OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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LYON
09/03/2008


© DR
Guillaume BOUZIGNAC (1587-après 1643)

ECCE HOMO

Motets mariaux, motets pour le temps de Noël et motets de la Passion
Monodies et polyphonies
extraites d’un manuscrit franciscain du XVIIe siècle conservé à Bastia

Le Concert de l’Hostel-Dieu
Franck-Emmanuel Comte

Lyon, église Saint-Bruno des Chartreux
le 09 mars 2008

Ce qu’a dû ressentir Howard Carter en ouvrant le tombeau de Toutankhamon


On peut donner quatre étoiles à un concert pour plusieurs raisons. Il peut être « simplement » excellent ; cela arrive parfois. Il peut renouveler l’image, l’approche que l’on a d’un compositeur ou d’une œuvre ; cela aussi peut se produire. Il peut enfin – et c’est le plus beau miracle d’un live – juxtaposer des qualités éminemment subjectives et a-musicales – ou supra-musicales – qui ouvrent dans le temps, dans le cours d’une vie, une brèche. Comme une percée de lumière ou au contraire un voile d’ombre jetés sur ce que nous pouv(i)ons penser – à tort – être acquis ou su. C’est une des valeurs indéniables qu’il faut reconnaître au concert ; nous bousculer, parfois, au-delà même de sa vocation première de divertissement – dans le sens noble du terme.

C’est ce qui s’est produit avec le concert que Franck-Emmanuel Comte et son concert de l’Hostel-Dieu ont consacré à Bouzignac. Là, il ne s’agissait pas de découvrir le compositeur, mais pour beaucoup, de l’entendre pour la première fois. Et, dans cette optique « Sherlock Comte » fait fort ; très fort.

Bouzignac, c’est en effet l’un des gros points d’interrogation du XVIIe siècle français. Un voyageur inlassable – du sud de la France il a rayonné en Espagne et en Italie ; un grand méconnu aussi – inconnu c’est un peu fort – jamais publié de son vivant, ce qui explique le très injuste anonymat dans lequel l’histoire – pas très bonne fille, pour le coup – l’a posthumément jeté. Bouzignac c’est deux manuscrits, l’un conservé à Tours et l’autre à la BNF. Bouzignac c’est un peu le chaînon manquant, la parcelle qui manque dans le continuum franco-italien du siècle d’or.

Sa musique de Bouzignac est inclassable ; concise ; virtuose ; bouillonnante ; un théâtre d’âmes, de passions, d’affects. La musique de Bouzignac c’est une toile brossée à grands traits et – ce n’est qu’apparemment paradoxal – fouillée jusqu’au plus profond de ses harmoniques. La musique de Bouzignac, c’est autant de petits tableaux de chevalets offerts aux yeux du public, comme une galerie de toiles de Baugin ; des toiles suprêmement ordonnancées, glacées de tons nacrés, aptes à tous les dégradés et à toutes les juxtapositions – voyez l’Ecce homo – du clair-obscur à la lumière la plus crue… avec toujours un petit supplément de tendresse qui parle au cœur.

C’est drôle comme, parfois, un chef, un ensemble peuvent se confondre avec les qualités d’un ouvrage musical. Est-ce à dire qu’ils l’ont épousé jusque dans ses méandres les plus secrets ou qu’ils l’ont tiré vers eux, mis à leur dimension ? Peu importe après tout quand la symbiose se fait avec un tel naturel ; avec une telle évidence !

Il faut saluer comme le Concert de l’Hostel-Dieu mûrit d’une production à une autre. Comme il gagne en poids, en qualité, en rondeur. Ici, la musique coule, tout simplement.  C’était vrai pour un Charpentier de l’avent ; cela l’est ici plus encore. Comte arrive à tirer de son ensemble des trésors dans l’inflexion, dans les couleurs, dans les nuances – dans tous les sens du terme – qui sous cache sous les apparences du naturel. Et c’est d’autant plus louable lorsque la construction est complexe comme celle de Bouzignac, avec son flux, son reflux, ses flots brisés et son ressac.

Il serait idiot, alors, de vouloir détailler les trésors du concert ; la fraîcheur – quelles voix féminines ; je mettrais ma main à couper, moyennant un tout petit anachronisme, que les « demoiselles de Saint-Cyr » devaient être du même tonneau – des motets mariaux ; la rigueur trompettante du Jubilate Deo ; et jusqu’au bercement ascétique du Ha plange qui rejette l’auditeur, comme vidé, dans les ténèbres qui vont si bien aux temps qui précèdent Pâques. Une longue – très longue mais si belle – médiation/méditation dont on ne ressort pas indemne, en somme.

Il faut, aussi, savoir laisser parler la subjectivité.


Benoît BERGER

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