C O N C E R T S 
 
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PARIS

25/11/02


Alexia Cousin interprète Juliette
Photo Eric Mahoudeau
Juliette ou la clé des songes

Opéra de Bohuslav Martinu

Alexia Cousin : Juliette
William Burden : Michel
Ivan Matiakh : le commissaire, le facteur, l'employé
Laurent Naouri : l'homme au casque, le marchand de souvenirs, le bagnard
Alain Vernhes : l'homme à la fenêtre, le petit vieux, le mendiant
Karine Deshayes : le petit Arabe, premier monsieur, le chasseur
Christian Tréguier : le vieil Arabe, le vieux matelot
Michèle Lagrange : la marchande d'oiseaux, la chiromancienne
Martine Mahé : la marchande de poissons, la petite vieille, la vieille dame
Gaële Le Roi : deuxième monsieur
Marie-Thérèse Keller : troisième monsieur
Yves Bisson : le père la jeunesse
Marco Pujol : le jeune matelot

Orchestre et Choeurs de l'Opéra National de Paris
Direction Marc Albrecht
Mise en scène : Richard Jones
Décors et costumes : Antony Mc Donald
Lumières : Matthew Richardson

Palais Garnier, 25 novembre 2002


Il est toujours plus périlleux de monter une oeuvre rare qu'un opéra de répertoire : le spectateur pardonnera toujours une Traviata dans une distribution douteuse ou des décors ratés, pensant qu'il se consolera lors d'une reprise ultérieure. En revanche, dès qu'il s'agit d'un opéra qui sort des sentiers battus, la moindre faute de goût amène irrémédiablement une partie du public à décrier l'ouvrage en tant que tel, crier au gaspillage et déserter les productions suivantes un peu originales. Opération délicate, donc, et parfaitement réussie, en ce qui concerne cette Juliette ou la clé des songes, donnée pour la première fois à l'ONP.

Réussite tout d'abord d'une mise en scène raffinée. Les décors sont axés sur le thème de l'accordéon, non pas qu'on l'entende souvent à l'orchestre, mais à cause de la phrase tirée de la pièce de Georges Neveux : "Nous n'avons pas tout oublié, pas tout perdu. Il y a des souvenirs dans mon accordéon et quand je le presse, je les vois qui sortent", que, paradoxalement, on ne trouve pas dans le livret. Un subtil jeu de lumière complète l'ambiance.

Au premier acte, un accordéon gigantesque représente les petites maisons d'un port du sud de la France avant guerre. Les photos en noir et blanc des maisonnettes sur l'accordéon, les costumes des personnages étendus par terre, font irrésistiblement penser à un vieux film de Marcel Pagnol. Michel, pieds nus et en pyjama, donne vie à tout cet univers qui se réveille d'un coup : l'ambiance est au rêve, à la poésie, à l'onirisme.

Au deuxième acte, un autre accordéon, couché par terre, s'ouvre d'abord sur la forêt dans laquelle Juliette a donné rendez-vous à Michel, ensuite sur la passerelle d'un bateau. Michel a assassiné Juliette, il commence à ne plus faire confiance à sa mémoire, l'angoisse monte, tel un Hoffmann du XX° siècle, notre héros se déglingue au fil de l'intrigue.

L'accordéon du troisième acte, mi-instrument de musique, mi-trieur à paperasses, est un appareil bureaucrate, où s'est installé l'employé du bureau central des rêves, et qui ne laisse passer que les rêveurs "en règle". Michel glisse doucement dans la folie, une folie apaisante dans laquelle il pourra rejoindre Juliette.

Après un monologue devant un rideau fermé décoré de dormeurs et d'oreillers qui forment le prénom de Juliette, Michel se retrouve tel qu'au premier acte, en pyjama, éveillant de nouveau les autres protagonistes.

L'ensemble des parties chantées ne comporte pas a priori de difficultés particulières : pas de tessitures inhumaines, pas de volume sonore à se déchirer le gosier, pas d'acrobaties vocales particulières. Le rôle de Michel, seul, demande de l'endurance, car il ne quitte jamais la scène, et de l'expressivité, car c'est son rêve qui porte l'histoire, conditions obtenues avec William Burden, très en situation.

La seule véritable exigence technique de tous les rôles, étant donné l'importance du texte, mélange raffiné de parlé et de chanté, est de posséder une bonne diction. La distribution réunie, francophone à l'exception de William Burden, qui a visiblement beaucoup travaillé son français, est tout à fait satisfaisante. On note toutefois que la plupart des chanteurs ont une articulation un peu molle, pas assez incisive, à l'exception d'Alain Vernhes, impressionnant d'autorité vocale, et d'Alexia Cousin.

Cette dernière, qu'on entend pour la première fois à l'ONP, précédée d'une réputation flatteuse, campe une Juliette charnue et charnelle, féminine jusqu'au bout des ongles, cheveux roux coupés au carré, col, ceinture et chaussures à hauts talons rouge vif, amnésique peut-être, mais certainement pas princesse vaporeuse en dentelles. Volontaire, conquérante, capricieuse aussi... et la voix, timbrée, fruitée, qui convient au personnage.

Il est difficile de juger de la direction d'orchestre d'une oeuvre qu'on entend pour la première fois. Cependant, c'est un déplaisir constant de constater à quel point les voix sont couvertes par les instruments qui jouent trop fort. Seule la voix torrentielle d'Alexia Cousin parvient à passer le barrage. Les raffinements de William Burden sont eux, quelquefois, plus devinés qu'entendus.

Telle quelle, et malgré cette réserve, la soirée fut vraiment un succès, joignant au plaisir d'une production réussie la découverte d'une oeuvre fort belle, qu'on espère réentendre souvent.
  


Catherine Scholler
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