OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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MONTE-CARLO
24/04/2008


Roberto Alagna & Nathalie Manfrino
© DR (Prod. de Montpellier - 2006)


Franco ALFANO (1875 - 1954)

CYRANO DE BERGERAC

Opéra en 4 actes
Livret d’Henri Cain
D’après la pièce éponyme d’Edmond Rostand
Mise en scène : David Alagna
Décors : David et Frédérico Alagna
Costumes : Christian Gasc
Lumières : Jacques Chatelet


Cyrano de Bergerac : Roberto Alagna
Roxane : Nathalie Manfrino
Christian : Richard Troxell
De Guiche : Nicolas Rivenq
Ragueneau : Marc Barrard
De Valvert / Carbon : .Franck Ferrari
Richard Rittelmann : Le Bret
La Duègne / Soeur Marthe : Christine Tocci
Lignière / Le mousquetaire : Pierre Doyen
L’officier espagnol / le cuisinier : Philippe Ermelier
Montfleury : Marcel Acquarone
Lise : Géraldine Melac
Une soeur : Valérie Maret


Direction musicale : Giuliano Carella

Choeurs de l’Opéra de Monte-Carlo
Orchestre Philarmonique de Monte-carlo
Monte-Carlo, le 24 avril 2008

Alagna au sommet


On entend régulièrement que la création contemporaine est le parent pauvre de l’art lyrique actuel. Plus largement, on peut regretter l’étroitesse du répertoire qui semble rétrécir d’années en années. Alors que la production mondiale se chiffre en milliers, seule une grosse centaine d’ouvrages constitue le fond du répertoire régulier international ; un nombre que l’on peut sans doute doubler ou tripler si l’on y ajoute des ouvrages donnés de temps à autre grâce au zèle de quelques passionnés ou à la volonté de stars lyriques seules capables d’imposer des titres exotiques où elles pourront briller. Renée Fleming a ainsi pu imposer Alcina, Rodelinda ou le Pirate au très conservateur Metropolitan. Placido Domingo a défendu d’authentiques raretés comme Le Prophète, L’Africaine ou, plus rare encore, Sly. Malheureusement, plus le titre est rare, moins il est facile pour le public de se faire une idée précise des qualités de l’ouvrage en comparant différentes interprétations lui permettant d’affiner son jugement.
Cyrano de Bergerac constitue donc une exception puisque nous l’avons vu défendu, simultanément et à plusieurs reprises, par deux ténors vedettes : Placido Domingo et Roberto Alagna.

Cette reprise nous aura permis d’apprécier davantage une partition un peu exigeante, sans facilités, et qui gagne à être fréquentée pour mieux en intégrer la complexité.
Après un Domingo très émouvant au dernier acte mais insuffisamment idiomatique lors des actes précédents, Alagna campe un personnage totalement différent et c’est absolument passionnant. Domingo était le Cyrano de la maturité, de l’expérience, souffrant d’une blessure secrète. Alagna est l’éternel jeune homme, le révolté, l’indigné sans concession, sans doute plus proche par là du personnage de Rostand. Le texte est offert avec une diction parfaite, chaque mot est souligné avec cette intelligence, ce naturel, qui ne sont souvent accessibles qu’à ceux pour qui le français est la langue maternelle. Car la relation d’Alagna avec le texte est quasiment charnelle et plus grande encore la fusion avec le personnage : par sa générosité comme par ses outrances, Alagna partage dans la vie réelle bien des qualités ou des défauts de Cyrano.

Vocalement, Alagna nous revient en pleine forme. Si l’on peut regretter quelques attaques par en dessous un peu systématiques, elles ne sont ni nouvelles ni rédhibitoires. Pour le reste, la voix est magnifique d’homogénéité avec un médium plus corsé et un aigu libéré : la scène du balcon, largement transposée par Domingo, suit ici la partition et le résultat se passe de commentaires, la beauté du chant et l’insolence des moyens s’alliant à la richesse de l’interprétation dramatique. Plus sobre que celle de Domingo, la mort d’Alagna n’en est pas moins touchante ; il est intéressant de constater combien la tessiture et l’ambiance de ce dernier acte évoque celles du « Dernier jour d’un condamné » créé il y a quelques mois par Roberto pour son frère compositeur. On retrouve ici la même émotion froidement désespérée.
Face à une telle interprétation, difficile pour les partenaires de briller. D’autant que les autres rôles, déjà un tant soit peu négligés dans l’ouvrage de Rostand, sont ici largement sacrifiés. Nathalie Manfrino est une Roxanne qui y met du cœur, mais son chant n’est pas techniquement abouti : la voix repose davantage sur de beaux moyens que sur une technique maîtrisée : les aigus sont ainsi impressionnants mais un peu trop stridents.
Sans être indigne, Richard Troxell nous semble relever de l’erreur de casting. Physiquement, on est loin de la beauté fade du timide amoureux transi, « séducteur de précieuses » : voilà un solide gaillard au contraire, et au français tellement rocailleux que l’on croirait (un comble !) avoir affaire à un authentique gascon ! Vocalement, le ténor est tout à fait à sa place, mais le timbre et l’émission sont trop « virils » pour le personnage.

Les seconds rôles sont en revanche excellents et pour ne pas les citer tous, on mentionnera en particulier le Ragueneau plein d’humanité de Marc Barrard.
Les Chœurs sont efficaces et sonores et on ne leur reprochera guère qu’un accent italien un peu bizarre en ce lieu et pour cet ouvrage.

A la tête d’un orchestre absolument magnifique, Giuliano Carella fait ressortir toute la richesse de la pâte sonore, et opte davantage pour l’énergie que pour la poésie. Une lecture tout à fait acceptable, mais qui a le défaut d’aboutir à ce que les chanteurs sont couverts par l’orchestre à plusieurs reprises. Compte tenu de la taille et de l’acoustique de la salle (pas si favorable que ça aux voix malgré ses dimensions réduites), l’équilibre fosse / plateau aurait gagné à être mieux maîtrisé.

Pour l’occasion, les frères Alagna ont adapté leur production créée à Montpellier : elle ne brille sûrement pas par son modernisme (l’ouvrage ne le demande d’ailleurs pas) mais, respectueuse de l’opéra d’Alfano, constitue un écrin adéquat aux interprètes, ceux-ci sont d’ailleurs dirigés avec un professionnalisme qu’on cherche parfois en vain chez certains vieux routiers de la mise en scène lyrique…

Placido Carrerotti
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