C O N C E R T S 
 
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KAISERSLAUTERN
28/01/05
Gefangen : Anette Yasmin Glaser,
Dagmar Hesse, Barbara Bräckelmann
© www.pfalztheater.de
Die Feen
(Les Fées) (1833)

Richard WAGNER (1813-1883)

Opéra en trois actes
Livret : Richard Wagner,
d'après la pièce La Donna Serpente de Carlo Gozzi
Création : le 29 juin 1888 au Hofhoper de Munich

Les fées :
Le Roi des Fées : Juri Zinovenko
Ada, sa fille, épouse d'Arindal : Dagmar Hesse
Farzana : Barbara Bräckelmann
Zemina : Anette Yasmin Glaser

Les humains :
Arindal, prince de Tramond : Alexander Felin
Lora, soeur d'Arindal : Adelheid Fink
Morald, général, amant de Lora : Peter Kovacs
Gernot, ami d'Arindal : Daniel Böhm
Drolla, suivante de Lora : Arlette Meißner
Gunther, noble de la cour de Tramond : Steffen Schantz
Harald, général d'Arindal : Peter Floch
Groma, l'enchanteur : Juri Zinovenko
Un Messager : Bernhard Schreurs
Les deux enfants d'Ada et d'Arindal : rôles muets

Choeur et figurants du Pfalztheater de Kaiserslautern
Orchestre du Pfalztheater de Kaiserslautern

Direction : Francesco Corti
Mise en scène : Andreas Bronkalla
Décors : Thomas Dörfler
Costumes : Antje Adamson
Direction des choeurs : Ulrich Nolte
Dramaturgie : Andreas Bronkalla

Kaiserslautern, le 5 février

Le prince Arindal, après s'être égaré en forêt en poursuivant une biche, a rencontré la fée Ada, l'a épousée et lui a fait deux enfants. Il vit au royaume des fées, malgré l'opposition des fées Farzana et Zemina. Il ne doit toutefois pas demander à Ada, pendant huit ans, son origine. Poussé par la curiosité, il transgresse l'interdit avant la date fatidique. Il est alors expulsé. Son royaume terrestre ne va guère mieux, ravagé par une guerre. Arindal décide de défendre son héritage contre l'ennemi, Ada décide de perdre son immortalité en le suivant. Mais pour cela, elle doit faire subir des épreuves à Arindal, pour juger de son amour véritable. Dans son palais, Arindal échoue aux épreuves : Ada lui montre des visions effroyables pendant lesquelles elle semble prendre la tête de l'armée qui anéantit son royaume, et tuer ses propres enfants. Arindal la renie. Ada en paye le prix et se retrouve pétrifiée pour cent ans, non sans avoir auparavant démontré à Arindal, anéanti, la fausseté de ce qu'il a cru voir.

Le royaume est sauvé par Morald et la soeur d'Arindal, Lora, qui règneront ensemble, Arindal abdiquant. Il semble résigné, quand l'enchanteur Groma lui donne une épée, un bouclier et une lyre. Grâce à sa vaillance et à son chant, Arindal enchante à son tour les esprits du royaume des morts et ramène Ada à la vie. Il acquiert à son tour l'immortalité, et retourne avec Ada et ses enfants au royaume des fées.

Coïncidence ou effet d'une saine concurrence ? Au même moment, deux scènes allemandes proposaient une rare reprise du premier opéra de Wagner. Kaiserslautern, mais aussi Würzburg, lieu symbolique s'il en est, puisque c'est dans cette ville, où Wagner rejoint en 1833 son frère, qu'il composera son premier ouvrage lyrique. Würzburg, lieu essentiel, où Richard Wagner rencontre Minna Planner, où il fait ses premières armes à la direction de choeurs, mais en matière de livrets : celui des Fées. L'ouvrage ne sera pourtant pas représenté avant 1888, à Munich, et ce, malgré l'opposition de Cosima.

Il semble que ce soit le poète et compositeur E.T. A Hoffmann qui ait attiré l'attention du compositeur sur l'ouvrage de Carlo Gozzi, à la base au livret. Il se peut aussi que l'oncle de Richard, Adolf Wagner, qui en avait fait la traduction, ait joué un rôle dans cette initiation. Wagner ne reprendra pourtant pas la trame exacte : Adda n'est pas transformée en serpent, mais pétrifiée. L'essentiel, l'interdiction qui pèse sur la recherche du nom réel, récurrent chez Wagner, est présent pour la première fois dans son oeuvre lyrique. Comme plus tard dans Lohengrin, deux mondes s'affrontent, celui des fées surnaturelles et celui des humains. Un amour réel est-il possible entre une immortelle et un mortel ? De nombreux éléments apparaissent aujourd'hui, a posteriori, comme des préfigurations des futurs chefs-d'oeuvre : la question interdite, l'épée salvatrice, le thème de la compassion pour un animal blessé, ou celui de l'épreuve rédemptrice, qui renvoie aussi à la Zauberflöte de Mozart. Autre parallèle, avec le mythe d'Orphée cette fois-ci : celui de la force de la musique, seule capable de ramener à la vie l'être aimé.

Si bien des éléments scéniques renvoient ainsi aux fondamentaux de la dramaturgie wagnérienne, on ne peut guère en dire autant de la musique. Wagner se cherche un langage, et commence par épuiser la veine post-romantique : ni le style, ni la forme ne renvoient aux techniques musicales de la maturité. Die Feen fait parfois songer à Weber (dans la conclusion du premier acte notamment), parfois au Hans Heiling de Märschner récemment vu à Strasbourg, parfois, plus étrangement, à Mozart, dans cette scène comique irrésistible entre Drolla et Gernot. L'intérêt culmine nettement au second acte, entamé par un choeur d'une belle complexité d'écriture, le duo cité, une longue intervention d'Ada, et qui se conclut comme une magnifique fresque où le choeur a fort à faire.

Dans une sorte de pays de nulle part, plutôt contemporain, la mise en scène joue la carte de la dérision. Le décor fait immédiatement songer à Ground Zero, et le costumier ne semble pas vouloir infirmer cette impression, dotant ses soldats de casques hétéroclites, d'extincteurs et de pardessus orange. Malaise... Dans ce décor de fin du monde, les fées, toutes de blanc vêtues mais ridées et bossues tant l'éternité est longue, sortent d'un réfrigérateur trois étoiles campé au milieu des ruines. On se conserve comme on peut quand on est immortel...Lequel réfrigérateur deviendra écran pour projeter le retour à la vie d'Ada pétrifiée. Arindal, plus qu'un héros, est un falot ballotté entre deux mondes, ne songeant qu'à s'en échapper pour enfin écrire en paix de la musique. Le happy end d'origine devient une morale grinçante, Ada retrouve son immortalité en devenant instantanément bossue et ridée, les héritiers du royaume se disputent aussitôt la couronne reçue, sous l'oeil impassible d'un Arindal retourné à sa musique, qui seule compte au milieu des ruines. Certaines facilités de mise en scène, comme les méchants personnifiés par des masques de Hitler, Frankenstein, Saddam, Scream et consorts, côtoient de bonnes idées, mais force est de saluer la vitalité d'une scène de taille moyenne qui ose monter cette rareté, et de façon fort correcte. 

Renforcé par des surnuméraires, le choeur de Kaiserslautern est le grand vainqueur de la soirée, doté de merveilleux passages, dont le choeur funèbre du troisième acte. Mais aussi le plateau féminin, dominé par l'Ada rayonnante et puissante de Dagmar Hesse. Du côté masculin, seul les trois sujets d'Arindal font une belle prestation, face à un Prince à l'émission très nasale, et en difficulté vers la fin de l'opéra. L'orchestre, dirigé sans guère de subtilité, peine parfois, notamment dans une ouverture chaotique.

Pour ceux qui le pourront, comparer les deux restitutions de Kaiserslautern et de Würzburg sera passionnant.
 
 

Sophie ROUGHOL
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