OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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ZURICH
04/07/2007
 
© Photo Opernhaus Zürich / Suzanne Schwiertz

Giuseppe VERDI (1813 - 1901)

AÏDA 

Opéra en 4 actes
Livret d’Antonio Ghislanzoni
d’après Camille du Locle et Auguste Mariette Bey

Mise en scène : Nicolas Joël
Décors : Ezio Frigerio
Costumes : Franca Squarciapino
Eclairages : Hans-Rudolf Kunz

Aïda : Nina Stemme
Amnéris : Luciana D’Intino
Radamès : Valter Borin
Amonasro : Valeri Alexejev
Ramfis : Pavel Daniluk
Le Roi : Günther Groissböck
Un messager : Miroslav Christoff
Une prêtresse : Christiane Kohl

Orchestre et chœurs de l’Opéra de Zurich
Direction : Adam Fischer

Zurich, Opernhaus, 4 juillet 2007

D’un colonialisme à l’autre

Le hasard des calendriers a fait que trois représentations différentes d’Aïda – dont deux nouvelles productions – étaient données, trois soirs de suite, en trois lieux relativement proches : Zurich, Vérone et Avenches. J’ai donc décidé de suivre ce marathon, et de vous en rendre compte.

Première étape donc, Zurich, avec une production datant de l’an dernier (et disponible en DVD), mais reprise à la veille de l’été dans une distribution un peu différente. Il s’agissait donc de découvrir un spectacle en direct après l’avoir vu sur le petit écran, ce qui constitue toujours un exercice périlleux. Je rappelle que l’action a été transposée par Nicolas Joël dans les années 1880, à peu de choses près au moment de la mort de l’égyptologue Mariette, créateur de l’argument et artisan de la création. L’armée y est omniprésente en un moment où le pays est à deux doigts de sombrer dans un chaos encadré par la France et l’Angleterre. C’est donc très proche dans le principe de productions antérieures, comme celle de Gilbert Deflo à Glasgow et Bruxelles, où le défilé du triomphe de Radamès était projeté par lanterne magique devant toute la cour. Les questions qui se posent instantanément concernent donc essentiellement la crédibilité d’une telle transposition, son adéquation avec un livret conçu pour se dérouler dans l’antiquité, et sa pertinence face aux situations dramatiques.


Juan Pons (Amonasro) en 2006
© Photo Opernhaus Zürich / Suzanne Schwiertz

Première constatation, le spectacle fonctionne fort bien, et la reprise est d’une qualité que l’on peut mettre au niveau de la première série de représentations. Les décors sont splendides, les costumes d’une grande perfection, les éclairages particulièrement soignés, et l’ensemble de haute tenue. Ce genre de transposition ne peut bien évidemment perdurer que servie avec un soin tout particulier, et nous sommes ici au plus haut niveau. L’action se déroule dans une sorte de vaste véranda faisant penser à la galerie du palais construit au Caire pour l’impératrice Eugénie à l’occasion de l’inauguration du canal de Suez, et actuel hôtel Marriott. Lieu de passage, lieu de rencontre, lieu de réunion, ce hall devient en lui-même acteur de l’action, modifié au fil des actes et des scènes par l’adjonction d’un immense œil oudjat, d’une galerie couverte évoquant les bords du Nil ou s’ouvrant sur un cuirassé dont les canons sont pointés vers la salle. À la fin, une pyramide vient, dans l’obscurité, occuper le centre de l’espace. Reste que les sonorités de l’orchestre, quelque peu éteintes et même perçues comme confuses dans le DVD, sont confirmées sur place et viennent donc de problèmes d’acoustique de la salle.


Luciana D’Intino et Nina Stemme
© Photo Opernhaus Zürich / Suzanne Schwiertz

Adam Fisher réussit à maintenir de bout en bout une forte tension dramatique, et le plateau répond bien. Il faut dire que la distribution est globalement excellente, menée par une Nina Stemme dans une forme éblouissante, certainement très supérieure à sa prestation dans le DVD. C’est vraiment une Aïda idéale, dans le registre de la femme prenant en main sa destinée, et donc fort différente de nombre d’autres interprétations d’Aïda écrasées par leur destin. Le jeu est sobre et efficace, la voix est belle, ample et souple, et les petits défauts constatés dans l’enregistrement sont ici quasi complètement gommés. À la veille de reprendre, après Bayreuth, le rôle d’Yseult à Glyndebourne, Nina Stemme se confirme comme l’une des nouvelles étoiles montantes au firmament de l’art lyrique. En revanche, Luciana D’Intino accusait ce soir une certaine méforme passagère, rendant sa prestation inférieure au DVD ; bien sûr, la voix est toujours somptueuse et forte, mais le passage est plus présent, et nombre de répliques sont détimbrées. Face à ces deux monstres sacrés, le Radamès de Valter Borin ne pouvait que paraître bien pâle ; disons qu’il a sauvé les meubles. L’Amonasro de Valeri Alexejev et le Ramfis de Pavel Daniluk étaient, quant à eux, plutôt supérieurs à leurs confrères du DVD.


Nina Stemme et Salvatore Licitra (Radamès) en 2006
© Photo Opernhaus Zürich / Suzanne Schwiertz


Paradoxalement, cette représentation redonne tout leur sens aux être humains, débarrassés de la distanciation née de transpositions dans l’antiquité égyptienne. Ce sont vraiment des femmes et des hommes qui vivent et souffrent devant nous, beaucoup plus proches que ne le sont les personnages de l’antiquité. Côté mise en scène, c’est donc une production que je classerais immédiatement après celle de Dieter Kaegi (Erfurt, Monte-Carlo et Liège). Et côté plateau, c’est malgré les infimes faiblesses soulignées, et en raison de la présence de Nina Stemme, une représentation de tout premier plan.
En route maintenant vers ce que j’imaginais devoir être un classicisme de bon aloi… Prochaine étape : Vérone.


Jean-Marcel Humbert
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