C O N C E R T S
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
ROUEN
02/02/2007
 
© Eric Bénard

Richard Wagner (1813 -1883)

DER FLIEGENDE HOLLÄNDER

Opéra romantique en trois actes
Livret du compositeur d’après une nouvelle d’Heinrich Heine

Création à Dresde (2 janvier 1843)

Mise en espace : Alain Garichot
Lumières : Marc Délamézière
Conception vidéo : Lionel Mortier

Der Holländer : Matthew Best
Senta : Manon Feubel
Daland : Patrick Simper
Erik : Peter Bronder
Der Steuermann : James Oxley
Mary : Anne Salvan

Direction musicale : Oswald Sallaberger

Orchestre et Chœur : Opéra de Rouen Haute-Normandie
Chef de chœur : Daniel Bargier

Rouen, Théâtre des Arts,
dimanche 4 février 16 h

Un Vaisseau fantôme qui vole haut !


Ardente, vibrante, la baguette d’Oswald Sallaberger fait plus que diriger l’orchestre de l’Opéra de Rouen ; elle illumine chaque ligne de la partition de Richard Wagner. Le génie de l’œuvre se déploie sans effort apparent. Le vent souffle et retombe, les flots grondent, s’apaisent, se fâchent à nouveau, le drame se noue, se dénoue, les voix surgissent et rugissent, les âmes se méprennent puis se comprennent… Revit alors sous nos yeux le mythe de la damnation du Hollandais volant et sa rédemption par l’amour.

Sur scène, nul décor grandiose, nulle recherche visuelle sophistiquée, aucune agitation superflue. Mais, nous sommes loin d’une version de concert répétée à la hâte, donnée sous une lumière crue, sur un plateau nu équipé de chaises, et alignant des solistes habillés au hasard de leur garde-robe personnelle, le regard plus souvent sur la partition que vers leurs partenaires.

Ici, à la vue comme à l’ouïe, l’orchestre — dont la beauté des instruments ressort sous un éclairage bien dosé —devient à la fois le vaisseau et la mer. Sous la conduite d’un chef qui soulève la quille, plonge, se redresse à chaque creux, dessine la ligne des vagues d’une baguette inspirée, chaque pupitre participe pleinement au festin musical wagnérien. Violons et altos, violoncelles et contrebasses, flûtes, hautbois, clarinettes et bassons, cors, trompettes et trombones, harpe, tuba et timbales, plus de soixante-douze musiciens unissent leur talent et leur technique pour nous charmer, nous émouvoir et nous assourdir, selon les volontés d’un Wagner de trente ans qui se promet bien de renouveler un genre qu’il estime devenu trop conventionnel. Ce n’est pas encore fait, mais cet opéra porte en lui les prémices de la révolution formelle à venir.

Si le jeune chef autrichien insuffle sa passion wagnérienne à chaque instrumentiste, les chanteurs, quarante choristes et six solistes ne se sont pas moins impliqués. Le metteur en scène, Alain Garichot, quant à lui, a l’art d’être économe. Dans les limites d’une mise en espace, il parvient à montrer avec force et justesse les relations entre les personnages et il n’escamote aucun des ressorts dramatiques d’un livret très construit. Sobrement vêtu, chaque protagoniste présente une silhouette caractérisée. Entrées, sorties et déplacements autour et au milieu de l’orchestre sont réglés afin que le fil de l’histoire ne soit jamais rompu. À deux reprises le Hollandais désemparé appuie sa tête sur le dos du chef, réaffirmant le concept artistique d’unité entre la musique et l’action. L’entrée des fileuses se fait par la salle ; les jeunes filles, en contrebas de chaque côté de la scène, font face à l’orchestre tandis que Senta, vue de dos, contemple sur le mur du fond l’image projetée du mystérieux Hollandais qui la fascine. Ainsi s’installe tout naturellement le climat de la fameuse ballade qui apporte un doux écho féminin aux chants virils des matelots entendus au premier acte.

La distribution est fort attachante et équilibrée. Le baryton-basse Matthew Best, chanteur wagnérien expérimenté, est un Hollandais touchant et crédible. La voix est émouvante avec de beaux accents élégiaques. Bien qu’il soit parfois couvert par ses partenaires dans les ensembles, on lui sait gré de ne pas forcer car on sent une fragilité vocale — du reste assez en phase avec l’émotion contenue qu’il met dans son personnage d’homme maudit. Avec une présence scénique engagée, la soprano québécoise Manon Feubel est une Senta bien chantante au timbre agréable. La voix est à la fois claire et assez puissante. Les suraigus paraissent d’abord un peu courts, mais se libèrent progressivement et elle arrive, radieuse, à la transfiguration finale. Le ténor, Peter Bronder, lui aussi rompu au chant wagnérien, est très à l’aise et efficace dans le rôle d’Erik. Seul maillon un peu faible de la distribution, Patrick Simper dont la voix de basse légèrement grasseyante manque de poids pour le personnage de Daland. Les parties secondaires sont très correctement tenues par l’élégante mezzo Anne Salvan qui chante Mary et par le ténor James Oxley, sensible et délicat dans le bel air du Pilote au premier acte.

Un tel élan collectif n’est pas fréquent. Au théâtre des Arts, le public de la première a manifesté sa réceptivité avec chaleur. Souhaitons qu’après avoir quitté Rouen — son premier port d’escale français en 1896 — pour le Havre et la Salle Pleyel, ce Vaisseau fantôme sous le commandement de Sallaberger aura su maintenir son cap, malgré le stress inévitable des changements d’ancrage.


Brigitte Cormier
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]