C O N C E R T S
 
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PARIS
29/10/2006
 
Johannes Weisser
© DR

Wolfgang Amadeus MOZART

Don Giovanni

Dramma giacoso en 2 actes sur un livret de Lorenzo da Ponte
Version de Vienne

Johannes Weisser, Don Giovanni
Lorenzo Regazzo, Leporello
Olga Pasichnyk, Donna Anna
Kenneth Tarver, Don Ottavio
Alexandrina Pendatchanska, Donna Elvira
Sunhae Im, Zerlina
Nikolay Borchev, Masetto
Alessandro Guerzoni, le Commandeur

Freiburger Barockorchester
Le Jeune Chœur de Paris (chef de chœur : Piers Maxim)
Direction René Jacobs

Dimanche 29 octobre, Salle Pleyel, Paris

Joyeux anniversaire, M. Jacobs !


René Jacobs n’aime pas faire les choses comme les autres. Bousculant les sacro-saints réflexes hérités des Krisps, Giulini, Davis et autres Karajan, la partition de Don Giovanni ressort presque méconnaissable. Et derrière les choix, controversés, du chef se trouve toujours une cohérence dramatique sans faille.

Il faut bien avouer que l’ouverture nous a laissé sur notre faim : nuances baroques binaires (piano ou forte), cordes nerveuses mais sèches, timbres très dissociés. Heureusement, dès le premier air de Leporello, la poésie de Mozart est là, alliée à une direction aussi vigoureuse que subtile.

La distribution est de première classe. Le très jeune Johannes Weisser personnifie un Don Giovanni moderne, que l’on qualifierait volontiers de « mauvais garçon » pour ne pas reprendre d’autres épithètes à la mode. Loin de l’image romantique du noble élégant et blasé à la recherche d’un idéal inaccessible, ce Don Giovanni est avant tout un rebelle faisant fi des conventions, cherchant l’ivresse des plaisirs. Le timbre grainé, un zeste brutal du baryton, son impatience dans les récitatifs traduisent un être instable, sans grande profondeur. Charmeur dans son « Deh ! vieni alla finestra », d’une vulgarité braillarde dans l’air du champagne (dont Jacobs appuie le caractère dansant) ou le « Là ci darem la mano », crâneur face au commandeur, Johannes Weisser se plie avec talent à la vision du maître. A ses côtés, son double poltron Lorenzo Regazzo s’avère l’un des meilleurs Leporello jamais entendus, drôle sans tomber dans l’excès. La voix est riche et stable, les articulations très élégantes. Du côté des éplorées, il semblerait que l’on ait échangé Donna Anna et Donna Elvira ! La femme violentée et ivre de fureur devient avant tout sous les traits d’Olga Pasichnyk une amante éplorée, aux aigus veloutés. Sa déception devant son mariage repoussé avec le très noble Don Ottavio de Kenneth Tarver est plus flagrante que son ire vengeresse. A l’inverse, Alexandrina Pendatchanska campe une Donna Elvira ambiguë et passionnée. Après un premier acte où la soprano avait tendance à attaquer un peu trop agressivement chaque note, Alexandrina Pendatchanska a gratifié la salle d’un « Mi tradi » absolument sublime copieusement ovationné par le public. Restent les paysans, une Sunhae Im espiègle et légère assez superficielle (mais le rôle veut peut-être cela), un Masetto solide dont on sent qu’un rôle plus sérieux lui conviendrait aussi bien, et surtout le sépulcral Commandeur. Une seule remarque suffira : en rencontrant Alessandro Guerzoni après le concert, nous avons eu peur de lui serrer la main…

Dans la fosse, le Freiburger Barockorchester - mal-nommé puisqu’il était en formation classique, même sur instruments d’époque (clarinettes, cors, pianoforte…) – a montré une grande précision dans les attaques, d’excellents cuivres et une grande complicité à la fois entre instrumentistes et avec les chanteurs. Le finale de l’acte 1, achevé au milieu d’une sorte de folle frénésie, était particulièrement réussi. Le continuo très imaginatif avec un pianoforte volubile a cependant fini par devenir lassant.

René Jacobs a choisi de donner deux concerts d’affilée afin de présenter chaque version de Don Giovanni dans son intégralité, au lieu du panachage traditionnel. Nous avons ainsi assisté à la version de Vienne, qui comprend le « Dalla sua pace » de Don Ottavio, le « Mi tradi » de Donna Elvira et un duo comique entre Zerline et Leporello ligoté sur une chaise. Ce dernier morceau rarement joué, bien que charmant, nous a quand même fait regretter le « Ah ! pietà signori miei ! » de la version pragoise. C’est surtout dans la confrontation finale que René Jacobs affirme sa touche personnelle : interprétée à un tempo rapide et qui s’accélère, l’échange entre Don Giovanni et le Commandeur devient un duel verbal d’une violence extrême. Les murmures affolés de Leporello et les sombres motifs orchestraux contribuent encore plus à rendre la scène proprement sinistre.

Pour finir, il ne nous reste plus qu’à signaler que la nouvelle acoustique de la salle Pleyel, bien que moelleuse, privilégie largement les graves au détriment des aigus, écrasés vers le fond de la scène. Les choristes ont donc souffert de cette distorsion. Enfin, comment ne pas conclure cette critique en souhaitant à René Jacobs un très joyeux anniversaire et beaucoup d’autres succès ?




Viet-Linh NGUYEN

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