OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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NANCY
21/12/2007
 
Les Noces, version originelle (concert)
© Ville de Nancy


Igor STRAVINSKY (1882-1971)


Les Noces

« Scènes chorégraphiques russes avec chant et musique » (1923)
Livret du compositeur
Version française du livret, Charles-Ferdinand Ramuz

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Les Noces
Exécution concertante de la version originelle de 1917

Les Noces
Exécution de la version originale de 1923,
avec sa chorégraphie créée par Bronislava Nijinska

Reprise de la chorégraphie, Aleth Francillon
Décors et costumes, Natalia Gontcharova

Mariage
Une cérémonie entre chagrin et félicité
Création chorégraphique (sur la version de 1923)
et mise en scène, Tero Saarinen

Assistant chorégraphie, Anu Sistonen
Décors, lumières, Mikki Kunttu
Costumes, Erika Turunen
Maquillages, perruques, Pekka Helynen

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Interprètes pour les trois exécutions

La Fiancée : Khatouna Gadelia
Le Fiancé : Avi Klemberg
La Mère : Katalyn Varkonyl
Le Père : Jean Teitgen
Une Mère : Dania Di Nova
Basse solo : Fabien Leriche

Danseurs du CCN - Ballet de Lorraine

Chœurs de l’Opéra national de Lorraine
Chef de Chœur, Merion Powell

Orchestre symphonique et lyrique de Nancy
Direction musicale, Jonathan Schiffman


Coproduction CCN - Ballet de Lorraine, Opéra national de Lorraine

Opéra de Nancy, 21 décembre 2007

Des Noces d’enfer !

Il n’y a pas que dans l’opéra romantique italien que d’infatigables compositeurs multipliaient améliorations et variantes, au gré de leur géniale inspiration… posant parfois un problème de choix aux exécutants d’aujourd’hui. Avec Les Noces de Stravinsky, on se trouve face à trois versions et d’ordinaire on couple l’une d’elles avec une autre œuvre courte du compositeur. Au lieu de cela, l’Opéra de Nancy rassemble l’originelle et l’originale (la première et la troisième), cette dernière étant exécutée dans la chorégraphie de la création. L’idée était déjà intéressante mais la grande Maison lorraine d’opéra la pousse plus loin, complétant sa soirée en faisant exécuter une seconde fois la version définitive, mais sur une chorégraphie moderne, imaginée et créée pour l’occasion. Avant d’en parler, il n’est peut-être pas superflu de récapituler…

Les trois versions de Stravinsky

Les Noces
, version originelle composée en 1914-17, sur un texte russe du compositeur, pour quatre voix solistes, chœur et orchestre.

Les Noces
, deuxième version, composée en 1919, pour un harmonium, deux cymbalums, un pianola et des percussions. Version abandonnée à cause de plusieurs difficultés, dont celle de synchroniser l’exécution des chanteurs et des musiciens d’orchestre avec celle des instruments mécaniques ! (Le chef René Bosc a complété la partition de Stravinsky pour permettre l’exécution de cette version).

Les Noces
, version originale et définitive, retravaillée à partir de 1921 et créée en 1923, pour quatre voix solistes, chœur, quatre pianos et dix types d’instruments à percussion, sur une version française de Charles Ferdinand Ramuz ; chorégraphie de Bronislava Nijinska.

La soirée de l’Opéra de Nancy

Les Noces, version originelle composée en 1914-17, pour voix solistes, chœur et orchestre, chantée en russe et exécutée en version concertante.

Les Noces (1921), version originale créée en 1923, pour voix solistes, chœur, quatre pianos et six percussions, chantée en français ; chorégraphie originale de Bronislava Nijinska.

Mariage, musicalement, la même version que la précédente (1923), mais chantée en russe et sur une création chorégraphique (et mise en scène) de Tero Saarinen.


Mariage
Chorégraphie Tero Saarinen
© Ville de Nancy


Un quatuor vocal éblouissant, auquel s’ajoute la basse somptueuse de Fabien Leriche, était réuni pour cette triple exécution de l’œuvre de Stravinsky. Le soprano Khatouna Gadelia déploie une voix remarquable de pureté, de rondeur, de chaleur et on la retrouve avec plaisir durant les deux autres exécutions. A ses côtés, Katalyn Varkonyl offre un timbre d’une belle pâte de mezzo-soprano, ample et souple, tandis que le ténor Avi Klemberg n’épargne pas une voix à la fois claire mais puissante, dominant souvent la compagnie de cette espèce de panache désespéré inhérent à la voix de ténor. Particulièrement impressionnant se révèle le baryton Jean Teitgen, dont le timbre noir mais enflammé et percutant emplit l’Opéra ! Stupéfiants de précision (comme toujours, devrait-on dire) les Chœurs de l’Opéra de Nancy, réglés à la perfection par Merion Powell, font merveille. Les musiciens se montrent également sans faille, les exécutants d’instruments insolites à l’opéra (cymbalum, pianos) compris. Passionnément attentif à tous (danseurs compris), le jeune chef new-yorkais Jonathan Schiffman couve ses exécutants de son demi-sourire bienveillant et mène un rythme sans relâche (n’essoufflant heureusement que le spectateur), en conduisant fermement noces et mariés dans le pessimiste tourbillon voulu par Stravinsky.

La présentation de la version originelle en exécution concertante semble… déconcerter, au début, par son implacable immobilité. Toutefois, les sobres costumes uniformément noirs et les postures fermées et déterminées des interprètes, apportent d’emblée à l’absence de mouvement une présence pesante, impressionnante. Une présence obsédante, allant bien avec l’esprit de l’œuvre montrant les rites du mariage comme des gestes plus contraignants que joliment traditionnels, et se révélant comme le début de l’emprisonnement que constitue le mariage, selon cette vision du compositeur. Une immobilité fortement contrebalancée, si l’on peut dire, par la musique très rythmée quant à elle, et jusqu’à en devenir lancinante, d’autant que Stravinsky la composa génialement en marge de la tonalité (ou de l’atonalité !). En effet, toute expression, même des vœux ou prières, exceptés quelques moments d’invocation plus pacifiée, n’est que mélodie continue et continuellement trépidante, convulsive, menaçante, comme pour souligner l’agression contre l’humain que constitue le mariage et ses rites.
L’orchestre s’en donne à cœur joie et du reste, contrairement à certains commentaires parlant de « grand orchestre » pour la première version, on constate que la formation de cette première mouture n’est pas si importante que cela, les cordes étant notamment bien « clairsemées » (et par ailleurs, on note déjà la présence insolite du cymbalium hongrois). Ces rares cordes, très sollicitées en pizzicati spasmodiques, et les bois (ayant pourtant leur moment de folie durant une tirade du ténor) sont vite « débordés » par les percussions, dont une grosse caisse assourdissante, digne de celle que Canio-Pagliaccio utilise pour appeler le public !


Les Noces, version originale 1923
© Ville de Nancy

Curieusement, la version originale de 1923 bien que confiée à des percussions uniquement (si l’on accepte dans cette catégorie les pianos aux notes « frappées »), ne martèle pas plus que la version originelle utilisant les isntruments traditionnels de l’orchestre symphonique. Les voix s’élèvent toujours aussi intelligibles et toujours dominées par celle du soprano « limpide » exceptionnel dont l’Opéra de Nancy s’est assuré le concours. Seulement, les chanteurs sont bannis de la scène, les solistes étant répartis dans les deux grandes loges d’avant-scène et les choristes relégués dans la fosse d’orchestre. C’est le ballet qui capte les regards, dans les costumes et la chorégraphie originaux. Une chorégraphie déjà audacieuse dans ses mouvements, plus brusques, voire saccadés, par rapport à ceux du ballet classique.


Mariage
Chorégraphie Tero Saarinen
© Ville de Nancy


Pour Mariage il en va tout autrement, car on constate une intéressante intégration des personnages-choristes aux personnages-danseurs, les premiers interpellant, prenant à partie les seconds. La chorégraphie conçue par Tero Saarinen adopte évidemment les gestes saccadés ou contraints et les attitudes violentes de la danse contemporaine, comme se rouler par terre ou présenter des visages aux traits tendus, fermés, épuisés. Ainsi on voit d’emblée la mariée se disloquer pratiquement, comme désarticulée… et aboutir à des pauses disgracieuses au possible, c’est dire son plaisir d’accomplir les rites du mariage !
Les costumes de Erika Turunen, uniformément noirs mais variés, offrent l’intérêt de figurer plusieurs époques et aucune en particulier. Leur sobriété ou leur luxe, selon les cas, mariés dans la couleur du deuil (!) traduisent l’esprit de noces selon Stravinsky. Seuls les danseurs accompagnant les mariés sont en clair… mais d’un clair allant jusqu’au gris perle, jamais au blanc. C’est un peu comme si, par cet « éclaircissement » -contrairement aux choristes, plutôt impérieux voire menaçants- les autres danseurs se montraient amis du malheureux couple principal. On découvre du reste nombre d’intéressants pas de trois dans lesquels le chorégraphe finlandais place, aux côtés de l’un des mariés, deux autres danseurs semblant les accompagner également au sens moral du mot.


Non seulement l’idée était bonne de « multiplier » Les Noces au lieu de coupler l’ouvrage avec autre chose, mais l’union de deux organismes hautement professionnels comme l’Opéra de Nancy et le Ballet de Lorraine (qui, rappelons-le, n’est pas le Corps de Ballet de l’Opéra de Nancy mais une compagnie indépendante et basée dans la Capitale des Ducs de Lorraine) aboutit à une réussite complète, stupéfiante de qualité.

Yonel BULDRINI
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