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Alain Altinoglu : « Je suis vraiment heureux de tout ce qui m’arrive. »

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Interview
23 août 2010

Infos sur l’œuvre

Détails

Avec ses cheveux bouclés, ses yeux clairs et son allure de poète, Alain Altinoglu fait l’unanimité. Sympathique, drôle, à l’écoute et doué entend-on à son propos dans les loges et dans la fosse. A 34 ans, le Maestro français d’origine arménienne est devenu une figure incontournable du monde de l’opéra. Nous l’avons rencontré aux Chorégies d’Orange où il dirigeait Mireille.

 

 

Comment êtes-vous devenu chef d’orchestre ?

 

Petit, j’adorais écouter les orchestres, lire les partitions. Pianiste de formation (j’ai fait toutes les classes du conservatoire, piano, accompagnement, harmonie) je transcrivais des partitions d’orchestre pour piano afin de les jouer à quatre mains avec ma sœur.

Puis je suis devenu chef de chant à l’Opéra de Paris. Je travaillais avec les chanteurs mais aussi les chefs d’orchestre. L’envie d’en faire mon métier  est née petit à petit. J’ai eu la chance de travailler avec de grands chefs géniaux, mais aussi avec d’autres moins bons. Parfois certains chefs étaient tellement mauvais que je me disais que je pouvais faire mieux. L’idée a germé. Alors que j’étais assistant à l’Opéra de Paris, j’ai eu un jour la chance de remplacer un chef qui était malade. Tout est parti de là ! Je suis autodidacte, j’ai appris ce métier dans les livres, en regardant d’autres chefs, en parlant avec eux…

 

Etait-ce une évidence de passer de chef de chant à la direction d’orchestre lyrique ?

 

Cela est assez évident en Allemagne par exemple. Là-bas on monte en grade en quelque sorte. D’abord on commence par être répétiteur à l’opéra, puis on devient chef de chant, ensuite chef de chef de chant, capel maester, etc. Pour les Allemands, il s’agit d’un cursus normal. Ça l’était pour moi aussi. La continuité était évidente. Je parle de chef lyrique évidemment car chef symphonique c’est un peu différent, ce n’est pas tout à fait le même parcours.

 

Vous êtes un amoureux fou des voix. Pourquoi ?

 

Au départ il y a ma rencontre avec ma femme Nora Gubisch ! J’étais très jeune, j’avais 12 ans. Un jour, elle m’a appris qu’elle chantait, je ne le savais pas. Je l’ai donc accompagné, c’est ainsi que j’ai découvert la voix. Je suis ensuite entré dans les classes d’accompagnement vocal au conservatoire. J’aime cette combinaison entre force et fragilité. La respiration aussi est une chose incroyable. En tant que pianiste on n’est pas obligé de respirer. Pour un chanteur cela est primordial. Certains pianistes l’oublient alors que la respiration fait partie du chant. La voix me touche. Chaque timbre est tellement particulier. Cette diversité de la nature est formidable. J’aime cette différence celle qui fait que chacun est unique. J’ai tellement de plaisir à travailler avec les chanteurs, les soutenir, les aider afin qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes.

 

Qu’attendez-vous d’un chanteur ?

 

Les mêmes qualités que pour n’importe quels musiciens. Le plus important pour un chanteur est de savoir allier aussi bien la technique vocale que l’interprétation scénique, dramaturgique. Chaque chanteur est unique. Tous arrivent avec une idée préconçue de ce qu’ils veulent faire. Ce qui est agréable pour un chef d’orchestre c’est lorsque ce dernier est malléable. Lorsque vous dirigez un opéra et que vous avez huit ou dix solistes différents, vous êtes là aussi pour qu’il y ait une homogénéité dans l’interprétation. Je prends un exemple au hasard. Vous dirigez un opéra comme Don Giovanni de Mozart et vous avez une optique plutôt classique, baroquisante de l’interprétation. Un chanteur arrive et vous propose une vision hyper romantique de l’œuvre avec un grand vibrato qui détonne totalement par rapport aux autres. Mon rôle est de travailler avec lui pour créer cette homogénéité. S’il est malléable et qu’il est prêt à aller dans le sens des autres cela est formidable. Mais s’il est têtu et qu’il campe sur ses positions, le spectacle va en pâtir. La souplesse est une qualité primordiale.

 

Et la prononciation ?

 

La prononciation est capitale. Tous les compositeurs d’opéras, tout du moins les plus grands, composent sur un texte. Même si parfois ils changent de texte, celui-ci reste vraiment important à l’opéra. On entend souvent dire que le chanteur prononce mal. Mais on ne se rend pas compte qu’en fait parfois, de près, le chanteur prononce bien. Ce qui donne cette impression c’est que l’orchestre est trop fort. Quand vous jouez plus fort la première chose que vous couvrez chez le chanteur ce sont les consonnes. Résultat nous n’entendons plus que les voyelles. Si vous jouez encore plus fort vous couvrez tout le chanteur. Il incombe donc au chef de faire la balance pour que chacun trouve sa place.

 

Vous êtes passionné de Wagner…

 

J’aime beaucoup la musique germanique du XVIIIe et de la fin du XIXe siècle : Wagner, Malher, Strauss… Ce qui me touche ce sont le vocabulaire et les harmonies. Tristan est mon Opéra préféré, mais j’adore aussi le Ring et Parsifal. Diriger un opéra de Wagner c’est comme conduire une grande symphonie avec voix et orchestre. Techniquement cela est extrêmement intéressant. J’apprécie plus de diriger Wagner et Strauss que les opéras italiens par exemple. Je trouve cela plus complet. C’est une question de goût.

 

Quelles sont les rencontres qui ont compté dans votre parcours ?

 

Notre vie est parsemée de rencontres même si elles ne sont pas directement liées à notre profession. Par exemple, la première fois que j’ai joué avec Pierre Boulez j’ai beaucoup appris. J’ai aussi rencontré des directeurs de théâtre qui m’ont fait confiance. Certains m’ont invité une première fois puis une deuxième. Dominique Meyer, Directeur de l’Opéra de Vienne, qui était à l’époque directeur du Théâtre des Champs Elysées, m’a connu comme pianiste. Un jour, il m’a invité à diriger Falstaff alors qu’il ne m’avait jamais vu travailler mais il m’a fait confiance en tant que musicien. Aujourd’hui il me réinvite à l’Opéra de Vienne. Toutes ces personnes sont des rencontres importantes. Même chose avec les chanteurs. Nora ma femme a été une personne clef dans mon parcours.

 

A 34 ans, vous avez des propositions pour les 5 ans à venir, vous allez diriger sur les plus grandes scènes…

 

Je le vis comme une expérience incroyable. Tellement de choses sont arrivés d’un coup. Un départ important : Salomé à l’Opéra de Paris, puis j’ai fait Carmen au MET et là je dirige Mireille aux Chorégies… L’Opéra de Paris est celui qui m’a le plus touché sentimentalement car c’est là bas que j’ai démarré ma carrière de chef alors que j’étais assistant. Sans oublier que j’y ai travaillé longtemps comme chef de chant. Aujourd’hui, où que je sois, une petite ville ou dans un grand théâtre, j’essaie toujours de faire mon métier le mieux possible. J’essaie de toujours faire abstraction du lieu. Évidemment plus vous êtes dans un endroit prestigieux, plus le niveau musical est élevé. Cela est motivant et grisant car on a envie de donner encore plus. Je suis vraiment heureux de tout ce qui m’arrive.

 

Est-ce que tout peut s’arrêter du jour au lendemain ?

 

Je touche du bois, mais je suis toujours prêt à cette éventualité. Lorsqu’on regarde les biographies de tous les artistes, chanteurs ou chefs d’orchestre, il y a toujours un moment de creux dans leur carrière. Il faut être prêt à cela. On doit passer par des moments difficiles surtout quand on a eu auparavant de belles années. Il existe en France comme partout d’ailleurs cet effet du tout nouveau tout beau. Je crois qu’il est important de faire les bons choix. Cela est encore plus valable pour les chanteurs qui sont grisés par les demandes, qui se mettent à chanter trop tôt des rôles trop larges et qui ont du mal à revenir en arrière. Pour les chefs, cela peut être la même chose. Il faut vraiment diriger les œuvres pour lesquelles on se sent prêt.

 

Vous dîtes que la musique est un échange, un ping-pong. Qu’entendez-vous par là ?

 

Le chef est à la fois un guide et un accompagnateur. Chaque orchestre a sa propre sonorité, sa propre manière d’aborder les œuvres. J’ai toujours mon idée musicale, mais si par exemple un soliste de l’orchestre me propose quelque chose auquel je n’ai pas pensé et qui me paraît bien je le prends. Il s’agit d’un échange. Avec les chanteurs, c’est la même chose. Encore une fois, si chacun reste sur ses idées cela ne peut pas fonctionner.

 

Diriger en France est difficile et vous êtes l’un des rares français…

 

Je ne sais pas peut-être parce que j’ai un nom à consonance étrangère. J’en ai parlé avec certains collègues et l’un d’entre eux m’a donné cette hypothèse. Lorsqu’on est français et qu’on dirige en France on se retrouve en face de personnes avec qui l’on a fait ses études au conservatoire. Plus tard dans le milieu professionnel le chef est celui qui décide, qui a d’une certaine manière le pouvoir. Le fait d’avoir appris les mêmes choses, d’être au même niveau rend délicat ce pouvoir que nous avons tout à coup sur les autres. Cela peut être venir de là. Je crois que l’adage « nul n’est prophète dans son pays » est aussi valable. Il est difficile pour moi de répondre à cette question car j’ai vraiment de la chance. Je dirige pratiquement tous les orchestres parisiens, je travaille à l’Opéra de Paris, je dirige en province.

 

Pourquoi cette envie particulière de diriger en France ?

 

Il existe une grande tradition d’orchestres français, de sonorités françaises. Les bois par exemple restent encore aujourd’hui la meilleure école au monde. Les hauts bois, les flûtes, les clarinettes, les bassons, sont excellents. Les pays étrangers intègrent beaucoup de musiciens français. Pour eux cela est très important, ils essaient de chercher cette sonorité. On parle de clarté, de transparence de son. Il s’agit aussi d’une manière d’aborder la musique très ancienne qui vient de Versailles. Nous n’avons pas du tout le même son en Allemagne, ni aux Etats-Unis. Les sonorités et la manière de jouer des différents orchestres correspondent souvent à la culture du pays. Chaque son a une raison d’être. Il existe vraiment un rapport entre la culture, la manière d’être, de parler et la musique. Même chose pour la discipline, elle est différente dans chaque pays.

 

Votre sensibilité à vous se rapprocherait de quelle culture ?

 

Il est certain que j’aime beaucoup le son français. En même temps je trouve qu’il est bien d’adopter un son qui correspond à la musique. Lorsque j’ai dirigé Faust à Berlin, j’ai collaboré avec un ancien orchestre de l’Allemagne de l’Est spécialisé dans Wagner et Strauss, qui joue avec un son très lourd. Nous avons dû beaucoup travailler pour que cela soit plus souple, plus clair, plus transparent. Ce travail est très intéressant à faire. Diriger Tristan à Vienne ou faire Falstaff à Milan, nous sommes d’une certaine manière dans le berceau de l’œuvre.

 

Vous avez un grand sens du théâtre ?

 

J’aime le théâtre, la dramaturgie. Dans la vie, je suis plutôt quelqu’un d’extraverti. J’aime le jeu et je crois qu’à l’opéra cela est très important. Le compositeur se base sur un livret et souvent il y a des rebondissements. S’il a voulu les inclure dans le livret, je crois que le rôle d’un chef est de les faire exister lorsqu’il dirige.

 

Vous considérez-vous comme un homme complet ?

 

J’essaie d’être meilleur chaque jour. La direction est une histoire d’expérience. À chaque instant on apprend dans tout. Je crois qu’il faut avoir plusieurs qualités dans plusieurs domaines. Il faut pouvoir progresser et se remettre toujours en question pour avancer.

 

Il ne vous reste plus que la mise en scène…

 

Non car je n’ai pas un bon œil. Quand je fais des photos, le résultat est catastrophique vous pouvez me croire. La mise en scène est un métier très différent de la direction d’acteur suivant la musique et le livret… Beaucoup de grands chefs s’y sont frottés mais sans grands succès… Aujourd’hui je n’y pense pas. Dans 20 ans peut être ! 

 

Propos recueillis par Raphaëlle Duroselle

 

 

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