C O N C E R T S 
 
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BRUXELLES
23/10/05
(Peter Eötvös)
Peter Eötvös
IMA
pour choeur mixte et orchestre

Bela Bartok
Le Château de Barbe-Bleue  op. 11

Cornelia Kallisch - Judith
Gidon Saks - Barbe-Bleue

Peter Eötvös - direction
Radio Filharmonisch Orkest
Groot omroepkoor

Palais des Beaux-Arts, 23 Octobre 2005

Ces idiomes qui disparaissent

En interview Peter Eötvös explique qu'il est fasciné par les traits de nos cultures engloutis dans l'oubli. Il regrette, avec un zeste de révolte, que les dialectes de sa région natale (la Transylvanie) soient peu à peu oubliés parce que, dit-il, les jeunes préfèrent aller en boîte (sic) ; ainsi, IMA qu'il nous donne à entendre ce soir est un regard nostalgique vers ce qui n'est plus. Cette pièce relativement courte est un développement d'une oeuvre précédente (Atlantis, créée en 1995), elle comporte trois parties et s'articule sur deux poèmes de Gerard Rühm et de Sandor Weores. On reconnaît immédiatement la patte de l'auteur des Trois Soeurs (lire notre dossier) qui dans cette oeuvre louche légèrement vers Luciano Berio. Un choeur volumineux se pose sur un orchestre percussionneux et venteux, une dizaine de membres du choeur psalmodient cette musique intrinsèquement mystique. Intéressant, admirablement écrit, mais - peut-on le dire sans rougir - ce n'est pas précisément le genre de démarche artistique qui fera sortir les jeunes de leur boîte de nuit. Et là se pose la question de l'accessibilité, d'un genre qui ne cesse de s'éloigner des attentes d'un large public et que seuls quelques experts apprécient avec effusion. L'intégrité hante la démarche artistique de Peter Eötvös, ainsi son refus de sombrer dans les règles du marché est-il louable, mais je reste sceptique quant à l'impact d'une telle oeuvre sur le vulgum pecus.

Une barbe noyée dans le sang

Avec Le château de Barbe-Bleue, on saute à pieds joints dans ce que la musique du vingtième siècle peut avoir d'immédiatement séduisante. La vision d'Eötvös d'ailleurs est passionnante : dès les premières mesures le chef prend le parti de contenir tout ce que la partition peut avoir de rutilant, c'est un conte de fées obscur, sans crescendo narratif vers l'horreur, ainsi à aucun moment ne sera-t-on dupes : Judith en posant son pied gracieux sur les dalles sanglantes du château sait ce qui l'attend, elle n'est pas horrifiée par ce qu'elle découvre chez Barbe-Bleue, elle adhère au lifestyle de son nouveau conjoint. Le Château de Barbe-Bleue devient un archétype d'esthéticisme huysmanien.

Hongrois rêver

Pour ce concert qui flaire bon la Hongrie, patrie de Bartok et d'Eötvös, l'Orchestre de la Radio Flamande a eu le bon goût d'engager deux solistes de tout premier choix. On retrouve avec grand plaisir la mezzo-soprano Cornelia Kallisch qui dessina à Bruxelles de passionnantes figures de Kundry et de Paulina (Wintermärchen), on lui doit aussi une mémorable interprétation du Chant de la Terre, dirigé par Michael Gielen. L'artiste semble adhérer complètement à la vision d'Eötvös, son interprétation se défait de toute naïveté nuptiale. On connaît la grande qualité musicale de Kallisch, son sens aigu de l'interprétation, cette heure passée avec elle est un véritable bonheur. Son comparse, la basse Guidon Saks impose sa belle autorité avec une facilité d'émission qui fait plaisir à entendre. L'orchestre de la Radio Flamande livre ici une prestation tout à fait satisfaisante.
 
 

Lionel ROUART
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