OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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STRASBOURG
10/11/2007
 
Kobie van Rensburg
© Alain Kaiser


Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)

IDOMENEO

Dramma per musica en 3 actes
Livret de Giambattista Varesco


Direction musicale : Theodor Guschlbauer
Mise en scène : François de Carpentries
Dramaturgie et costumes : Karine Van Hercke
Scénographie : Siegfried Mayer
Lumières : Thierry Fratissier

Idomeneo : Kobie van Rensburg
Idamante : Sébastien Droy
Ilia : Sophie Karthäuser
Elettra : Mireille Delunsch
Arbace / Gran Sacerdote : Roger Padullés
La Voce : Nicolas Testé
Deux Crétoises : Isabelle Majkut / Fan Xie
Deux Troyens : Chae-Hoon Baek / Fabien Gaschy

Chœurs de l’Opéra national du Rhin
Direction des Chœurs : Michel Capperon

Orchestre symphonique de Mulhouse

Pianoforte : Cordelia Huberti

Nouvelle production
Coproduction avec The Canadian Opera Company

Idomeneo le barbare


Idomeneo, c’est un peu la « tragédie en musique » de Mozart. Le sujet, qui comporte tous les stéréotypes du genre (tempête, monstre marin, divertissements se mêlant à la tragédie, deus ex machina final etc.) fut d’ailleurs mis en musique par Campra en 1712 pour Munich, ville qui fut aussi en 1781 à l’origine de la commande à Mozart pour ce nouvel Idomeneo.

Le résultat mozartien est éblouissant et constitue l’un des plus hauts chefs-d’œuvre lyrique du compositeur, à placer juste à côté de la trilogie de Da Ponte. Si l’on ne peut s’empêcher de penser à Rameau, ou Gluck, la science d’écriture et le rythme des enchaînements doivent tout au génie dramatique mozartien. Un seul exemple particulièrement frappant : l’ouverture se termine piano, et non de façon glorieuse comme la plupart des ouvertures de l’époque, puis s’enchaîne directement à un récitatif secco d’Ilia se muant aussitôt en récitatif accompagné puis, plus loin, en arioso... Le ton est donné, tout dans cet ouvrage se pliera au rythme du drame qui se joue, ce qui fait dire à Gardiner que « chaque acte d’Idomeneo est conçu comme un long déploiement continu ».

Par ailleurs, Mozart disposait à Munich d’un orchestre superlatif ainsi que d’une troupe de ballet renommée. C’est ainsi que l’orchestre, incluant des clarinettes (Mozart connaissait-il les opéras de Rameau qui les avait déjà intégrées dans l’orchestre de fosse ?...), rien de moins que 4 cors mais aussi un petit orchestre de scène, joue un rôle capital dans la peinture psychologique mais aussi dans les scènes spectaculaires comme la tempête (qui retrouve le souffle de celles de Rameau). Il se taille enfin la part du lion en s’illustrant dans un magnifique ballet (rarement donné).
5 ans après la création munichoise, Mozart réussit à faire jouer son Idomoneo à Vienne, mais doit le transformer en raison, notamment, du changement de tessiture pour le rôle d’Idamante : chanté par le « castrat bien-aimé » de Mozart (Vincenzo Del Prato) à Munich, il échut à Vienne au baron Pulini, ténor, pour lequel Mozart composa le merveilleux air avec violon solo Non temer, amato bene (Verdi s’en est-il souvenu pour I Lombardi qui offre lui aussi un véritable « concerto pour violon » à l’intérieur d’un acte ?...).

Les interprètes d’Idomeneo doivent donc choisir quelle version choisir, et à l’intérieur même de la version munichoise, quelles variantes choisir pour certains passages (comme la voix de l’Oracle). Et sur ce point, on ne peut que trouver curieux les choix de l’Opéra du Rhin.
Après avoir offert il y a 2 ans une improbable version française de Don Carlos de Verdi fondée sur la mouture italienne définitive de l’ouvrage, l’an dernier un Boris Godounov mélangeant les deux versions de 1869 et 1872, voici qu’on nous propose aujourd’hui une production piochant dans l’une ou l’autre des version d’Idomeneo. Certes, l’Opéra du Rhin a toujours l’honnêteté d’afficher ses choix, mais il n’en reste pas moins que cette mode de tripatouiller les opéras est irritante pour le moins. Comme le dit Nikolaus Harnoncourt, « Nous ne sommes pas autorisés à réunir simplement les “plus belles pages“ des différentes versions, que toutes nos “idées de correction et perfectionnement“ s’avèrent désastreuses. Mozart ne se laisse ni corriger, ni améliorer, il a toujours raison ». A bon entendeur...


Kobie Van Rensburg et le Choeur
© Alain Kaiser


Après ce long mais nécessaire préambule, venons-en à la production elle-même.
Si elle apporte de grandes joies musicales, elle laisse plus dubitatif quant à sa partie scénique. Pourtant, le rideau s’ouvre sur un décor ingénieux et esthétique en forme de spirale, semblant évoquer un tourbillon, symbole du courant contre lequel Idoménée ne peut lutter. Par contre, au centre de cette spirale, une fontaine quelque peu incongrue fait davantage penser à l’Orient qu’à la Grèce Antique... Les éclairages mettent bien en valeur les possibilités du décor, notamment pour la tempête du premier acte, mais on regrette la manie d’ouvrir certains tableaux par un rideau de tulle trop opaque derrière lequel le chanteur (en l’occurrence la merveilleuse Sophie Karthäuser) est quasi invisible.

La vision de François de Carpentries et son équipe se veut intemporelle et cherche à se concentrer sur la psychologie des personnages. Le sujet se prête bien à un tel traitement qui ne nous a pourtant pas paru totalement réussi du fait, par moments, d’une certaine outrance des situations. Il est ainsi difficile de ne pas sourire (ou soupirer, c’est selon) devant l’énorme hache d’Idoménée - qu’il manie tel Conan le Barbare - ou devant son costume de général (attributs se voulant sans doute royaux), devant la fontaine projetant du sang (et ce, à la place du monstre marin arrêtant le départ d’Idamante et d’Electre), sang sur lequel Idoménée se précipite et dont il se macule, ou encore sur la gestique extravagante du chœur - tout en bleu hospitalier - lors de la dernière scène.
De manière générale, les costumes sont peu seyants, si ce n’est - on l’aura deviné - grotesques, telle la première robe d’Electre, d’un kitsch achevé, ou la seconde qui la fait presque ressembler à une Mary Poppins sur le départ.
Restent une belle maîtrise de l’espace, des déplacements d’acteurs et chœurs qui réussissent à soutenir l’attention et la tension dramatique.

La direction nerveuse et aiguisée de Theodor Guschlbauer va dans le même sens de dramatisme. Le chef dirige soigneusement les musiciens du bel Orchestre Symphonique de Mulhouse qui offrent des couleurs incisives dans les moments tragiques, tel le timbalier adoptant à raison des baguettes à tête en bois. On notera aussi le premier violon dont le solo dans l’Air d’Idamante est absolument merveilleux ou le pianoforte de Cordelia Huberti qui accompagne les récitatifs.


Mireille Delunsch
© Alain Kaiser

Les chanteurs réunis offrent une belle affiche dont on attendait beaucoup.
Las, en cette première, Mireille Delunsch est souffrante mais elle arrive pourtant à camper un personnage magnifique. La prestance scénique et la force de l’incarnation parviennent à compenser un timbre dont on peut certes douter qu’il convienne à Mozart, et un chant qui déraille à la fin de l’acte II dans le sublime Soavi Zeffiri (et pourtant, avec quel art la chanteuse allège sa voix pour se couler dans le bel canto mozartien !) et surtout dans l’air de fureur final. La chanteuse nous confirmait après la représentation sa méforme et qu’elle chantait sous cortisone. Pourquoi diable l’Opéra du Rhin n’a-t-il pas jugé bon d’informer le public de la méforme de cette artiste si appréciée ici ?... Cela aurait été courtois, et pour le public, et surtout pour la chanteuse.
 
L’Idomeneo de Kobie Van Rensburg est superbe. Autorité, noblesse du chant, il convainc tout particulièrement dans le fameux et terrifiant Furo del mar, dont les vocalises ne lui posent pas de problème, et dont il varie la reprise (merci !). Il arrive en outre à distiller dans cet air une certaine « excitation » bienvenue, culminant dans la cadence finale superbement maîtrisée alors que le chanteur avait connu un petit accroc juste auparavant. Du grand art.
L’Idamante de Sébastien Droy s’impose également, notamment dans l’air avec violon solo où il est remarquable. Il forme un couple charmant avec l’Ilia de l’exquise Sophie Karthäuser dont l’assurance et surtout la musicalité sont absolument splendides. Une déjà immense artiste.
Roger Padullés, ex-Jeune Voix du Rhin, affiche une belle prestance en Arbace et plus encore en Grand Prêtre.
Même si intrinsèquement il est satisfaisant, le chœur de l’Opéra du Rhin ne convient pas à ce répertoire, le son épais - si ce n’est un peu pâteux - fait pencher ses interventions vers un opéra de Verdi alors que le chef tente - à raison - de déromantiser l’ensemble. C’est dommage pour cet ouvrage où le chœur est si présent et dont les interventions font tant penser à une « tragédie en musique » française...


Sophie Karthäuser - Sébastien Droy
© Alain Kaiser


Un dernier mot enfin aux musiciens de l’orchestre, mais de manière plus générale à tous les musiciens d’orchestre en fosse : mesdames, messieurs, ce n’est pas parce que vous êtes en contrebas de la scène et du parterre que les spectateurs ne vous voient pas, la plupart d’entre eux vous voient, mêmes vous, cuivres et percussionnistes, qui vous trouvez tout au fond de la fosse et qui ne manquez pas de sortir lorsque vous n’avez rien à jouer pendant un certain temps (sauf si c’est pour aller jouer en coulisses).
Quel lamentable spectacle nous a été offert en fosse au début de l’acte III, après l’entracte. Visiblement, l’un des trompettistes ne trouvait plus sa partition sur son pupitre. Une fois la musique commencée (heureusement, il n’avait rien à jouer encore), le musicien en question se lève, s’avance dans la fosse, les mains dans les poches, scrutant les pupitres de ses collègues, discute avec le timbalier etc., bref un cirque qui perturbe la concentration sur le déroulement du superbe air d’Ilia. Quelques minutes ( !) plus tard, la fameuse partition naviguait des violons vers les trompettes. Apparemment, un musicien avait « planqué » la partition de son collègue. Que ce genre de blagues se fasse en répétition, d’accord, mais que cela se passe lors d’une première est tout simplement lamentable.

Pierre-Emmanuel LEPHAY


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Prochaines représentations
STRASBOURG
Opéra
Ma 20 novembre 20 h

COLMAR
Théâtre Municipal
Di 25 novembre 15 h

MULHOUSE
Théâtre de la Sinne
Di 2 décembre 15 h
Ma 4 décembre 20 h

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