C O N C E R T S 
 
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MONTPELLIER
25/07/06

Vivica Genaux (Irène)
© Marc Ginot
Antonio VIVALDI (1678-1741)

BAJAZET

Tragédie en trois actes RV 703 (1735)
Livret de Agostino Piovene (révision de Fabio Biondi)

Bajazet (empereur des Turcs) : Christian Senn, baryton
Irène (pricesse de Trébizonde) : Vivica Genaux, mezzo-soprano
Tamerlano (empereur des Tartares) : Romina Basso, mezzo-soprano,
Sax Nicosia (comédien)
Idaspe (confident d’Andronico) : Maria Grazia Schiavo, soprano
Asteria (fille de Bajazet) : Marina de Liso, mezzo-soprano
Andronico (prince grec) : Lucia Cirillo, mezzo-soprano

Mise en espace : David Livermoore
Costumes : Giuseppina Giustino
Lumières : Alberto Giolitti

Europa Galante
Direction: Fabio Biondi

Opéra-comédie
Montpellier
Mardi 25 juillet 2006

Biondi, le magicien

On sait les affinités qui unissent Fabio Biondi et Vivaldi depuis qu’un certain enregistrement des Quatre Saisons, en 1991 , produisit l’effet d’une bombe, au point de rendre caduques les innombrables versions qui l’avaient précédé. La musique du Prêtre Roux n’a cessé depuis de jalonner la carrière de Biondi : concertos, sonates, musique sacrée, figurent régulièrement au programme de ses concerts et de ses enregistrements. En 2005, il grave enfin un opéra de son compositeur fétiche pour Virgin Classics: il s’agit de Bajazet que le Festival de Montpellier a choisi de représenter, pour deux soirées, à l’Opéra-Comédie.

Cet opéra est en réalité un pasticcio qui mêle des musiques de compositeurs divers à celles écrites par Vivaldi, également auteur de tous les récitatifs. Cette pratique, très courante à l’époque, prend ici valeur de parabole. En effet, en 1735, lors de la création de Bajazet à Vérone, le dramma per musica vénitien dont Monteverdi et Cavalli avaient naguère jeté les bases, connaissait un inexorable déclin. Partout régnait en maître le style napolitain illustré par les castrats stars, Farinelli en tête. Aussi Vivaldi a-t-il confié « aux figures résistantes de la fidélité (Bajazet, Asteria et le loyal Idaspe), des airs exclusivement composés par [lui] ; aux figures oppressantes de l’hégémonie, conquérante ou servile (Tamerlano, Andronico et Irene) une majorité d’airs napolitains .» (1)

Cette symbolique a inspiré à Giuseppina Giustino de superbes costumes dans le style dix-huitième : les « bons » sont vêtus de blanc, avec un cape orange pour le couple Astéria/Andronico. Tamerlano, en revanche, porte une tenue noire et rouge. La robe d’Irene, aux teintes parme, d’inspiration orientale, est absolument somptueuse. On saura gré à Madame Giustino de nous avoir épargné les complets vestons et autre treillis qui encombrent trop souvent, de nos jours, les scènes lyriques.

L’ouvrage est représenté dans une astucieuse mise en espace de David Livermoore. Point de décors : hormis quelques accessoires, le plateau est nu. Au-dessus des chanteurs un plan incliné dans lequel une sorte de crevasse change de couleur (bleu, rouge, violet) au gré des situations, donne l’impression d’un livre ouvert. La direction d’acteur, précise et intelligible, colle parfaitement à l’action.

Si l’équipe réunie à Montpellier n’est pas aussi prestigieuse que celle de l’enregistrement, elle n’en est pas moins homogène et aligne des interprètes aux voix tout à fait différenciées, rompues au style virtuose qu’exige cette musique.

Le soprano léger de Maria Grazia Schiavo évoque la jeunesse du confident Idaspe et affronte avec bonheur les vocalises redoutables de l’air « Anche il mar par che sommerga », l’un des bis favoris de Cecilia Bartoli.


Lucia Cirillo, Marina de Liso
© Marc Ginot


Le couple d’amoureux est incarné par deux mezzo-sopranos aux timbres contrastés : Lucia Cirillo, dotée d’une voix claire et d’une ligne de chant élégante, campe un Andronico fébrile et passionné. Si le registre aigu a paru instable dans son premier air « Quel ciglio vezzosetto », la voix a gagné en assurance au fil de la soirée. Marina de Liso est une Asteria amoureuse et volontaire, les moyens sont conséquents et l’implication théâtrale idoine. Au troisième acte, l’air dramatique « Svena, uccidi, abbatti, atterra » lui a valu une belle ovation.

Voix solide, timbre clair, technique maîtrisée, le Bajazet de Christian Senn est d’une grande noblesse. A mesure que l’action progresse, son personnage gagne en autorité et intensité comme en témoigne l’air poignant du deux « Dov’é la figlia » et le grand récitatif accompagné « Odi, perfida ».


Christian Senn & Lucia Cirillo
© Marc Ginot


Déjà connue par le disque, l’Irène de Viviva Genaux irradie d’une présence scénique indéniable. Si le timbre possède quelques accents plébéiens, notamment dans le registre grave, la technique est souveraine et les différents affects du personnage sont caractérisés avec subtilité : son air d’entrée, à la fin du un, « Qual guerriero in campo armato » dispense un feu d’artifice de vocalises qui a fait sensation tandis que l’émotion était palpable, au deux, dans le célèbre « Sposa son disprezzata ».

La révélation de la soirée est sans conteste Romina Basso qui remplace Carlos Mena, souffrant, dans le rôle de Tamerlano (créé d’ailleurs par une cantatrice). Elle chante sa partie dans un coin du plateau tandis qu’un comédien l’interprète sur la scène. Cette jeune mezzo-soprano arbore un timbre riche et fruité et une voix ample capable des nuances les plus raffinées. Un nom à retenir.

Dirigeant depuis son violon Fabio Biondi défend avec conviction cette œuvre magnifique. Plus théâtrale qu’au disque, sa direction met en valeur les divers contrastes de la partition tout en lui insufflant une unité de style surprenante. En véritable maître d’œuvre, il tire de son orchestre, tout comme de son instrument, des sonorités envoûtantes aux coloris chatoyants.

Un spectacle qui se déguste avec gourmandise, et constitue un jalon supplémentaire dans la redécouverte scénique des opéras Vivaldi.


 
Christian Peter



Note


(1) extrait de la notice de présentation de l’ouvrage par Frédéric Delaméa qui figure dans le programme du spectacle ainsi que dans le livret qui accompagne l’intégrale en CD.
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