OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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PARIS
21/01/2008
 
© Elisabeth Carecchio


Jean-Baptiste LULLY (1632 – 1687)

CADMUS & HERMIONE
(1673)

Tragédie lyrique en un prologue et cinq actes
sur un livret de Philippe Quinault
d’après Les Métamorphoses d’Ovide.

Cadmus André Morsch
Hermione Claire Lefilliâtre
Arbas Arnaud Marzorati
La Nourrice Jean-François Lombard
L’Envie Romain Champion
Isabelle Druet, Camille Poul

Danseurs, Chœur et Orchestre du Poème Harmonique

Direction artistique et musicale Vincent Dumestre
Mise en scène Benjamin Lazar
Chorégraphie Gudrun Skamletz
Chef de chœur Daniel Bargier
Scénographie Adeline Caron
Costumes Alain Blanchot
Lumières Christophe Naillet


Paris, Opéra Comique
21 Janvier 2008

« Tout brille de l’éclat de la clarté nouvelle » (Prologue)


Je m'en vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus secrète jusqu'aujourd'hui, la plus brillante, la plus digne d'envie. Eh bien ! Il faut donc vous la dire : la tragédie lyrique est revenue. Elle est revenue avec ses ors et sa pompe, avec sa spontanéité et ses couleurs, avec le sourire complice des saltimbanques, l’héroïsme des Précieux, la noblesse de la tragédie. Et cette critique n’est pas une chronique ordinaire où l’on dissèque tour à tour les actes et les chanteurs, c’est un billet virevoltant, gonflé de l’enthousiasme invincible des paladins du Tasse ou de l’Arioste, et qui n’a d’autre but que de faire partager aux lecteurs un pur moment de bonheur musical.

Revenons en arrière, non pas en 1673, date de naissance de la tragédie mise en musique, mais il y a 20 ans. 20 ans déjà que le tandem Jean-Marie Villégier / William Christie ressuscitait Atys, dans une mise en scène à la fois moderne et baroquisante, ébranlant les idées reçues à propos d’un Lully aussi pompeux qu’injouable. Dans la foulée, Jean-Claude Malgoire et Jean-Louis Martinoty avaient également signé une grandiose réalisation d’Alceste en 1991-1992 avec des cavaliers emperruqués juchés sur leurs froides montures de marbre. Pourtant, l’on attendait toujours désespérément une renaissance de la tragédie lyrique, dans sa globalité et sa cohérence. Plus de 8 mois de travail acharné ont été nécessaires à Benjamin Lazar et Vincent Dumestre pour préparer ce coup d’éclat.


© Elisabeth Carecchio

Comment rendre compte de cette incontestable réussite qui est avant tout le fruit d’une équipe ? On voudrait tout louer, et tout louer à la fois, sans préséance et dans le désordre. Alors, tel un Cyrano balbutiant, ces réflexions « je vais vous les jeter, en touffe, sans les mettre en bouquet » : je dirai, hésitant, qu’on ne peut être que confondu devant la beauté exotique et chatoyante des costumes et des décors inspirés de Bérain ou de Vigarani, émerveillé devant les machineries qui meuvent les furies, les dragons et les dieux, transforment à vue les palais de carton-pâte en rochers odieux, effeuillent d’un souffle destructeurs les tendres ombrages en déserts affreux. Tandis que la lueur tremblotante des bougies nimbe chaleureusement la scène, les danseurs et les chanteurs de son voile de poésie, dessine ça et là des nuages sur les fards et se réfléchit sur les miroirs et les charmilles dorées, on découvre soudain que les accents du français restitué sont tout à fait compréhensibles, que la gestuelle hiératique érigeant les protagonistes en statues versaillaises paraît incroyablement appropriée à cet écrin, et que si Quinault avait du talent et de l’humour, Lully avait du génie.


© Elisabeth Carecchio


Car nous n’avons encore touché mot de la musique de cette première tragédie lyrique, fraîchement sortie de la comédie-ballet et au livret encore très vénitien dans le panachage des dieux, héros et personnages comiques secondaires (dont la Nourrice travestie de Jean-François Lombard qu’on jurerait échappée de Monteverdi ou de Cavalli). La partition se révèle d’une inventivité bouillonnante qui laisse la part belle aux ariettes, aux chœurs et aux danses, au détriment des grands airs ou récitatifs dramatiques, en dépit du monologue de Cadmus « Belle Hermione, hélas ! Puis-je estre heureux sans vous » (V,1). Elle charme insidieusement par son apparente limpidité, sa mélodie franche et directe, son économie de moyens (la scène des adieux de Cadmus et Hermione toute en retenue n’en est que plus bouleversante), la constante recherche des changements de climats.

Le Poème Harmonique a incontestablement gagné en ampleur et en liant depuis Le Bourgeois Gentilhomme, et Vincent Dumestre se délecte des sonorités de l’orchestre à cinq parties, joue avec les timbres notamment sur l’opposition entre les bois grainés et les trompettes tonitruantes, sculpte les vers de Quinault syllabe par syllabe. L’orchestre est vivant, articulé, soucieux des contrastes ; le continuo sensible, très dynamique, mais avec douceur et prévenance. Les chœurs sont de la même veine et font preuve d’une remarquable homogénéité doublée d’une sensuelle rotondité du phrasé. Enfin, last but not least, les solistes frisent la perfection. Nous avons ainsi retrouvé l’égalité des registres, la clarté de la projection et les aigus lunaires de Claire Lefilliâtre, découvert en André Morsch un fort noble Cadmus (le baryton allemand fait par ailleurs preuve d’une impeccable diction française). A ses côtés son veule compagnon Arbas, Leporello avant la lettre, permet à Arnaud Marzorati d’allier son goût du chant et de la comédie grâce à une interprétation truculente digne de son Grand Moufti du Bourgeois, et de soupirer vainement auprès du soprano perlé et mutin d’Isabelle Druet. Et il faudrait ainsi citer tous les chanteurs dans un fastidieux catalogue d’éloges…

Vous l’aurez évidemment compris, ce Cadmus et Hermione fait partie de ces spectacles d’exception dont le souvenir hante le spectateur au réveil et l’oblige à se demander s’il n’a pas rêvé. Pour ceux qui ne pourraient assister aux représentations triomphales de l’Opéra Comique ou de Rouen, la tragédie sera retransmise le 26 janvier sur France Musique, tandis que la parution prochaine d’un DVD Alpha est espérée pour la rentrée 2008 afin de préserver pour la postérité ce Cadmus & Hermione simplement historique.


Viet-Linh NGUYEN
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