C O N C E R T S
 
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NIMES
06/02/2006
 
© Magalie Bouchet
Era la notte
"Opéra de chambre"

Pietro Antonio Giramo, La Pazza
Claudio Monteverdi, Lamento d’Arianna
Barbara Strozzi, Lagrime mie
Claudio Monteverdi, Il Combattimento di Tancredi e Clorinda

Mise en scène, Juliette Deschamps
Décor, Cécile Degos
Lumière, Dominique Bruguière
Costumes, Christian Lacroix
Régie générale, Daniel Eudes

Anna Caterina Antonacci, soprano

Musiciens du Cercle de l’Harmonie
Direction musicale, Julien Chauvin

Nîmes, le 6 février

Pendant les répétitions des Troyens donnés au Châtelet en 2004, où Anna Caterina Antonacci incarna magnifiquement Cassandre, Juliette Deschamps était l’assistante de Yannis Kokkos. C’est ainsi qu’est né le projet de mettre en scène des airs de musique baroque déjà interprétés par la cantatrice en version de concert, au Metropolitan Museum de New York et à Berlin avec Claudio Abbado.

Ces compositions, produites entre 1620 et 1650, ont en commun le thème des effets ravageurs de la passion, essentiellement amoureuse, et illustrent le pouvoir quasi-magique de la musique dans l’évocation et la sublimation des affects. Elles appartiennent de longue date au répertoire d’Anna Caterina Antonacci, à qui elles sont, dirait-on en italien, « congeniali » - c’est-à-dire qu’elles font intimement partie de sa sensibilité et de sa culture, qu’elles lui sont comme innées. On comprend que l’entreprise d’aller au bout de son interprétation dans un cadre dramatique ait séduit celle qui fut naguère une Médée saisissante.


La gageure consistait donc à inventer des liens créant une continuité dramatique à partir d’éléments proches par le climat mais disparates par l’origine. Les solutions choisies par Juliette Deschamps et son équipe résolvent le problème avec élégance.

Sur un plateau vide, quelques accessoires : des pièces d’armure, des seaux en fer blanc, un coffre, une petite cage. En fond de scène, devant le rideau noir et profond comme la nuit, une rampe en espalier qui supporte des centaines de cierges allumés avant la représentation peut évoquer aussi bien le culte des martyrs que les vanités sur la fragilité de la vie et l’inconstance des sentiments. Surgissant de l’obscurité comme sans savoir où elle est, Anna Caterina Antonacci est d’abord cette femme folle d’amour, objet de pitié ou de raillerie pour les autres, qui ne savent rien des transes qu’elle subit, et qui commente avec une amère lucidité sa propre aliénation.

© Magalie Bouchet

Pendant cette Pazza de Giramo, l’interprète se dépouille d’un long manteau mordoré à la coupe étrange pour apparaître en corsage de lamé changeant ; une large ceinture le maintient dans une jupe ou un jupon dont s’échappent les flots de tulle d’un sous-jupon, ensemble plutôt décousu correspondant à l’état mental représenté. A la fin de l’air, elle se tient devant la rampe de cierges ; une modification de l’éclairage, et la voici qui revient à l’avant-scène, se prostre : elle est à présent Arianna abandonnée.

Ensuite, elle disparaît derrière la rampe tandis que le Cercle des Musiciens de l’Harmonie assure la liaison, comme depuis le début de la représentation, en interprétant des extraits d’œuvres de Biagio Marini. La revoilà, une colombe sur la main, qui incarne la passion amoureuse selon Barbara Strozzi ; la colombe en cage, c’est un poignard qui surgit lorsque la douleur de la séparation rend la mort préférable à cette vie. Disparue en coulisse, la revoici dans un ensemble veste-pantalon noir recouvert d’un long manteau doré orné de pierreries paraissant sortir d’un Tiepolo ou d’un Bellini ; une épée, une cotte de mailles et les éléments d’armure rassemblés sont les accessoires du Combattimento di Tancredi e Clorinda, à la fin duquel Clorinda expire. Anna Caterina Antonacci gît tandis que la musique exhale son dernier souffle et que le noir se fait.

© Magalie Bouchet

Pour la chanteuse, ce répertoire n’a pas de secret. Elle en résout les difficultés techniques avec aisance et en exprime toutes les résonances. A la brillante synthèse de la rhétorique baroque – soutenue en cela parfaitement par les musiciens – elle ajoute l’éclat de sa beauté physique qui fait de ce spectacle un concentré de plaisir esthétique et sensuel exactement adapté aux pièces qui le composent. Plus généralement, les nombreux moments où elle est face au public à l’avant-scène créent une illusion d’intimité et d’impudeur bouleversantes, tant le visage exprime les nuances des émotions qui colorent la voix.

Plusieurs directeurs de grandes maisons étaient présents à la première ; souhaitons que cet « opéra de chambre » soit repris, car la sobriété et la fluidité de la conception n’alourdissent jamais les œuvres, et cette entreprise permet à une grande artiste d’affiner encore son interprétation. L’accueil enthousiaste du public est à cet égard de bon augure.


Maurice Salles
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