OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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MONTLUCON
17/05/2008

Marie Karall (Suzanne)
© Photo Ludovic Combe – Horizon photographie


Jacques Offenbach (1819-1880)

UN MARI A LA PORTE
(1859)
opérette en 1 acte
livret d’Alain Delacour et Léon Morand

Suzanne Martel : Marie Karall
Henri Martel : Sébastien Lemoine
Florestan Ducroquet, poète : Mathieu Muglioni
Rosine, demoiselle d’honneur : Liliana Faraon
et avec Audrey Tarpinian


Gaetano Donizetti (1797-1848)

RITA OU LE MARI BATTU (1841)
opéra comique en 1 acte
livret de Gustave Vaëz

Rita : Liliana Faraon
Beppe : Mathieu Muglioni
Gasparo : Sébastien Lemoine
La Canadienne : Marie Karall
et avec Audrey Tarpinian

Mise en scène et scénographie : Anne-Laure Liégeois
Costumes : Séverine Yvernault
Lumières : Stéphanie Daniel

Ensemble instrumental de Montluçon
Direction : Éric Genest

Montluçon, Théâtre municipal Gabrielle Robinne,
17 mai 2008

Les joies du mariage, ou : maris battus, unissez-vous !


La revendication de l’existence d’un art spécifiquement féminin m’a toujours laissé perplexe : j’admire tout autant – par exemple – Madame Vigée-Lebrun, Camille Claudel, que Marie-Jo Lafontaine, mais pas plus chez l’une que chez l’autre je ne suis capable de déceler la moindre pointe de féminité, j’entends une créativité témoignant d’un sexe plutôt que d’un autre. Les sujets d’expositions photographiques qui se multiplient (telle chose vue « par une femme » ou « par les femmes ») me laisse aussi peu convaincu. Seule peut-être Louise Bourgeois traduit-elle des angoisses plus particulièrement féminines. Mais ce soir, pour la première fois, j’ai enfin pu saisir ce que pouvait apporter une vision totalement féminine – et pas pour autant féministe – quand une metteuse en scène s’empare avec talent de deux sujets tout aussi masculins que féminins : la nuit de noce et la vie de couple ; mais en les traitant du côté féminin, tout en restant bien dans le domaine de l’opérette et de l’opéra comique, et donc sans vouloir donner de leçons, ni philosopher à perdre haleine : on est là pour bien s’amuser, et le pari est brillamment gagné.

Il n’est pas toujours facile de marier deux œuvres courtes en une soirée ; le Centre lyrique d’Auvergne l’avait déjà fait, et fort bien, avec Le Téléphone de Menotti et Le Secret de Suzanne de Wolf-Ferrari. Elle renouvelle cette occasion de découvrir (pour la majorité des spectateurs) deux œuvres courtes parfaitement complémentaires : Un mari à la porte, très rarement donnée, et Rita, ou le mari battu, beaucoup plus connue. Comme l’écrit la metteuse en scène Anne-Laure Liégeois : « Les plaisirs de la vie de couple ? On se marie, et le soir même on se couvre de bleus. D’abord à l’âme, puis au corps. » Deux couples, deux femmes, deux inquiétudes, deux états d’âme, deux réactions de défense : l’enfermement pour l’une, la brutalité pour l’autre. S’étant chamaillée avec son époux le soir de ses noces, Suzanne s’enferme dans sa chambre avec sa dame d’honneur ; or un homme s’y trouve déjà caché, tandis que le mari tambourine à la porte… Rita, de son côté, brutalise son second mari ; mais le premier – qui lui-même la battait – réapparaît, et chacun des deux hommes fait tout pour laisser à l’autre l’épouse encombrante… Deux fables donc, entre Labiche et Feydeau bien avant l’heure, mais touchant en même temps à des questions de fond, le mariage et la liberté de la femme d’une part, le délicat problème des violences conjugales d’autre part.


Mathieu Muglioni (Florestan), Marie Karall (Suzanne) et Liliana Faraon (Rosine)
© Photo Ludovic Combe – Horizon photographie

Offenbach, sans y être encore obligé en 1859, a néanmoins conservé la formule de l’œuvre à trois chanteurs, en en ajoutant un en coulisses. On découvre dans ce Mari à la porte des personnages bien typés et des airs que l’on se prend à fredonner en sortant : « Je n’ouvrirai pas, j’ai du caractère », « Voilà comment on me nomme », « Bonne nuit, bonne nuit » (pastiche du Barbier), une tyrolienne à la Choufleuri, ou le fameux « Tu l’as voulu Georges Dandin ». Et une fois de plus on retrouve avec l’air de Rosine une préfiguration de l’air d’Olympia. Les galipettes sur le canapé, la fin du trio « à la Yolande Moreau », le canapé qui se met à tourner et à parcourir la scène, sont autant de moments aussi déjantés qu’irrésistibles. Rita est une œuvre plus bel-cantiste, qui gagne en brio ce qu’elle perd en jeux scéniques paradoxalement un peu trop sages. Allongée sur sa table à bronzer, Rita bat la mesure avec ses pieds, avant d’aller battre son mari avec ses mains. Dans le jeu à trois « à qui perd gagne », on ne sait plus très bien qui marque des poings – pardon, des points. Mais on retiendra les couplets « On doit battre sa femme, mais on ne doit pas l’assommer ! »

Un homme metteur en scène aurait bien sûr pris le parti masculin. Ici, au contraire, c’est le côté féminin qui prime : les femmes mènent la danse, les hommes – assez benêts – sont soit des comparses, soit des faire-valoir. La mise en scène, très dynamique et mouvementée – pour ne pas dire endiablée –, suit les intrigues avec justesse, en respectant scrupuleusement le texte et les situations, et en restant bien en phase avec la musique. Dans un décor tout blanc (le clin d’œil – peut-être involontaire – à Lavelli, devient quand même troublant quand un personnage danse sur une longue table blanche, façon Traviata à Aix…), les personnages évoluent, selon leur personnalité, soit tout de blanc vêtus, soit pour Rita avec tel ou tel élément vestimentaire rouge (ah, Freud, quand tu nous tiens !). Des jeux de transparence dans d’immenses voilages, des éclairages très soignés, une grande inventivité de mise en scène, des acteurs épatants et un orchestre déchaîné, la recette paraît facile. Encore faut-il tenir la route, et là aussi, la troupe réunie fait merveille.


Marie Karall (Suzanne) retrouve Sébastien Lemoine (Henri son époux)
© Photo Ludovic Combe – Horizon photographie

Or, paradoxalement, il ne s’agit pas d’une troupe au sens traditionnel du terme, mais de jeunes chanteurs professionnels sélectionnés lors du 20e concours international de chant de Clermont-Ferrand en janvier 2007 pour cette série de représentations, dans le cadre de l’Atelier lyrique 2007-2008 du Centre lyrique d’Auvergne. Celui-ci est subventionné par le Conseil général d’Auvergne, en coproduction avec la Ville de Montluçon (théâtre, centre dramatique national et ensemble instrumental, soutenus par la Direction régionale des affaires culturelles d’Auvergne). Applaudissons donc à ces conjonctions positives, tout en souhaitant que le désengagement de l’État ne frappe pas de plein fouet ce bel effort.

Les chanteurs sont tous excellents, et ont des qualités d’acteurs tant dans le domaine chanté que parlé. Trois d’entre eux, Liliana Faraon, Mathieu Muglioni et Sébastien Lemoine sont bien connus, qui ont déjà fait leurs preuves dans d’autres occasions, notamment sur les scènes parisiennes. Seul petit bémol, il conviendrait que mademoiselle Faraon soigne sa prononciation, parfois un peu difficile à comprendre. La véritable révélation est donc Marie Karall qui assure pour la première fois un rôle scénique : outre sa belle voix de mezzo, elle dévoile une vraie nature théâtrale et une vraie nature comique, ainsi que de grandes qualités gestuelles ; aussi à l’aise dans les parties chantées que parlées, elle présente une prise de rôle qui est un vrai bonheur pour les spectateurs. Il restera simplement à contrôler tout cela de manière à éviter tout dérapage. Une mention spéciale pour Audrey Tarpinian qui ajoute une pointe de piment à ce festin qui n’en avait peut-être pas besoin, mais elle le fait avec tant d’esprit et de professionnalisme qu’on se laisse prendre au  jeu.


La charmante Rita tabassant son Beppe (Liliana Faraon et Mathieu Muglioni)
© Photo Ludovic Combe – Horizon photographie

L’orchestre de 17 musiciens est bien mené par la battue précise d’Éric Genest, qui visiblement s’amuse et a plaisir à suivre les chanteurs sans pour autant respirer encore suffisamment avec eux. L’ensemble n’atteint toutefois pas toute la légèreté offenbachienne souhaitable, et est visiblement  plus à l’aise dans Donizetti.

Enfin, ce qui était peut-être le plus frappant dans cette soirée, en dehors de sa qualité, c’était la joie qui éclatait sur tous les visages à l’entracte et à la fin du spectacle, d’autant que le public, contrairement à celui des spectacles parisiens, était « jeune » (j’entends entre 10 et 25 ans) pour plus de la moitié. Réussite exemplaire due à la fois à la politique volontariste de la Ville de Montluçon dans le domaine culturel, et aux « actions de sensibilisation du jeune public » effectuées en milieu scolaire avant les représentations (explications, présentations de répétitions, aide aux enseignants par un dossier pédagogique), bref tout un travail qui s’avère particulièrement payant.

Courrez donc voir ce spectacle léger, drôle et dé-stressant, qui continue de tourner : il sera les 17-18 juillet au Festival Opéra d’été en Bourgogne, les 13 et 14 novembre au Puy, le 15 novembre à Vichy, et le 12 décembre à Thiers.


Jean-Marcel Humbert
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