OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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PARIS
31/05/2008


© Crédit photos Fred Toulet / SALLE PLEYEL

Claudio Monteverdi

 L'ORFEO

(version de concert d'après la production du Teatro Real de Madrid)

Favola in musica sur un livret d'Alessandro Striggio

Maria Grazia Schiavo (La Musica, Euridice)
Dietrich Henschel (Orfeo)
Sonia Prina (La Messaggiera, Proserpina)
Luigi De Donato (Caronte)
Antonio Abete (Plutone)
Agustín Prunell-Friend (Apollo)

Les Sacqueboutiers

Chœur et orchestre des Arts Florissants
Direction William Christie

Salle Pleyel, Paris, 31 mai 2008

Un conte d'Orphée

Voici un splendide Orfeo dont la seul véritable déception aura été… le demi-dieu lui-même.  Mais commençons par le commencement, ou plutôt par la martiale Toccata en l'honneur des Princes de Gonzague confiée à un groupe de trombones, trompettes et percussions. Les Sacqueboutiers, impériaux, ont captivé l'auditoire par leurs cuivres nacrés, puissants, teinté de l'airain des guerriers antiques. Et leurs interventions dans les scènes infernales seront tout aussi convaincantes, notamment dans les ritournelles répétitives où les cornets d'habitude si doux gagnent soudain en acidité incisive, comme pour mieux traduire la désespérante froideur du lieu. On notera d'ailleurs l'élégance un peu négligée du consort de cuivres anciens, ce débraillé très "Régence" qui fait se balancer les musiciens à la manière de saxophonistes de jazz.

L'Orphée de Dietrich Henschel est un demi-dieu. Et ceci n'est pas une tautologie. Le chant est envahissant, la projection forte, le timbre profond. Toutefois le baryton livre un Orphée uniformément viril et "macho" (qu'accentue encore son jeu scénique), sans nuance aucune, et dont les excès finissent par troubler le recitar cantando et ravalent la psychologie du personnage à la caricature. Plus rageur qu'attristé lors de l'annonce de la mort d'Eurydice, exubérant et loin d'être charmeur devant Caron (censé s'endormir après son noble chant), Henschel porte l'épée et non la lyre, et aurait volontiers étranglé à mains nues le funeste serpent. Victor Torres avait montré chez Garrido qu'une incarnation indubitablement héroïque du héros était possible sans bousculer la métrique, chanter pratiquement tout le temps à pleine voix, hurler violemment les Ohimé. A sa décharge, il faut noter que le chanteur est plus rompu aux déferlements wagnériens qu'au madrigal pastoral. Et cela s'entend malheureusement, d'autant plus qu'Orphée occupe une place centrale dans l'œuvre à partir de l'acte III. Ainsi, le très attendu Possente spirito s'est transformé en Bérézina, les redoutables trilles et diminutions monteverdiens péniblement ahanés par Henschel, plus robuste qu'agile. Quand on sait la difficulté de ces passagi, même pour les interprètes de l'époque, peut-être aurait-il été plus judicieux de chanter la version moins ornée de cet air, que Monteverdi avait justement prévue à cet effet. Les défaillances techniques du baryton sont également flagrantes dans le duo conclusif avec son père Apollon.

Ceci étant dit, le reste du plateau était d'un excellent niveau, avec une mention toute particulière et affectueuse pour les mille facettes de Maria-Grazia Schiavo. Il est rare d'entendre une si intime compréhension du texte, une poésie si veloutée, des nuances aussi fines. Chaque strophe du Prologue où la Musica s'exprime est ainsi délicatement sculptée, illustrant quasi visuellement les affects du texte, y compris le silence (superbe mezza di voce avec un continuo qui s'arrête). Et à entendre ce timbre chaud, coloré, précis dans les ornements sans jamais paraître mécanique, l'on aurait aimé qu'Eurydice (que campe également la douce soprano) ne périsse pas si tragiquement et si tôt.

Le cas de Sonia Prina est plus difficile à apprécier. Bouleversante Messagère du malheur à la fin de l'acte II, la contralto, totalement investie dans son personnage, livre un chant heurté, entrecoupé de sanglots et de soupirs, aux aigus terriblement forcés, où certaines notes ne sont pas même posées correctement. Pour être tout à fait sincère, c'est techniquement atroce, mais ô combien poignant, et la salle entière frémissait devant le récit sincère et désolé de la nymphe Sylvia. On se disait que ces apparents défauts étaient volontaires, vecteurs de l'émotion soulignant l'instant dramatique. Cathy Berberian elle-même ne paraissait-elle pas toujours sur le fil du rasoir ? Mais ce même style s'est retrouvé lorsque la chanteuse a endossé le rôle de l'Espérance, alors que cela ne se justifiait plus du point de vue de l'action. Au contraire, cette Allégorie, guide transparente et vaporeuse, était probablement dévolue à un contre-ténor lors des premières représentations (Bowman ou Jaroussky ont eu cet honneur plus récemment).

Enfin, côté bergerie, on saluera Cyril Auvity, Juan Sancho et Jonathan Sells dans une forme superlative, et dont les voix se fondent éminemment bien (petit bémol pour le contre-ténor Xavier Sabata engorgé et faiblard) ; côté infernal, le Charon de Luigi Di Donato sonnait assez scolaire, le Pluton d'Antonio Abete majestueux et imposant à souhait.

William Christie a choisi d'introduire le chœur des Arts Flo, même si les musicologues tendent aujourd'hui à penser qu'il s'agissait d'un simple chœur de soliste. Il est vrai que sa présence se justifie théâtralement, en raison du rôle majeur qu'il joue (bergers, démons infernaux). Cependant, on émettra des réserves sur des effectifs pléthoriques, aux pupitres compacts et serrés, très fortement déséquilibrés en faveur des graves. Cette pâte sombre, aux contours vaguement dessinés alourdit le langage monteverdien, et ponctue le discours avec une force peu subtile.

A l'inverse, l'orchestre s'est avéré chatoyant et complice, avec un continuo très présent, très inventif mais sans excentricités, et des timbres très caractérisés. Sans revenir sur la mémorable performance des Sacqueboutiers, on s'attardera sur le premier violon grainé et déchirant de Hiro Kurosaki, les flûtes coulantes de Sébastien Marq et Michelle Tellier, le débonnaire dulcian de Claude Wassmer, et le trio dynamique des cordes pincées. Les tempi sont vifs et contrastés, avec des inflexions bienvenues scandant les moments-clés : annonce de la Messagère, arrivée aux Enfers d'Orphée, mort d'Eurydice. Ajoutons enfin que la version de concert était intelligemment mise en espace, et que tous les chanteurs interprétaient véritablement leur rôle (gestuelle comprise) grâce à leur expérience scénique acquise lors des représentations de Madrid.



                                    Viet-Linh NGUYEN

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