OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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BORDEAUX
12/10/2007
 
© Guillaume Bonnaud


Giacomo PUCCINI (1858 – 1924)

LA BOHEME

Opéra en 4 tableaux,

créé au Teatro Regio de Turin le 1er février 1896
Livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica
d’après Henry Murger (Scènes de la vie de bohème - 1849)

Mise en scène, Laurent Laffargue
Décors, Philippe Casaban et Eric Charbeau
Costumes, Hervé Poeydomenge
Lumières, Patrice Trottier

Rodolfo, Jesús Garcia
Schaunard, David Grousset
Benoît / Alcindoro, Antoine Normand
Mimi, Nathalie Manfrino
Marcello, Paulo Szot
Colline, Nicolas Cavallier
Musetta, Anne-Catherine Gillet
Parpignol, Alexis Defranchi
Un sergent, Bernard Mansencal
Le douanier, Jean-Marc Bonicel
Un marchand, José-Luis Victoria  

Direction musicale, Marco Balderi

Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Chœur de l'Opéra National de Bordeaux

Bordeaux, Grand Théâtre, le 12 octobre 2007, 20h00

Les jours heureux !


On le disait l’autre jour au sujet de Rigoletto à Rouen en donnant pour exemple l’enlèvement de Gilda : certaines scènes à l’opéra ne sont pas évidentes à représenter. La Bohème ne fait pas tant de complications : quatre tableaux, trois décors, une histoire simple sans intrigue ou presque, des situations claires ; le metteur en scène boit du petit lait, la plus grande difficulté étant de rendre plausible les gamineries des protagonistes. Attention tout de même car le premier et le dernier acte peuvent rapidement tourner au grotesque quand une bande de chanteurs ventripotents et grisonnants s’essayent à jouer les potaches. On se souvient de grands noms dont le plumage hélas dépréciait le ramage. Luciano Pavarotti, pour ne pas le citer, idéal au disque l’était-il autant à la scène ?

La question ne se pose pas avec l’équipe réunie à Bordeaux autour de Laurent Laffargue. Sa jeunesse et son allure l’autorisent à toutes les galipettes. Le metteur en scène peut, sans craindre le ridicule, projeter l’action au cœur des années 60, Mimi jouer les babas cool, Musetta devenir Stone et « stoned », Rodolfo gonfler sa mèche en banane : ça décoiffe mais ça marche ! On comprend la mansarde aux couleurs psychédéliques ; on accepte que le café Momus se réclame du feuilleton « Les jours heureux » ; on conçoit que le cabaret de la Barrière d’Enfer soit transformé en une boîte de nuit dont les néons tracent le nom en blanc : « La Bohème ». On l’admet d’autant mieux que le livret est respecté à la lettre, que l’ensemble compose un tout cohérent et qu’au-delà du système, il y a une réelle mise en phase du jeu des interprètes avec l’action et la musique.


© Guillaume Bonnaud

On regrette alors de pas plus être à la fête vocalement. Un excellent Marcello - Paulo Szot viril et chaleureux - consacré par l’applaudimètre, une Musetta trépidante et affranchie, au point de friser la vulgarité - Anne-Catherine Gillet - ne suffisent pas à La Bohème.

L’opéra de Puccini braque d’abord le projecteur sur la figure du poète Rodolfo et sur celle de la cousette Mimi. A eux, les plus beaux airs et presque tous les duos, à eux le lyrisme du quatuor, longue mélodie à deux voix que Marcello et Musetta se contentent de contrepointer. Il faut pour dessiner ces amants magnifiques, et là se trouve peut-être la difficulté, deux chanteurs qui ne forment qu’un. C’est le premier reproche qu’on peut adresser à Nathalie Manfrino et Jesús Garcia : ils ne font pas la paire. Elle raide, dure parfois, large et sonore ; lui souple et suave mais d’un format vocal plus étroit et d’une puissance moindre, deux identités opposées qui ne se complètent pas, pire qui se nuisent en accentuant malgré elles les défauts de l’autre.
On doute de plus que Jesús Garcia, ténor léger plus que lyrique, ait réellement les moyens du rôle. Il lui manque la puissance, on le disait déjà, mais aussi le muscle pour soutenir la tension et la dynamique des longues phrases pucciniennes, la vaillance donc et l’aigu : le contre-ut d’« O soave fanciulla » est pris à la tierce en dessous tandis que les si bémol de la Barrière d’Enfer trahissent l’effort.
Mimi semble mieux dans les cordes vocales de Nathalie Manfrino, suffisamment aguerrie pour surmonter les élans dramatiques du troisième acte ; la ligne légèrement instable mais le médium nourri, l’aigu assuré. On cherche cependant, en vain le charme, la poésie, la transparence de la jeune cousette, cette matière diaphane et frémissante qui se consume dans un souffle et qui, ajoutée aux cris désespérés de Rodolfo, appelle au sanglot. Ce soir, on n’a pas sorti les mouchoirs.



Christophe RIZOUD
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