C O N C E R T S 
 
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NANTES
12/09/04

Ewan Bowers & Eva Jenis
© photos Vincent JACQUES
(pour Angers Nantes Opéra) 
Giacomo PUCCINI (1858 - 1924)

MADAMA BUTTERFLY (1904)

Opéra en trois actes
Livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica
D'après la pièce de David Belasco
inspirée d'une nouvelle de John Luther Long

Créé à la Scala de Milan le 17 février 1904

Direction musicale : Pascal Verrot

Mise en scène : Jean-François Sivadier

Collaboratrice artistique : Véronique Timsit
Décor : Jean-François Sivadier et Virginie Gervaise 
Costumes : Virginie Gervaise
Lumière : Philippe Berthomé

Choeurs d'Angers Nantes Opéra direction Xavier Ribes
Orchestre National des Pays de la Loire

Cio-Cio San : Eva Jenis
Pinkerton : Evan Bowers
Suzuki : Liliana Mattei
Sharpless : LeRoy Villanueva
Goro : Nicolas Gambotti
Le Prince Yamadori,
Le Commissaire impérial : Christophe Gay
Le Bonze : Cyril Rovery
Kate Pinkerton : Yaël Pachet
Yakuside ; Michel Eumont
La mère de Cio-Cio-San : Fabienne Rispal
La tante de Cio-Cio-San : Renée Comsa
La cousine de Cio-Cio-San : Irina Martin
Le serviteur : Christophe Tartandra

Co-production Angers-Nantes-Opéra 
Lille 2004/Opéra de Lille
Opéra de Nancy et de Lorraine

Représentation du 12 septembre 2004
Théâtre Graslin de Nantes



Le centenaire de la création de la tragédie japonaise de Puccini Madama Butterfly est célébré par une production créée à Lille le 11 mars 2004, reprise à Monte-Carlo, Amiens et Caen, à l'affiche de Nantes et Angers du 8 au 26 septembre 2004 avant d'être montée à Nancy et Forbach du 30 janvier au 11 février 2005.

Profitant de l'engouement de l'époque pour un Japon lointain et féerique, Puccini imagine en 1904 à Nagasaki le mariage de dupes entre un lieutenant de la marine américaine, jeune, inconscient et une innocente Japonaise de quinze ans, issue d'une famille autrefois aisée, pratiquant le métier de geisha afin de pourvoir aux besoins de ses honorables parents. Mariage de convenance, le temps d'un simple séjour, sur lequel ferment les yeux la famille, les amis, les autorités... Seule Cio-Cio-San veut croire à cette union et va jusqu'à renier ses origines et sa religion pour être plus américaine, tandis que son soi-disant mari, bien que séduit par ce "papillon charmant", pense déjà à son vrai mariage américain et ne veut pas voir, malgré les avertissements du consul américain Sharpless, la profondeur des sentiments de "Madama Butterfly". Elle ne cessera de guetter pendant des années le retour de son éphémère époux. Elle tentera un dernier argument en révélant l'existence de son fils : la mère d'un Américain ne peut être répudiée comme une première Japonaise venue ! Mais devant l'ultime sacrifice que Pinkerton lui demande lâchement, le laisser emmener son enfant, elle pensera ne retrouver sa dignité bafouée qu'au travers d'un geste extrême : l'identification avec son père dans une mort rituelle.

Après une entrée remarquée dans le monde du théâtre avec, notamment, La Folle journée ou le mariage de Figaro de Beaumarchais et La Vie de Galilée de Brecht, Jean-François Sivadier signe sa première mise en scène d'opéra.

Rayant d'un trait de plume l'exotisme désuet, oubliant le propos moral d'un début de siècle en pleine mutation, il choisit l'épure et l'allusion pour ne s'intéresser qu'à la longue attente de Butterfly, cette incroyable passion sourde aux conseils, aveugle devant les évidences. L'ouvrage, monté de façon "dépouillée" et "hors de tout folklore nippon", n'a aucun décor proprement dit mais un vaste plateau hérissé de voiles ou de pans de toiles suggérant à la fois l'action, le lieu, l'espace intérieur ou extérieur, un temple, un pont de bateau, l'écume, les vagues de cette mer indéfiniment scrutée par l'espoir du retour. L'imaginaire du spectateur est stimulé à la fois par cet univers qui accompagne l'intemporelle solitude amoureuse et par les gestes significatifs des interprètes simulant le masque comme le fait le théâtre Nô.

Eva Jenis, soprano née à Brastislava (Slovaquie), marque sa première Butterfly. Elle est une jeune fille moderne, presque une femme déterminée, croyant en l'amour, ce qui la mène au suicide. Sa voix est pleine, parfois un peu dure, sans aucune note approximative, avec une belle variété de couleurs, elle sait lier le récitatif au grand air du deuxième acte "un bel di vedremo" sans rupture ni effet facile. Sa mort est très sobre : entourée de ses amies geishas elle se poignarde dignement, sans aucune grandiloquence.

Le ténor lyrique américain Evan Bowers campe un Pinkerton à l'aigu sonore, étincelant, particulièrement dans "America for ever".... Il gagnerait à adoucir son duo d'amour par quelques demi-teintes pour en traduire la sensualité. L'air du dernier acte ("addio fiorito asil "), chanté à pleine voix, n'exprime pas l'émotion attendue d'un homme qui revoit le lieu où il dit avoir passé des instants de bonheur.


Liliana Mattei, Eva Jenis

Suzuki, rôle secondaire et qui passe souvent inaperçu, est très bien interprété par la mezzo roumaine Liliane Mattei, dont la voix épouse parfaitement la tessiture et emplit largement, mais sans exagération, le théâtre Graslin.

LeRoy Villanueva apporte à Sharpless la dimension humaine voulue pour le Consul. Il mérite une mention spéciale pour sa voix de baryton bien timbrée dont l'aigu comme le grave résonnent sans faille et sa vision du rôle, tantôt volubile, tantôt ému lorsqu'il découvre la détresse de l'héroïne. 

Les choeurs de l'A.N.O., conduits par Xavier Ribes, sont particulièrement remarqués dans le choeur à bouches fermées en fond de scène, à moitié plongés dans l'obscurité. A la tête de l'Orchestre National des Pays de La Loire, Pascal Verrot sait faire sonner les cuivres aux moments dramatiques et donner aux cordes l'émotion requise dans les mouvements passionnés.

Cette production confirme que Madama Butterfly, l'opéra préféré de Puccini ("le plus sincère et le plus évocateur que j'ai jamais conçu" disait-il) marque un retour au drame psychologique, à l'intimisme et à la poésie des petites choses.
 

E.G. SOUQUET
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