déchirant (au studio, avec Boehm en 1960, chez Deutsche Gramophon), sur son Borromeo superbe et captivant dans le Palestrina de Pfitzner (dirigé par Kubelik en 1973 pour Deutsche Gramophon) ainsi que sur son incarnation magistrale et si dans les studios de la Radio Bavaroise Munich en 1977, pour EMI). On mentionnera pour finir l’enregistrement du Lear d’Aribert Reimann, créé pour Fischer-Dieskau, qu’il grava en 1978 pour Deutsche Gramophon.

Le lied

Si la discographie opératique de Dietrich Fischer-Dieskau est déjà conséquente (à titre de comparaison : elle est, en nombre d’entrées, équivalente à celle d’Alfredo Kraus, de Franco Corelli, de Luciano Pavarotti ou de Birgit Nilsson, le double de celle d’Elisabeth Schwarzkopf ou de Leontyne Price…), que dire alors de son legs dans le domaine du lied ? Il est un univers à lui seul. Ici, bien plus qu’à l’opéra, il faudra faire preuve de sélectivité, au risque d’être submergé, tant le champ à couvrir est immense. Avant d’en évoquer les jalons indispensables, on relèvera que ce legs discographique fait partie de plein droit de l’histoire du chant enregistré. On peut, sans risque de se tromper, affirmer qu’aucun chanteur n’aura, plus que Fischer-Dieskau, œuvré pour le genre du lied au disque. Trop jeune pour faire partie des précurseurs, glorieux ainés rassemblés par Walter Legge à Londres dans l’entre deux guerres, il a mis ses pas dans les leurs. Il ne perdait du reste jamais une occasion de rappeler ce qu’il devait à ces défricheurs: Hans Hotter, Heinrich Schlusnus, Gerhard Hüsch, pour ne citer que ceux avec qui il avait en commun la tessiture de baryton. La guerre finie, son heure est venue. Pendant 50 ans, Dietrich Fischer-Dieskau a trouvé le chemin des studios pour patiemment, avec une rare intégrité -et une inédite intégralité- construire ce qui n’avait jamais été fait avant, et reste aujourd’hui sans équivalent. Posons les choses d’emblée: rien, dans cette Somme théologique du lied, n’est indifférent. Choisir signifie écarter, c’est la règle du genre. Ce qui ne sera pas mentionné ici n’est pas pour autant insignifiant. Tout ce que Fischer-Dieskau a enregistré mérite d’être connu, depuis les sommets schubertiens et wolfiens jusqu’aux œuvres les plus marginales de compositeurs tombés dans l’oubli : à chaque fois, c’est une leçon d’intelligence, et l’on retrouve ce soin maniaque apporté au mot qui constituent sa marque de fabrique.

Pour se retrouver dans cet océan discographique, il n’est pas inutile d’en connaître, là aussi, les points cardinaux: Schubert, bien sûr, Wolf évidemment, Brahms et Schumann. Pour ceux là -et quelques autres, comme Mahler- Fischer-Dieskau a multiplié les enregistrements, tout au long des ses 50 ans de carrière, allant jusqu’à graver 8 fois le Voyage d’Hiver ! S’agissant des doublons, on rappellera que Fischer-Dieskau a massivement enregistré le cœur de son répertoire pour EMI dès le début des années 50, avant de recommencer, à partir de la fin des années 50 pour Deutsche Gramophon souvent pour les mêmes programmes et avec le même accompagnateur, en élargissant toutefois au fil du temps, chez cet éditeur, à des compositeurs plus périphériques. Il est naturellement fascinant de comparer les interprétations successives des mêmes lieder ou cycles de lieder. Deux observations de portée générale: on observera qu’avec le temps, l’art a tendance à l’emporter sur la matière, le naturel des débuts cède progressivement la place à une sophistication poussée. Il est au dessus de nos forces d’établir une hiérarchie entre ces différents témoignages: l’auditeur ira y chercher des satisfactions différentes, et complémentaires. Par ailleurs, s’agissant d’un artiste chez qui rien n’est improvisation ou même approximation, on ne s’étonnera pas de relever que les live n’apportent pas de plus value substantielle par rapport au studio. Ils en sont le plus souvent le décalque fidèle, dans des conditions sonores moins pures.

On commencera par rappeler l’existence d’une superbe édition spéciale Fischer-Dieskau de 44 CD, éditée par Deutsche Gramophon en 1995, pour les 70 ans du chanteur. On y retrouve, sous forme de coffrets indépendants, l’intégrale (ou l’anthologie) des lieder de Schubert (accompagné par Gerald Moore, 21 CD), Brahms (accompagné par Daniel Barenboïm, 6CD), Schumann (accompagné par Christoph Eschenbach, 6CD), Liszt (accompagné par Daniel Barenboïm, 3CD), Wolf (accompagné par Daniel Barenboïm, 6CD) et Strauss (accompagné par Wolfgang Sawallisch, 2 CD). La quintessence d’un art, un jalon incontournable de toute discothèque, un incunable, en fait, auquel on retournera, encore et toujours.
 
A chérir également, le coffret de 11 CD édité par Orfeo en 1995, rassemblant 11 récitals enregistrés à Salzbourg entre 1956 et 1965. Fischer-Dieskau y retrouve son complice Gerald Moore pour des programmes à dominante Schubert, Schumann et Wolf.

Au-delà des intégrales ou anthologies disponibles sous diverses références sous label EMI ou Deutsche Gramophon (cf. supra), on indiquera quelques références isolées particulièrement recommandables. D’abord parce que les accompagnateurs changent : il n’est pas interdit de préférer à la sage complicité de Gerald Moore la pâte plus symphonique et les abîmes ouverts par un Richter, un Brendel ou un Barenboïm. Ensuite, en aiguisant son oreille, on y décèlera d’infimes variations, des nuances nouvelles, des inflexions légèrement différentes. Car il en va de l’art de Fischer-Dieskau comme des grands vins de Bourgogne : il porte la subtilité à son plus infiniment grand.

Chez Brahms, La belle Maguelone, enregistrée en 1970 avec Sviatoslav Richter (Orfeo pour le live, EMI pour le studio) est à connaître absolument, de même que les Quatre chants sérieux, de préférence dans la version accompagnée par Wolfgang Sawallisch en 1973 (EMI). Schumann est également servi : les Dichterliebe figurent parmi les interprétations les plus accomplies du cycle. On ira prioritairement aux versions qui voient Fischer-Dieskau accompagné par Eschenbach (1975, DG), Brendel (1985, Philips) ou Horowitz –attelage plus inattendu mais loin d’être inintéressant (1976, Sony). C’est dans Schubert, compositeur que Fischer-Dieskau a le plus enregistré, que le choix est le plus difficile. Au-delà des incontournables gravures réalisées avec Gerald Moore pour EMI et Deutsche Gramophon, qui appartiennent à l’Histoire, on ira en priorité écouter Le Voyage d’Hiver et le Chant du cygne, gravés à Berlin en 1948 par le tout jeune Dietrich Fischer-Dieskau accompagné par Klaus Billing (Archipel). Leur force expressive est littéralement inouïe, et ne laisse pas indemne. C’est peu dire qu’on ne la retrouvera pas (ou à peine) dans les gravures ultérieures. Pour le Voyage d’hiver, on mentionnera en outre les gravures réalisées avec Daniel Barenboïm (1979, DG) et Alfred Brendel (1985, Philips), deux pianistes qui se hissent à la hauteur du chanteur et ne se contentent pas de l’accompagner. La même remarque vaut évidemment pour le Chant du cygne enregistré avec Brendel en 1983 pour Philips et, davantage encore, pour les récitals exceptionnels où Fischer-Dieskau est accompagné par Sviatoslav Richter (1977, Orfeo live à Salzburg, ou 1978 studio DG) : une rencontre à marquer d’une pierre blanche, où les deux se surpassent pour donner un des plus prodigieux concerts de lieder qu’on connaisse. L’héritage discographique de Fischer-Dieskau chez Mahler est quantitativement plus restreint, mais on n’y trouve presque que du premier choix. La version pour baryton du Chant de la Terre, où il est dirigé par Leonard Bernstein à la tête du Philharmonique de Vienne, est un sommet d’émotion (Decca, 1973). La rencontre de Fischer-Dieskau avec un des plus grands chefs mahlériens du siècle (au piano cette fois) fait également merveille dans le récital enregistré pour Sony en 1968 : l’entente des deux confine au miracle. Il est difficile de ne pas mentionner en outre le coffret Deutsche Gramophon contenant les Kindertotenlieder, les Lieder eines fahrenden Gesellen et les Rückert lieder (Karl Böhm et Berlin en 1964 pour les premiers, Rafael Kubelik et les forces de la Radio Bavaroise en 1970 pour le reste). S’agissant des Lieder eines fahrenden Gesellen, on avouera toutefois hésiter entre la gravure Kubelik et celle, pleinement historique, réalisée à Londres en 1952 sous la baguette de Wilhelm Furtwängler (il fallait vraiment Fischer-Dieskau pour que Furtwängler consente à diriger Mahler, auquel il ne toucha presque pas). On mentionnera pour finir un autre enregistrement de légende : le Knaben Wunderhorn débordant de tendresse et d’ironie, enregistré à Londres en 1968 avec pour partenaires Elisabeth Schwarzkopf et Georges Szell. Wolf, enfin, dont on pourrait croire qu’il a écrit pour Fischer-Dieskau, est lui aussi royalement servi. Aux récitals salzbourgeois avec Moore, tous édités par Orfeo, on ajoutera évidemment l’Italienisches Liederbuch d’anthologie enregistré avec Schwarzkopf et Moore en 1965-67 pour EMI : encore un disque d’île déserte, préférable à la version Barenboïm, avec Christa Ludwig, un brin trop sophistiquée. Les Mörike Lieder (Moore, 1957-59, EMI) ou le Spanisches Liederbuch (encore avec Schwarzkopf et Moore, 1966-67, cette fois pour Deutsche Gramophon) sont à placer au même niveau et font partie du viatique de tout amoureux du lied.
 
Passés ces compositeurs qui se taillent la part du lion dans la discographie, il resterait beaucoup de bien à dire des Beethoven (notamment le très beau récital enregistré en 1956 accompagné par Herta Klust, disponible sous label Testament), Mendelssohn (avec Sawallisch, 1971 pour le studio d’EMI, 1975 pour le live salzbourgeois chez Orféo), Loewe, Pfitzner (récital EMI enregistré en 1971 avec comme accompagnateurs Karl Engel, Aribert Reimann et Hermann Reuter, ou bien avec Sawallisch à Salzburg en 1975, édité par Orfeo, auxquels on ajoutera les splendides Lieder avec orchestre, enregistrés là encore avec Sawallisch pour EMI en 1975), Reger (un très beau récital de lieder, accompagné par Günther Weissenborn enregistré pour Deutsche Gramophon en 1965, mais également, autre disque sublime, celui d’œil avec orchestre, Fischer-Dieskau est accompagné par l’Orchestre philharmonique de Hambourg dirigé par Gerd Albrecht, un enregistrement de 1992 édité par Orfeo), Schoeck (la série des enregistrements réalisés avec Hartmut Höll pour Claves dans les années 80, dont Das Holde Bescheiden, le dernier enregistrement réalisé par Fischer-Dieskau en tant que chanteur, mais aussi le magnifique Notturno gravé avec le quatuor Cherubini en 1991 pour EMI). Pour Strauss, enfin, on préférera l’anthologie enregistrée avec Sawallisch en 1975 pour Deutsche Gramophon à l’intégrale EMI enregistrée en 1968 avec Gerald Moore. De Conrad Ansorge à Alexander Zemlinsky, en passant par Alban Berg, Georges Bizet, Dimitri Chostakovitch, Hanns Eisler, Gabriel Fauré, Charles Ives, Giacomo Meyerbeer, Darius Milhaud, Anton Rubinstein, Arthur Schnabel, Siegmund von Seckenfdorff ou Karol Szymanowski, on ne citera pas tous les compositeurs dont Dietrich Fischer-Dieskau a gravé des lieder. L’amateur de raretés y trouvera une mine inépuisable (essentiellement sous labels Deutsche Gramophon et EMI).

La musique sacrée

C’est le troisième volet, par ordre d’importance, dans la discographie de Dietrich Fischer-Dieskau. Le lecteur ne nous tiendra pas rigueur de moins nous y appesantir. Non que Fischer-Dieskau y déchoie en quoi que ce soit, mais d’un point de vue strictement comparatif, son art y est simplement moins unique moins « essentiel » que dans le domaine du lied et –dans une moindre mesure- de l’opéra.

Un certain nombre de références doivent néanmoins être connues du mélomane averti, certaines d’entre elles faisant, de plein droit, partie de la discothèque de base de tout honnête homme. Dans la seconde catégorie, il faut évidemment mentionner Un Requiem allemand de Brahms, dans l’enregistrement mythique de Klemperer (EMI, 1961) ou dans celui, moins hiératique et plus émouvant de Rudolf Kempe (EMI 1956, en plus Grümmer y tient la plus bouleversante partie de soprano qu’on connaisse !). Fischer-Dieskau et Bach, d’une certaine manière, c’est également une évidence, si l’on accepte de se situer en marge de la « révolution baroqueuse ». Dans cette optique traditionnelle –et finalement plus universelle car intemporelle- Fischer-Dieskau est un interprète particulièrement inspiré de l’œuvre du Cantor de Leipzig. On chérira ainsi les Cantates (notamment la 56 et la 82), les Passions et la Messe en Si gravées pour Archiv avec Karl Richter. S’agissant de la partie de Jésus dans la Saint Mathieu, on réservera une mention toute spéciale à l’enregistrement du concert réalisé à Vienne en 1952 sous la baguette de Wilhelm Furtwängler. Ce qui apparaîtra comme une hérésie aux yeux de beaucoup est en réalité une des interprétations les plus ferventes que l’on connaisse de cette œuvre. Fischer-Dieskau y ferait pleurer les pierres. Autre témoignage majeur : celui laissé dans les deux oratorios de Haydn. L’enregistrement de La Création dirigé par Karajan est un incontournable (1966-69, Deutsche Gramophon). La Création et Les Saisons ont été également enregistrées avec Neville Marriner en 1980 pour Philips : deux enregistrements mal connus mais qui rendent pleinement justice à ces deux chefs d’œuvre. Dans Les Saisons, Fischer-Dieskau est touchant de jovialité bonhomme. On avouera également une tendresse particulière pour les prestations de Fischer-Dieskau dans les deux oratorios de Mendelssohn, Elias et Paulus, deux opus majeurs et si méconnus, enregistrés tous les deux sous la direction de Rafael Frühbeck de Burgos pour EMI. Qui a su rendre comme Fischer-Dieskau le cheminement intérieur de Paul ? C’est bouleversant. Signalons par ailleurs qu’en application d’une sorte de droit de suite, Dietrich Fischer-Dieskau prête son concours à la magnifique intégrale de la musique religieuse de Schubert enregistrée par Wolfgang Sawallisch qui, aujourd’hui encore, fait référence (EMI, 1977-83). Dans un tout autre registre (et d’ailleurs, est-ce encore de la musique religieuse ?), on s’en voudrait d’oublier la prestation stupéfiante de Fischer-Dieskau dans l’enregistrement des Carmina Burana dirigés par Eugen Jochum (Deutsche Gramophon, 1969). « Estuans interius » et « Ego sum abas » devraient être enseignés dans toutes les écoles de chant.

Un mot, pour finir : on a parfois tendance à présenter à l’excès Dietrich Fischer-Dieskau comme un cérébral introverti, engoncé dans un intellectualisme sévère. Que l’on écoute les enregistrements dans lesquels il mêle sa voix à celle de ses complices Peter Schreier, Edith Mathis, Brigitte Fassbänder, Janet Baker, Victoria de Los Angeles, Elly Ameling pour des duos et ensembles de Brahms, Schubert, Mozart, Beethoven (EMI et Deutsche Gramophon). Aucune prétention dans ces pages souvent d’inspiration populaire, mais au contraire le plaisir simple et naturel du musizieren entre amis, avec force clins d’œil… Là encore, cet oubli de soi, et cette force de l’évidence.

10 disques pour l’île déserte

– Verdi, Don Carlo (direction Solti, Decca)
– Wagner, Tannhäuser (direction Cluytens, Orfeo)
– Strauss, Arabella (direction Sawallisch, Orfeo)
– Mozart, Les Noces de Figaro (direction Böhm, Deutsche Gramophon)
– Schubert, Le Voyage d’Hiver (Billing, Archipel)
– Schumann, Les Amours du poète (Eschenbach, Deutsche Gramophon)
– Brahms, La belle Maguelonne (Richter, EMI)
– Wolf, Das italienische Liederbuch (Schwarzkopf, Moore, EMI)
– Die Salzburger Liederabende 1956-1965 (coffret Orfeo)
– Mendelssohn, Paulus (Frühbeck de Burgos, EMI)

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