OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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TOULOUSE
24/01/2008
 
Juan Diego Florez  © DR


JUAN DIEGO FLOREZ
Ténor

VINCENZO SCALERA
Piano


Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)
Die Zauberflöte, Air de Tamino
Dies Bildnis ist bezaubernd schön
Il re pastore, Air d’Alessandro
Si spande al sole in faccia

Vincenzo BELLINI (1801-1835)
La Ricordanza, poème de Carlo Pepoli
Bianca e Fernando, Cavatine de Fernando
All’ udir d’un padre afflitto

Gioachino ROSSINI (1792-1868)
L’Esule, poème de Giuseppe Torre
L’Orgia, poème de Carlo Pepoli

Musique anodine, prélude pour piano

Elisabetta, Regina d’Inghilterra, air de Norfolk
Deh, troncate

Rosa Mercedes AYARZA DE MORALES(1881-1969)
Cinq mélodies
La Zamacueca, Malhaya, Si mi voz muriera in tierra, La rosa y el clavel, Hasta la guitarra llora

Christoph Willibald GLUCK (1714-1787)
Orphée et Eurydice
J’ai perdu mon Eurydice
L’espoir renaît dans mon âme

Gaetano DONIZETTI (1797- 1848)
Linda di Chamounix, air de Carlo
Linda ! Si ritiro

Toulouse, le 24 janvier 2008

Stupendo !


L’air extasié des spectateurs à la sortie du récital donné par Juan Diego Florez au Capitole de Toulouse en disait aussi long que l’atmosphère survoltée de la fin du concert : « le rossignol des Andes » les avait bel et bien ravis !

Pour ce retour dans une maison où il avait chanté Almaviva en février 98 le ténor péruvien avait composé un programme lui permettant d’exploiter des airs depuis longtemps à son répertoire, comme celui de Il Re pastore ou d’autres plus récemment enregistrés, comme l’air de Norfolk de Elisabetta Regina d’Inghilterra..

Avec la complicité de l’élégant pianiste Vincenzo Scalera, qu’un bref prélude de Rossini mettra en vedette et qui jusqu’au bout est un partenaire exemplaire au toucher précis et délicat, Juan Diego Florez propose un panorama ouvert sur presque deux siècles de musique, à s’en tenir aux dates, de la version d’Orphée et Eurydice de 1774 jusqu’aux mélodies de Rosa Mercedes Ayarza de Morales disparue en 1969, en passant par Les Soirées musicales de Rossini. En réalité l’essentiel du programme s’étend sur à peine soixante-dix ans, de Gluck à la Linda de Chamounix de 1842.

Sept décennies où le bel canto règne, aussi bien chez Mozart que dans les mélodies du Rossini retiré des scènes. Depuis ses débuts étincelants à Pesaro en août 1996 dans une Matilde di Shabran insurpassée à ce jour on sait qu’existe un jeune chanteur doué des qualités vocales permettant d’interpréter de tels rôles – hérissés de difficultés - avec l’aisance nécessaire pour que l’on puisse parler de bel canto. Un timbre caressant, une belle longueur de souffle, une extension remarquable dans l’aigu, la souplesse requise pour les agilités, rien ne manque pour ressusciter les délices oubliées de ce répertoire pour voix de ténor.

Mais on sait que le répertoire et la façon de chanter ont évolué lorsque Duprez imposa le contre-ut de poitrine. Juan Diego Florez sacrifie donc à l’interprétation devenue la règle même si elle ne s’impose pas, et c’est pour nous l’ombre légère de sa prestation : certains aigus émis à pleine voix sentent très légèrement l’effort, comme à la fin de La ricordanza ou de L’Orgia . Ajoutons, pour en finir avec les ombres, qu’un engagement plus marqué dans le texte, par exemple dans l’air de Norfolk, enrichirait encore l’expressivité.

Mais ces pinailleries, comme diraient nos amis italiens, ne sont que l’expression exigeante de la conviction que ce chanteur suprêmement doué n’est qu’à un poil de son ambition. Après un air de Tamino pris lentement, très nuancé, et plutôt central, l’air Alessandro dans Il Re pastore libère fermeté, étendue et un trille modeste. Suit La Ricordanza ; la musicalité de Vincenzo Scalera s’allie à celle de Juan Diego Florez, expressif et phrasant souplement cette mélodie plaintive très proche de Rendetemi la speme. L’air tiré de Bianca e Fernando est dans la même veine ; mais après un début de cantilène l’accent se fait plus vibrant, et le texte est littéralement sculpté tandis que les aigus sont faciles et sonores, déclenchant les premières ovations. La première chanson de Rossini, consacrée à l’Exilé, est chantée avec une émotion soigneusement contenue jusqu’à l’effusion finale ; la deuxième, L’Orgia, n’en semble que plus vive et rythmée. Elle gagnerait à être chantée avec le sourire, toujours pour créer l’illusion indispensable de la facilité. La première partie du récital s’achève par un air de Norfolk tiré d’Elisabetta Regina d’Inghilterra qui est l’occasion d’un festival d’agilités ; on aimerait un supplément d’intensité dans les accents, pour un personnage en train de rêver de vengeance. Mais la netteté, la précision de l’exécution et la clarté de l’émission, exempte des nasalités éventuelles, justifient amplement les ovations qui éclatent.

Après l’entracte, Juan Diego Florez rend hommage à sa compatriote Rosa de Morales avec cinq mélodies où des rythmes de danses populaires au Pérou et plus largement en Amérique latine servent de support à des textes néo-précieux dédiés au sentiment amoureux vécu comme complémentarité fragile et souvent frustrée qu’expriment des images associant des éléments de la nature andine. Ballade, habanera, fandango, zamacueca, autant de dynamiques et d’échos qui ont bercé l’enfance du ténor, qui les interprète avec une entière conviction. Suivent – hasard à la veille de l’exécution à Montpellier d’une version revue et corrigée de l’Orphée de Gluck par un collègue célèbre, mais plutôt entraînement avant Madrid – les deux airs « J’ai perdu mon Eurydice » et « L’espoir renaît dans mon âme ». Outre le plaisir que donne la diction quasi-parfaite de notre langue, le premier air est si bien mis en place que l’émotion vient par surcroît, naissant de la splendide maîtrise des paramètres mis en jeu. Le deuxième, au français impeccable, est probablement abaissé, mais l’interprétation est lyrique, brillante, avec des vocalises qui électrisent et suscitent des « bis ». Reste la romance de Carlo tirée de Linda de Chamounix ; le récitatif qui la précède est magnifiquement géré ; toute la trame affective de l’air est mise en place, et la voix se colore de tristesse et de douceur dans la méditation avant de s’épanouir dans une effusion noblement mesurée qui la rend d’autant plus émouvante. Un sommet !

Le croirez-vous ? Ce n’est ni un ni deux bis que le public va obtenir, mais quatre ! Et, excusez du peu, « Ah, lève-toi soleil ! » de Roméo et Juliette, avec un aigu final retentissant, suivi de « Una furtiva lagrima » enivrant (malgré là encore un infime déficit de sourire dans la voix), et puis évidemment « Pour mon âme » de La Fille du Régiment époustouflant et pour la route « La donna è mobile » terminée sur un aigu plein et vibrant. Pour du délire, c’en était, même Raina Kabaivanska s’était jointe à l’ovation debout. Nicolas Joel, quant à lui, souriait en pensant aux heureux qu’il allait faire en programmant Juan Diego Florez à Paris dès sa première saison !


Maurice SALLES
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