OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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BILBAO
23/10/2007
 
© E. Moreno Esquibel


Gaetano DONIZETTI

ANNA BOLENA

Livret de F. Romani

Anna Bolena: June Anderson
Giovanna Seymou r: Marianne Cornetti
Riccardo Percy : Josep Bros
Enrico VIII : Chester Patton
Smetton : Marita Paparizou
Lord Rochefort : Christophe Fel
Sir Hervey : Jon Plazaola


Direction : Kery-Lynn Wilson

Production originale : Jonathan Miller
Réglée par : Gianfranco Ventura
Scénographie : Roni Toren
Costumes : Claire Mitchel
Eclairages : Robert Bryan


Bilbao, 23 octobre 2007 

UNE REINE QUI A DES MALHEURS



« Anna Bolena » est un Donizetti d’exception ; beaucoup d’ouvrages du compositeur de Bergame ont été remis à l’honneur au XXème siècle avec un succès durable ; mais en recréant le personnage pour la Scala de Milan en 1957, Maria Callas marqua à ce point le rôle que peu de cantatrices ont finalement réussi à imposer leur propre vision de la reine martyre. Montserrat Caballé, belcantiste accomplie pourtant, s’y cassa les dents à la Scala, le théâtre milanais portant beaucoup de goût aux mises à mort. Beverly Sills en revanche su imposer une vision à la fois plus belcantiste (par sa virtuosité) et néanmoins dramatique (par un engagement sans faille) ; Joan Sutherland enfin, est la dernière référence moderne (il y a plus de 20 ans …) : si l’édition studio témoigne d’une certaine fatigue, la scène la trouve totalement enthousiasmante, y compris à Londres pour ses adieux de 1987, quelques mois après ce même enregistrement.

Tout ceci pour dire qu’en s’attaquant au rôle d’Anna Bolena, June Anderson a choisi de se confronter à quelques unes de plus grandes références de la « Donizetti Renaissance ». Et force est de constater que le résultat, tout en restant dans les sommets ne bouleverse pas le trio de tête.

Côté positif, la voix du soprano américain a gardé une fraicheur étonnante : timbre intact, à peine un peu plus corsé, vocalises aisées, ornementation intelligente et audacieuse ; seul le suraigu parait plus limité, la chanteuse « se limitant » (on ose à peine l’écrire) à un contre-ré moins spectaculaire que par le passé. Et il n’y a pas que la voix : physiquement, June Anderson a gardé sur scène l’allure de ses Marie, Lucie ou Elvira parisienne.

Mais la tessiture du rôle, trop grave pour ses moyens, lui pose incontestablement quelques problèmes (1) et en particulier celui de se faire entendre : trop sollicitée dans le bas médium, la voix manque à plus d’une fois de la projection nécessaire pour passer l’orchestre. La chanteuse est également moins libérale en matière de suraigus (2).

Scéniquement, June Anderson campe un personnage de victime consciente, incapable d’échapper au piège qui se referme lentement sur elle. L’approche est intéressante mais néglige le fait qu’Anne Boleyn est aussi une reine et à aucun moment on ne la sent se rebeller et se rappeler à sa condition. Il y a un monde entre le « Giudici ! Ad Anna ! » outragé de Joan Sutherland et celui, catastrophé, de June Anderson.

Il faut dire que le soprano n’est guère aidé par la direction mollassonne de la canadienne Kery-Lynn Wilson, incapable d’alterner proprement les passages élégiaques et les moments de tension (dès l’ouverture, on se croit dans « Don Pasquale ») et couvrant souvent les chanteurs.

On retiendra néanmoins quelques grands moments qui font tout le prix de cette soirée : la reprise ornée « Giudici ! Ad Anna ! », époustouflante de virtuosité, l’affrontement avec Seymour et un des plus beaux « Al dolce guidami », en état de grâce absolu, où la beauté du chant sert une interprétation d’une tristesse désespérante.

Remplaçant au pied levé Sonia Ganassi, Marianne Cornetti est une Giovanna Seymour plus proche de Simionato, Obraztsova ou Cossotto que de Marylin Horne. Le timbre est un peu quelconque, l’interprétation pas toujours très raffinée, mais les moyens (ceux d’une Amnéris) sont franchement impressionnants. Une telle insolence vocale mérite le respect !

Marita Paparizou en est l’exact inverse : une voix parfois fâchée avec la justesse, qui a beaucoup de mal à passer la rampe, mais un timbre riche de contralto et une remarquable capacité à colorer le chant qui évoque à plus d’une reprise l’art de Marylin Horne.

Sans atteindre l’aisance de Blake ou de Merritt, Josep Bros s’en montre le digne successeur. Le ténor catalan triomphe avec aplomb de la tessiture épouvantable du rôle de Percy et il en chante à peu près toutes les notes et reprises. De plus, l’émission est moins nasale que par le passé et la voix a gagné en largeur et en projection, sans perdre dans le registre aigu ce qui nous vaut des contre-ré très spectaculaires.

Chester Patton campe un Henri VIII égoïste, manipulateur et brutal. Mais ces talents dramatiques ne compensent pas une technique sommaire et des moyens limités. Certes, toutes les notes y sont, mais au prix de quelles contorsions !

Christophe Fel est un Rochefort vocalement de belle prestance. Dramatiquement, la basse française ne se contente pas de jouer les seconds couteaux et sait tirer le meilleur parti d’un rôle a priori assez ingrat. En Sir Hervey, Jon Plazaola fait également preuve d’une belle aisance vocale.

La production est une reprise d’un spectacle ancien, déjà vu à Monte Carlo, et remonté sans beaucoup de soins. Le décor est fait de gigantesques cubes de planches en bois peintes en blanc assemblés au hasard au fil des scènes, les costumes sont plus ou moins dans le style de l’époque, et les meilleurs moments sont ceux où les chanteurs sont livrés à eux-mêmes et peuvent se camper devant le trou du souffleur (sinon le metteur en scène semble prendre un malin plaisir à cacher les solistes en fond de scène derrière les choristes).

Malgré ces réserves, c’est tout de même la satisfaction qui domine : les occasions sont trop rares d’entendre ce magnifique ouvrage, sans coupure et dans un style adéquat.


Placido CARREROTTI


Notes

1.    Par exemple, la note grave finale du « Manca compire il delitto. d'Anna il sangue, e versato sarà » est quasiment hors d’atteinte
2.    La cabalette finale en est ainsi privé, à ma grande frustration !

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