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RENNES
21/11/05
 Angelina Ruzzafante © DR

Carl Maria von Weber

DER FREISCHÜTZ
(Opéra romantique en 3 actes et 5 tableaux créé en 1821)

Livret de Friedrich Kind

Max : Marc Haffner
Agathe : Angelina Ruzzafante
Kaspar : Stephen Richardson
Ännchen : Marisol Montalvo
Kuno : Yuri Kissin
Kilian : Alexander Swan
Ottokar : Till Fechner
L’Ermite et Samiel : Gregor Rozycki
Quatre demoiselles d’honneur : Maïlys de Villoutreys,
Violaine Le Chenadec, Anne Ollivier, Stéphanie Pinard.

Choeur de l’opéra de Rennes
Chef de chœur : Gildas Purgier
Orchestre de Bretagne
Direction musicale : Antony Hermus
Chef de chant : Colette Diard

Mise en scène : Daniele Guerra
Décors : Charles Edwards
Costumes : Coralie Sanvoisin
Lumières : Patrice Willaume

Représentation du lundi 21 novembre 2005 – 20h

Ouvrage fondateur de l’opéra romantique allemand empruntant aux musiques populaires certains de leurs rythmes et mélodies, Der Freischütz (quasi intraduisible en français en conservant sa signification) faisait l’ouverture de la saison de l’Opéra de Rennes sous la nouvelle direction d’Alain Surrans, qui signe là sa première production -  celle dont il est “ totalement ” le maître d’œuvre, entendons-nous.

Cette jolie salle du XVIIIe siècle, récemment rénovée, possède les qualités de ses défauts et réciproquement. 650 places seulement, un petit plateau, mais un acoustique qui permet à la musique de vous submerger, le son paraissant parfois amplifié (ce n’est pas le cas !) tant l’espace répercute les harmonies et les décibels.  Il est quasi impossible de ne pas être concerné par ce qui se déroule sur scène, ce qui est un challenge risqué pour tous, on l’aura compris. Rappelons enfin que cet opéra ne bénéficie pas d’un budget “ dodu ”…

Disons-le d’emblée, le pari de représenter ce grand opéra fut réussi. Dans une production de l’Opéra de Metz, créé en 2004, Alain Surrans a montré son savoir-faire avec une distribution parfaitement homogène et une technique de scène très efficace. S’attaquer à la scène de la vallée des loups, qui fit à sa création le succès de l’ouvrage, sans tomber à plat ou friser le “ grand guignol ”, n’est pas aisé avec des moyens contraints. Bravo donc à Daniele Guerra qui a su manier avec talent et imagination l’imagerie du XVIIIe siècle germanique et la modernité du XXe siècle.

Mélangés avec justesse, le souci du détail explicite et l’imaginaire fantasmatique ont permis un suivi parfait de l’action. De la salle de chasse à la chambre d’Agathe dépouillées mais émaillées d’accessoires éclairants, jusqu’aux jeux d’ombre chinoise et de miroirs bien intégrés à l’action, l’ensemble a relayé sans faille les fantasmes et les peurs des héros aux réalités de la vie rurale de la bohème d’autrefois.

Habilement maniés par les dextres techniciens de scène , les changements de décors fonctionnent à merveille, tenant le public en haleine. Les éclairages de Patrice Willaume sont aussi bien pensés et les jolis décors de Charles Edwards s’égrènent sur des tons de gris clair et de cannelle, permettant de donner un espace visuel inattendu au plateau pourtant exigu. Petit bémol pour les costumes de Coralie Sanvoisin pas très seyants (Agathe notamment) et sans grande imagination.

Triomphateur de la soirée, le chœur (non permanent) dirigé par Gildas Pungier a été justement acclamé. Il est vrai que les interventions chorales ont été particulièrement travaillées par Weber, avec des passages d’une grande modernité et d’une grande difficulté. Reste à réussir ces ensembles, ce que le chœur de l’Opéra de Rennes, jeune et enthousiaste, a parfaitement accompli : bravo.

On retrouve cette qualité d’ensemble dans la distribution où –fait rare - il n’y aucun “ trou ”. Sans doute Angelina Ruzzafante est la voix la plus impressionnante, avec une Agathe parfois surdimensionnée. Voix large et facile, au timbre encore un peu impersonnel (tout comme son jeu par moments), Angelina Ruzzafante possède un souffle long, une jolie morbidezza et un aigu percutant. On notera seulement que ses aigus justement sont un rien métalliques, ce qui peut heurter dans le rôle. Cette artiste pourrait s’orienter par étapes vers des rôles différents tels que ceux de Richard Strauss (Arabella, Ariane, Chrysothemis, Helena), de Richard Wagner (Elisabeth, Sieglinde, Elsa) et aussi surprenant que cela puisse paraître on l’imagine volontiers d’ici quinze ans affronter Odabella et Lady Macbeth. Ces personnages violents sur tous les plans lui permettraient sans doute de se “ décorseter ”, soutenue par un metteur en scène qui ose. Ce métal deviendrait alors un atout, car le matériau est là.

L’Ännchen de Matisol Montalvo fait irrésistiblement songer à Reri Grist et Kathleen Battle, même si son timbre est bien moins fruité. Mais abattage, fraîcheur, aigus faciles, maîtrise des moyens, lui font remporter la palme des applaudissement. Côté dames, signalons enfin Stéphanie Pinard, l’une des quatre demoiselles d’honneur du troisième acte, qui propose une voix de mezzo aigu particulièrement intéressante et qui mérite sans conteste une attention particulière. Voix ample, timbre qui “ accroche l’oreille ”, présence… à suivre.

Chez les hommes, même égalité du premier au dernier rôle. Marc Haffner offre à Max une fort bonne voix de ténor spinto, très adaptée au répertoire germanique et français. Il relève sans difficulté les nombreux pièges de ce rôle difficile avec un bel engagement, une égalité des registres et une ampleur obtenue sans effort apparent. Stephen Richardson est un Kaspar méchant à souhait ; voix solide, sens dramatique (parfois trop appuyé au détriment de la qualité vocale), cette basse britannique a offert au public rennais une fort bonne prestation.

Belle voix également avec Gregor Rozycki (L’Ermite et Samiel) dans sa relativement courte intervention, et solides prestations d’Alexander Swan (Kilian), Yuri Kissin (Kuno) et Till Fechner (Ottokar). En somme un casting bien pensé qui, sans offrir de “ chocs ”, a proposé une belle interprétation de ce singspiel.

Seule déception de cette production, la prestation de l’orchestre de Bretagne et son chef invité Antony Hermus. Si l’on passe sur les approximations des cuivres et des bois, on ne peut qu’être malheureusement déçu par une sonorité d’ensemble médiocre, un flou des attaques et une disparité dans les pupitres, qui plombent la partition. Antony Hermus n’a pas su ou pu galvaniser les musiciens, et ce sont les chanteurs (chœur inclus) qui assurent la qualité musicale de la représentation. La très célèbre ouverture est ainsi découpée en tranches de saucisson, et tombe totalement à plat. Le public a mollement applaudi à ce hit… c’est tout dire. Sans discours musical, Antony Hermus anéantit le romantisme tantôt enflammé tantôt méditatif de Weber, et le beau tissu orchestral du maître allemand reste littéralement au fond de la fosse… C’est d’autant plus dommage que le reste du spectacle est très bien maîtrisé et offre de belles prestations. 

Edouard de Mortagne
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