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LYON
(Opéra national)

(13/01/2002)

 
Lucie de Lammermoor
Gaetano Donizetti

Direction : Evelino Pido
Mise en scène : Patrice Caurier et Moshe Leiser
Décors : Christian Fenouillat
Costumes : Agostino Cavalca
Éclairages : Christophe Forey

Orchestre et choeur de l'ONL

Lucie : Patrizia Ciofi
Edgard Ravenswood : Roberto Alagna
Henri Ashton : Ludovic Tézier
Sir Arthur : Marc Laho
Raymond : Nicolas Cavallier
Gilbert : Yves Saelens


Un ton plus haut

Il n'est pas certain que ce soit l'intérêt musicologique qui ait poussé l'Opéra de Lyon à monter cette version française de l'oeuvre phare de Gaetano Donizetti. L'explication se trouve sans doute dans la particularité de cette version. En effet, nonobstant les différences de construction dramatique, les morceaux coupés et les quelques mesures nouvelles, la grande différence entre Lucie et Lucia réside dans la tessiture du rôle titre. Ainsi sa scène d'entrée, tirée de Rosamonda d'Inghilterra est d'une tessiture moins centrale que le Regnava nel silencio de Lucia. Par ailleurs, le reste du rôle est pour l'essentiel un ton plus haut que ce que nous avons l'habitude d'entendre dans Lucia.

Et c'est là qu'intervient Natalie Dessay, le vrai mobile de ce spectacle. Si une prise de rôle dans Lucia aurait pu être contestable et sans doute très contestée, le rôle de Lucie, d'une tessiture plus légère et dans la langue de l'interprète était censée lui aller comme un gant. Le festival de Martina Franca avait d'ailleurs souhaité recréer cette version de l'oeuvre avec cette artiste. Après son refus, on s'était rabattu sur Patrizia Ciofi, jeune chanteuse pleine de promesses que les parisiens ont découvert dans Nanetta la saison dernière.

Pour la Lucie de Natalie Dessay, Lyon a mis les petits plats dans les grands en invitant Roberto Alagna, star du moment et meilleur ténor français, entouré d'une jeune garde prometteuse menée par Ludovic Tezier. On a également prévu un enregistrement studio et un DVD. L'écrin était prêt pour le joyau. Bis repetita non placent, des problèmes de santé (ou bien vocaux) ont empêché Natalie Dessay d'assurer toutes les représentations et on a de nouveau appelé Patrizia Ciofi à la rescousse afin d'assurer la moitié des représentations. Ce dimanche 13, ce devait être une des trois représentations de Mme Dessay. Que non pas ! Une angine obligeait l'Opéra de Lyon à demander à sa collègue d'assurer une quatrième représentation. Manque de chance, Patrizia Ciofi était elle aussi soufrante. Voilà qui augurait mal du voyage à Lyon... mais autant le dire tout de suite, ceux qui étaient là n'ont pas été déçus.

La mise en scène de MM Caurier et Leiser, d'une sobriété et d'un classicisme de bon aloi, n'avait pourtant rien de marquante. On échappait aussi bien à la fosse aux fous qu'aux écossais en kilt. Une mise en scène "Juste-Milieu" correspondant bien à l'époque de création du spectacle. Quoiqu'il en soit, la façon dont étaient dirigés les acteurs, leur physique comme leur jeu ne laissaient pas de convaincre. Et ce n'est pas tous les jours fête ! La production ne mérite pas qu'on en dise beaucoup plus, ni en bien, ni en mal.

Pour garnir la fosse, l'Opéra de Lyon avait là encore décidé de faire les choses comme il fallait et avait convoqué Evelino Pido. Ce chef s'était non seulement distingué dans ce répertoire mais aussi dans ce même théâtre dans L'Elisir d'Amore enregistré avec le même Roberto Alagna. On doit à la vérité d'écrire que la direction d'Evelino Pido a dérouté. On avait presque l'impression, à l'écouter, que cette musique l'ennuyait. Non que ses tempi fussent par trop alanguis, mais le tout manquait parfois de nerf. Ce fut le cas de la strette finale du premier acte, moment le plus urgent de la partition. Puisqu'on est aux interrogations, on s'est en outre demandé quelle logique avait présidé aux choix musicologiques. En effet, dans certains morceaux, mais pas dans tous, les notes ajoutées habituellement étaient gommées. Ce fut le cas des deux Sol de l'air et de la cabalette d'Henri, du Mi et du La concluant la cabalette du duo entre Henri et Lucie, des suraigus couronnant le sextuor ou la scène de folie. Ces absences étaient peut-être dues aux chanteurs. Qui sait ?

Et pourtant, quel bonheur que ces interprètes-là ! Heureusement qu'on nous avait annoncé Patrizia Ciofi malade. Son air d'entrée ne l'aurait jamais fait deviner. Tant le récitatif que l'air étaient emprunts d'une émotion et d'une urgence dramatique : une incarnation habitée. En outre, la cabalette, plus ardue que celle de la version originale, révélait une technicienne belcantiste aboutie. Les variations lors de la reprise était aussi bien venues qu'exécutées avec goût et assurance. Le reste du rôle fut d'un niveau de qualité comparable. Etait-ce l'effet de la maladie, mais la fièvre semblait littéralement s'emparer de l'interprète et partant du personnage. Tant et si bien que la scène de folie ne fut en rien un exercice gratuit de virtuosité mais le véritable accomplissement d'un drame humain. Au fur et à mesure de la soirée, plus personne ne semblait regretter la défection de Natalie Dessay et le triomphe qui a accueilli Patrizia Ciofi lors des saluts était des plus mérités.

La concurrence était pourtant rude. Son partenaire masculin a prouvé une fois encore dans ce rôle que toutes les récriminations sur la façon dont il gère sa carrière ne sont que billevesées face à la beauté de l'artiste. Oui, Roberto Alagna irradie de beauté sur scène. Pas de cette beauté plastique qu'on peut rencontrer dans la vie quotidienne. De celle qui ne se rencontre que sur scène. De celle qui transforme les mères de familles quadragénaires en midinettes. La voix du bon dieu, la vaillance du héros, la sensibilité du poète, toutes ces choses magiques que n'arrive même pas à gâcher une présence prolongée sur le devant de la scène lors des saluts. Qu'il soit permis de faire un éloge supplémentaire au ténor. Dans la partition originale du duo entre Edgard et Lucie, reprise ici par le compositeur, le ténor doit chanter un effrayant Contre-mi. Souvent, quand cette note n'est pas tout simplement escamotée, elle échoit au soprano. Ce ne fut pas le cas. Roberto Alagna a chanté cette note avec une voix mixte manquant certes un peu de projection mais d'une justesse irréprochable. Chapeau bas !

Son ennemi sur scène n'avait pas moins de classe. Ludovic Tezier qui interprétait Henri est en effet un jeune chanteur français dont la stature laisse présager une carrière plus qu'intéressante. Le timbre est plein et beau, dans la grande tradition des barytons français de Jean Borthayre et Michel Dens à Robert Massard et Gabriel Bacquier en passant par Ernest Blanc. Il n'a pas à rougir, loin s'en faut, de cette comparaison flatteuse. Sa voix essentiellement de demi-caractère s'accompagne de véritables accents dramatiques, d'une facilité d'émission réjouissante et d'une intelligence d'artiste indéniable. Son air, comme ses duos avec Lucie et Edgard lui ont permis, chose rare, de montrer l'ambiguïté d'un personnage souvent réduit par d'autres à un méchant-type. Enfin voyait-on et entendait-on un homme qui doute. Merci !

Dans Lucie de Lammermoor, Raymond voit ses interventions réduites à la plus simple expression en perdant ses deux airs. On n'en a pas moins entendu un bon Nicolas Cavallier dont on ne pouvait que regretter le mutisme relatif. Arthur était quant à lui chanté par Marc Laho qui a à son répertoire le rôle d'Edgardo. Là encore du luxe pour un rôle ingrat aussi bien rendu que faire se pouvait. On sera plus circonspect à propos d'Yves Saelens dans le rôle de Gilbert. Dans cette version, l'impact dramatique du personnage est accru par rapport à son devancier Normanno mais il ne chante pas beaucoup plus. Bien que la prestation scénique du ténor belge fut satisfaisante, sa propension à détimbrer pour avoir l'air d'interpréter était un peu agaçante. Mais passons.

En conclusion, un réel bonheur qui donne envie de réentendre cette oeuvre avec Natalie Dessay et Marcello Alvarez au théâtre du Châtelet à la fin de la saison. En quelque version que ce soit, Donizetti n'a pas fini de nous donner du plaisir à l'écoute de ce qui sans doute son plus grand chef-d'oeuvre.

Xavier Luquet

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