C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
GENEVE
26/04/06
Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)

LA CLEMENZA DI TITO

Opera seria en deux actes
Livret de Caterino Mazzola d’après Métastase

Coproduction du Welsh National Opera
et de l’Opéra national de Bordeaux
Reprise en collaboration avec le Théâtre de Caen

Mise en scène, décors et costumes, Yannis Kokkos
Lumières, Patrice Trottier

Tito, Charles Workman
Vitellia, Anna Caterina Antonacci
Servilia, Corinna Mologni
Sesto, Joyce Di Donato
Annio, Marie-Claude Chappuis
Publio, Martin Snell

Orchestre de chambre de Lausanne
Continuo, Xavier Dami

Chœur du Grand Théâtre
Direction, Ching-Lien Wu

Direction musicale, Christian Zacharias

Genève, le 26 avril 2006

L'envol de Poppée

Lorsque Tito, dans la scène finale, apprend que Vitellia était l’âme de la conjuration destinée à l’assassiner, et se demande qui ne l’a pas trahi, le public réuni dans le Bâtiment des Forces Motrices pouffe. Avec raison, car ce personnage accumulant les infortunes a quelque chose de comique, comme le grave Publio engoncé dans ses certitudes et les jeunes amoureux, Servilia et Annio. Et c’est une des complexités de cet ouvrage parfois injustement méprisé que d’allier les concepts les plus sérieux et des situations cocasses.

Mais dans la version proposée à Genève, qui n’a pas pris une ride bien que conçue il y a quelques années, Yannis Kokkos adopte l’angle du serio absolu. Dans un espace nu où l’absence de verticales représente éloquemment le manque d’aplomb du règne de Tito, le siège susceptible d’être un trône  est placé à l’intersection de deux espaces, suggérant la position d’un souverain incertain de ses choix . Pendant l’ouverture, une femme vêtue à l’orientale passe, accompagnée d’une escorte ; prenant une écharpe déposée sur le siège, après un dernier regard à l’homme apparu à jardin elle sort à cour . Ainsi Bérénice, qui aurait pu être impératrice, a quitté Titus, dont l’attitude exprime successivement l’accablement et la détermination : cet homme est un héros.

La mise en scène sera tout au long du spectacle à cette image : explicite, précise et légère. Lumières et costumes concourent à créer un univers où l’antiquité est montrée à travers le prisme des représentations esthétiques du XVIII° siècle, en un élégant et savoureux amalgame de formes et de styles. Couleurs sombres pour Tito, victime de la trahison, pour Vitellia, l’âme damnée de Sesto, et pour ce dernier une alternance de noir et de blanc conforme aux valeurs antagonistes entre lesquelles il est écartelé. Aucune longueur, un enchaînement fluide, un régal.

Musicalement et vocalement, c’était aussi la fête. Certes, Christian Zacharias ne regarde guère les chanteurs, mais c’est probablement qu’il leur fait confiance. Il conduit un Orchestre de chambre de Lausanne homogène avec une énergie, une détermination sensibles dès l’ouverture,  mais l’équilibre sonore avec le plateau est idéal. La rapidité un peu excessive de certains tempi devrait s’ajuster au fil des représentations.

Honneur aux dames, la Servilia de Corinna Mologni, remplaçant Ermonela Jaho primitivement annoncée, avait la voix ronde et précise, la fraîcheur et le charme aussi bien vocaux que scéniques de la jeune amoureuse. Anna Caterina Antonacci est une Vitellia impressionnante, impeccable scéniquement dans l’expression des divers affects qui se succèdent en ce personnage en proie à ses passions ; vocalement la réussite n’est pas moindre, même si deux aigus exposent manifestement les limites de la tessiture et si quelques graves sont excessivement écrasés. Peut-être ces réserves disparaîtraient-elles à l’occasion d’une représentation moins tendue que la première ?

Dans le rôle travesti d’Annio, c’est une heureuse surprise que la netteté du timbre et de l’émission et l’autorité scénique de Marie-Claude Chappuis, tout à fait convaincante. Après son Elisabetta dans Maria Stuarda, Joyce Di Donato abordait à la scène son premier Sesto ; les attentes ont été comblées : presque parfaite dans l’exécution technique des agilités et dans les accents la mezzo américaine a campé le personnage avec une maîtrise confondante.

Martin Snell était un Publius pugnace, tout à sa tâche de conseiller et de gardien des lois de l’empire, avec le poids vocal nécessaire. Charles Workman incarnait Tito, un rôle que désormais il connaît bien pour l’avoir interprété plusieurs fois. Sa haute stature lui donne une silhouette impressionnante et il porte avec prestance le costume imaginé pour le personnage, dans des tons de noir et bleu nuit qu’une écharpe de brocart vient enrichir comme insigne du pouvoir impérial . Il conserve avec les années l’élégance qu’on lui connaît ; cependant la voix semble moins souple que naguère et les sonorités nasales du début ont laissé croire un moment qu’il était enrhumé. Son air final échappait à tout reproche ; il y campa un Titus de grande dignité.

Témoins impuissants des désordres créés par le complot, les Romains ont imploré les dieux et chanté leur souverain avec la piété et la conviction requises par les prières et les marches confiées au chœur du Grand Théâtre en grande forme.

A la fin, la satisfaction née du spectacle de la vertu morale triomphant des mauvais penchants de l’homme jointe à celle du plaisir reçu grâce aux interprètes ont transporté le public, qui a fait un triomphe à tous les artisans de la réussite . Jean-Marie Blanchard rayonnait.

Maurice SALLES
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]