OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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BORDEAUX
23/03/2008


© Frédéric Desmesure

Charles GOUNOD (1818 – 1893)

FAUST

Opéra en 5 actes, créé au Théâtre-Lyrique, Paris, le 19 mars 1859
Livret de Jules Barbier et Michel Carré -

Mise en scène, Jean-Philippe Clarac et Olivier Delœuil
Décors, Philippe Miesch
Costumes, Thibaut Welchlin
Lumières, Giuseppe di Iorio
Dramaturge, Luc Bourrousse
Chorégraphie, Charles Jude 

Faust, Woo Kyun Kim
Méphistophélès, Paul Gay
Valentin, David Grousset
Marguerite, Maïra Karey
Siebel, Christophe Berry
Dame Marthe, Marie-Thérèse Keller
Wagner, Loïck Cassin

Direction musicale, Emmanuel Joel-Hornak

Orchestre National Bordeaux Aquitaine,
Chœur de l'Opéra National de Bordeaux,
Ballet de l’Opéra National de Bordeaux

Bordeaux, Grand Théâtre, le 23 mars 2008, 15h00

Et Marguerite conduit le bal


On ne mélange pas les torchons et les serviettes : pour ramener le Faust de Gounod à sa juste place - un drame sentimental à des années lumière de l’œuvre métaphysique de Goethe - les allemands l’ont rebaptisé Margarethe (1). A Bordeaux, les metteurs en scène, Philippe Clarac et Olivier Deloeil, assistés du dramaturge Luc Bourrousse, retiennent l’idée comme angle d’attaque en montrant dès le prélude Marguerite qui remet la « sainte médaille » à Valentin le jour de l’enterrement de leur « petite sœur ». La tragédie s’édifie ensuite autour du calvaire de la jeune fille, dont chaque tableau de l’opéra marque une station : l’apparition en Marie-Madeleine éplorée au premier acte ; la belle demoiselle qui suspend le tourbillon de la valse dans un effet très cinématographique au deuxième ; l’amoureuse qui déambule en son jardin avec la joliesse d’un Gozzoli (même si les metteurs en scène se réclament davantage de Grünewald, Holbein et Cranach) ; la pécheresse honnie de tous au quatrième ; la démente qui ensevelit son enfant vivant dans la neige ; la prisonnière touchée par la grâce dont l’âme s’élève au ciel accompagnée par les archanges.

Le tout prend place dans un moyen-âge stylisé, commande explicite du directeur de l’Opéra de Bordeaux, Thierry Fouquet, et volonté avouée de proposer une version de référence moderne, en rupture avec les transpositions à la mode, à rebours et à l’égal de ce que Lavelli réalisa dans les années 70 à l’Opéra de Paris.

De fait, aucun effort n’a été ménagé pour emporter le pari, notamment le choix de la partition complète – ou presque – avec les ballets et la scène de la chambre, romance de Siebel incluse. Le résultat s’avère souvent à la hauteur de l’ambition dans son parti-pris esthétique avec des décors d’une belle sobriété, une scénographie épurée mais juste et, première à l’applaudimètre, la chorégraphie liquide imaginée par Charles Jude autour du thème de la fontaine de Jouvence. Aucun contresens ne vient déranger le récit dont le tour de force consiste à assumer les ridicules du livret, sans chercher à les gommer ou les contourner. Tout juste regrettera-t-on que les chœurs, très en place vocalement, le soient un peu moins physiquement.


© Frédéric Desmesure

On se demande alors pourquoi, dans ce parcours sans faute, Siebel a été confié à un ténor (2) d’autant que le rôle – on l’a dit avant – est plus étoffé qu’à l’habitude. Christophe Berry, mis à mal par l’écriture, ne peut que s’y fourvoyer. Tout comme David Grousset s’égare en Valentin, débordé par l’héroïsme du frère de Marguerite…

La jeunesse et l’apparence de Paul Gay laissaient espérer un Méphisto hors des conventions, moins gaillard qu’inquiétant. C’était sous-estimer la maturité nécessaire à un personnage plus complexe qu’il n’y parait. L’interprétation tire souvent le démon vers le Docteur Miracle des Contes d’Hoffmann, satanique oui, notamment dans la scène de l’église, mais trop, au point de manquer de panache. Vocalement aussi la basse trouve pour le moment ses limites en termes d’autorité, de souplesse et de couleurs malgré une ronde du veau d’or d’une large carrure (peut-être justement parce que la composition très – trop – sérieuse de Paul Gay lui confère un impact inhabituel).

Rien en semble manquer en revanche à Woo Kyun Kim, ténor solide découvert à Paris en 2007 dans Salomé, ni l’assise, ni l’étoffe, ni les aigus lancés crânement en voix de poitrine. L’articulation claire, le timbre lumineux et égal font sensation. Rien à redire donc – au contraire - si ce n’est que le chanteur ne porte pas toujours aux mots la même attention qu’aux notes. Défaut d’expression et de sensibilité auquel la direction amoureuse d’Emmanuel Joel-Hornak se charge de remédier en déversant des flots de sentiments (lors de la cavatine de Faust tout particulièrement, ce n’est peut-être pas un hasard). Ainsi conduit, l’orchestre annonce Massenet plus qu’il ne rappelle Mendelssohn mais le lyrisme de la lecture séduit et puis, on le signalait au début, Faust de Gounod n’est-il pas avant tout un drame sentimental.

La boucle est d’autant mieux bouclée que la Marguerite de Maïra Karey touche à la perfection : silhouette élégante et discrète, voix radieuse qui sait épouser avec délicatesse toutes les inflexions du rôle (et Dieu sait si Marguerite est changeante, modeste et brillante - l’air des bijoux – pudique et sensuelle à la fois), soprano velouté au medium charnu, à l’aigu franc qui, une fois débarrassé de ses duretés, s’épanouit avec intensité. Bref, une incarnation idéale qui donne aux allemands une raison supplémentaire d’appeler Faust Margarethe.

Christophe Rizoud


Notes
(1) Marguerite en allemand

(2) Le rôle était de manière plus judicieuse confié à la mezzo-soprano Marie Lenormand dans une première série de représentations.

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