OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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TOULOUSE
12/06/2008

Schlemil : Ruben Amoretti / Nicklausse : Karine Deshayes
Hoffmann : Zwetan Michailov / Dapertutto : Samuel Youn / Giulietta : Kate Aldrich
© Patrice Nin


Jacques Offenbach

Les Contes d’Hoffmann

Opéra fantastique en un prologue, trois actes et un épilogue (1881)

Nouvelle production du Théâtre du Capitole
Coproduite avec le Teatro Real de Madrid, le New Israeli Opera de Tel Aviv
et le Teatro Regio de Turin

Mise en scène, Nicolas Joel
Décors, Ezio Frigerio
Costumes, Franca Squarciapino
Lumières, Vinicio Cheli

Lindorf / Coppelius / Docteur Miracle / Dappertutto : Samuel Youn
Andres / Cochenille / Franz / Pittichinaccio : Rodolphe Briand
Luther / Crespel : Christian Tréguier
Hoffmann : Zwetan Michailov
Nicklausse / La Muse de la poésie : Karine Deshayes
Spalanzani : Christian Jean
Olympia : Désirée Rancatore
Antonia : Inva Mula
La voix de la mère d’Antonia : Qiu Ling Zhan
Giulietta : Kate Aldrich
Schlemil : Ruben Amoretti
Stella : Virginie Lachapelle
Hermann : Francis Bouyer
Nathanael : Eric Laporte

Orchestre National du Capitole
Choeur du Capitole
Direction du chœur, Pierre Marie Aubert

Direction musicale, Yves Abel

Toulouse, le 12 juin

Le poète SDF


Les Contes d’Hoffmann  ou les illusions perdues : un jeune homme qui se veut poète s’éprend successivement d’un faux semblant, d’une phtisique dont la vie n’est qu’en sursis, d’une courtisane tout entière à sa vénalité. Il croit enfin avoir trouvé la femme idéale en une cantatrice chez laquelle s’unissent les traits des trois précédentes. Mais ce rêveur n’est pas de taille à lutter contre les menées d’un entrepreneur, un homme-prédateur qui appartient au monde nouveau, dont les valeurs s’imposent au détriment de celles des poètes. Le refuge dans l’alcool débouche sur la déchéance ; sa Muse le sauvera-t-elle ?

C’est avec une joie presque sans mélange que l’on assiste à cette version des Contes d’Hoffmann. Si le plan vocal n’avait laissé un peu à désirer, on pourrait parler une fois de plus de une réussite totale, tant le spectacle et la direction musicale donnent de satisfactions.


Giulietta : Kate Aldrich / Hoffmann : Zwetan Michailov
Antonia : Inva Mula / Nicklausse : Karine Deshayes / Olympia : Désirée Rancatore
© Patrice Nin


Avec ses équipiers fidèles Nicolas Joel développe une lecture à la fois claire, cohérente et pertinente qui restitue l’esprit de cette œuvre foisonnante conçue par Offenbach comme l’opéra des opéras. Le prologue et l’épilogue se déroulent devant une immense toile peinte qui annonce l’exhibition au Cristal Palace d’une charmeuse de serpents. L’image géante aux références bibliques et fantasmatiques évoque le commerce d’une exhibition transgressive et malsaine. Le malaise s’augmente du voisinage de figures publicitaires représentant des objets produits par la technique industrielle à l’époque de la création de l’œuvre, signes de nouveautés susceptibles de bouleverser des équilibres anciens. Au pied de cette toile un amas de cartons ;  une femme, mi-nurse mi-salutiste, en fera émerger un homme gisant, un poète vraisemblablement déchu parce qu’attaché à des valeurs bafouées par le mouvement qui transforme la société en vue de profits nouveaux. Pas de dénonciation agressive, ou de prise à parti du spectateur, mais tout est dit.

Cette vision inquiète : c’est de ce sentiment que naîtra l’impression de fantastique, sans les grossiers recours à l’extravagance exploités dans d’autres productions. Le décor d’Ezio Frigerio y contribue ; c’est une structure gigantesque dont le cadre de scène ne montre qu’une partie et qui associe le verre et le fer. Trois grandes roues en enfilade prennent des airs de rosaces et créent des effets de vertige lorsqu’elles se mettent à tourner en sens inverse tout en prolongeant les suggestions de la toile peinte en évoquant les attractions des fêtes foraines aussi bien que les engrenages monstrueux des futurs Temps Modernes. Dans cet espace indéterminé, qui échappe à notre contrôle, le pire peut arriver.

Le choix de l’époque permet à Franca Squarciapino d’imaginer des costumes féminins où la tournure règne en maîtresse et dont les coloris relèvent efficacement la sobriété des vêtements masculins. Les éclairages de Vinicio Cheli participent évidemment à l’impression d’étrangeté, d’attente ou de crainte. Le grand fauteuil de repos, l’estrade sur laquelle gisent des instruments de musique déconcertants et comme oubliés suffisent à rendre sensible le ralentissement de la vie d’Antonia. Cette sobriété est d’une efficacité démonstrative proprement admirable. Une fois encore on vérifie que le talent véritable se passe fort bien de la provocation.


Antonia : Inva Mula / Hoffmann : Zwetan Michailov
© Patrice Nin


Efficace et poétique : ces adjectifs s’imposent à nous pour décrire la direction d’Yves Abel, en osmose parfaite avec la conception scénique et avec une œuvre qu’Offenbach avait conçue comme son entrée au panthéon de la musique. Le chef parvient à obtenir une exécution à la fois brillante par la précision des rythmes et pertinente par la justesse des climats et des couleurs. Le violoncelle solo, la flûte et la harpe font honneur à leur partie. L’équilibre entre la fosse et le plateau est sans défaut ; entre attention aux chanteurs et nécessités dramatiques Yves Abel trouve le juste équilibre qui fait de ses Contes d’Hoffmann une réussite à la hauteur de la réalisation scénique.

Quel dommage, alors, de devoir tempérer un peu notre enthousiasme à propos de quelques chanteurs ! Que Qiu Lin Zhang ait un fort vibrato ne gêne guère, dans le rôle d’une apparition, mais Samuel Youn, dont la quadruple incarnation diabolique est saisissante de présence, malgré une vigilance de tous les instants peine à maîtriser notre langue au point que cela rejaillit probablement sur l’émission, et que la voix ample et déliée de notre souvenir n’est que rarement au rendez-vous, si les graves ne font pas défaut. Pour Zwetan Michailov, dont la prononciation est largement meilleure bien que perfectible elle aussi, c’est peut-être de gestion de ses moyens qu’il s’agit. Après un prologue et un premier acte où il séduit par son engagement et négocie habilement les difficultés il se trouve à ses limites au deuxième acte et ne se reprend que sur la fin. N’ayant pas de facilités éclatantes mais se colletant crânement au rôle il gagnerait probablement à se donner moins au début.


Spalanzani : Christian Jean / Olympia : Désirée Rancatore
© Patrice Nin


Quel dommage, vraiment, car tout le reste du plateau ne mérite que des éloges. Rodolphe Briand donne tout le relief et le pittoresque désirable aux quatre serviteurs. Désirée Rancatore a perfectionné le personnage d’Olympia ; aujourd’hui sa version scénique est irrésistible, avec une aisance vocale inchangée et des cocottes dont le côté mécanique est le produit exactement dosé d’une volonté expressive. L’Antonia d’Inva Mula a la douceur, l’élan et l’émotion attendus ; quant à la Giulietta de Kate Aldrich, elle a la séduction vénéneuse de la garce qui piège Hoffmann. D’autant plus admirable que c’était une prise de rôle, l’extraordinaire performance de Karine Deshayes, en Muse/Nicklausse dont la voix ronde, longue, agile et souple a fait merveille sans jamais faiblir, avec une tenue scénique de premier ordre.

Il serait injuste de ne pas mentionner la qualité particulière des interventions du chœur, qui a fait résonner superbement les pièces écrites pour lui. Il a d’ailleurs remporté un triomphe aux saluts, comme l’ensemble du plateau, le chef et l’équipe de mise en scène, alors que le public s’était montré étrangement réservé pendant la représentation.


Maurice SALLES
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