OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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PESARO
17/08/2007
 
Gregory Kunde (premier plan)
Juan Diego Florez & José Manuel Zapata (second plan)
© Studio Amati Bacciardi


Gioachino ROSSINI (1792-1868)

OTELLO

Dramma per musica in trois actes (1816)
Livret de Francesco Berio di Salsa

Mise en scène Giancarlo Del Monaco
Décors Carlo Centolavigna
Costumes Maria Filippi
Lumières Wolfgang Von Zoubek

Otello Gregory Kunde
Desdemona Olga Peretyatko
Elmiro Mirco Palazzi
Rodrigo Juan Diego Flórez
Iago José Manuel Zapata
Emilia Maria Gortsevskaya
Lucio / Gondoliero Enrico Iviglia
Doge Aldo Bottion

Orchestre du Théâtre communal de Bologne
Coro da camera di Praga
Chef de chœur, Lubomir Matl

Direction musicale, Renato Palumbo

Adriaric Arena, Pesaro, le 17 août 2007 à 20h

Tiercé Gagnant !


Les trois ténors n’ont pas attendu les années 1990 et les thermes de Caracalla pour faire vibrer les foules. L’idée avait déjà été expérimentée par Rossini près de deux siècles auparavant. Son Otello, créé à Naples en 1816, requiert en effet pour les trois premiers rôles masculins trois gosiers taillés dans le même bois. La popularité de l’oeuvre en pâtit : comment à notre époque réunir trois chanteurs capables de rendre justice à une partition dont, pour chacun d’entre eux, la moindre note est un croche-pied. Lien de cause à effet ou non, Pesaro en a fait la malheureuse expérience en essuyant pour cette nouvelle production deux annulations : Giuseppe Filianotti, prévu en Otello, avant même le début des répétitions et le vétéran Chris Merrit, perfide Iago, le lendemain de la première. A quelque chose malheur reste cependant bon…


Juan Diego Florez (Iago) & Olga Peretyatko (Desdemona)
© Studio Amati Bacciardi

Déjà, Juan Diego Flórez, le troisième homme, celui dont le nom à lui seul ou presque faisait pour le public le prix de l’affiche, n’a pas déclaré forfait. Et le public en a pour son argent. Le ténor péruvien se montre à la hauteur de sa réputation, d’une virtuosité incomparable comme toujours. Mieux encore, il ne se contente pas de jeter des volate,  pichettati et autres ornements comme des brassées de fleur – ce qui suffirait à son triomphe – il parvient aussi rendre sensible l’expression de son désespoir amoureux – il joue l’amant malheureux de Desdemona – utiliser les ressources d’une vocalité unique pour donner à Rodrigo noblesse et vaillance jusque dans les moments les plus héroïques. Face à ce jeune prince, l’Otello survolté de Gregory Kunde n’en démord pas, dès son air d’entrée, « Ah si, per voi già sento », brandi avec force comme une épée jusqu’au duetto final, d’une violence inouïe - le geste avec lequel il tranche la gorge de Desdemona donne le frisson. Oublié, l’Idreno fatigué du Théâtre des Champs Elysées à Paris la saison dernière ; le phénix renaît de ses cendres, la crinière blonde au vent, plus saxon qu’africain d’ailleurs, félin, souple et puissant. Brave donc mais pas seulement… Le timbre affermi sait dévoiler intelligemment ses fêlures quand le drame le réclame. L’homme transparaît émouvant derrière le guerrier, au fur et à mesure que s’insinue le poison distillé par l’inquiétant Iago de José Manuel  Zapata. Car jamais deux sans trois, l’espagnol ne se montre pas moins valeureux que ses partenaires. Le rôle est plus court – malheureusement, on en voudrait davantage - mais l’impact du chant est le même. La voix emprunte d’ailleurs à ses deux comparses : l’énergie de l’un, la distinction de l’autre avec en sus, un éclat qui donne à ce personnage de traître une lumière troublante.


Gregory Kunde & Olga Peretyatko
© Studio Amati Bacciardi

Ainsi interprétés, les duos entre les ténors – selon toutes les combinaisons possibles, soit trois au total - deviennent duels, la scène se transforme en arène et la salle s’enflamme - de longues ovations interrompent plusieurs fois le spectacle.
Qu’importe alors si la Desdemona d’Olga Peretyatko, dépassée par l’ampleur dramatique des deux derniers actes, peine à brûler du même feu. Elle a pour elle l’essence légère du timbre, la musicalité qui pare la fiancée d’Otello d’une jeunesse charmante. Elle a aussi cette manière touchante, voulue sans doute par Giancarlo Del Monaco, de jouer la chanson du saule à la manière d’une scène de folie.
Qu’importe même tout le reste, irréprochable au demeurant : le vigoureux Elmiro de Mirco Palazzi ; la baguette appliquée de Renato Palumbo ; les trois panneaux de mer et de ciel peints en bleu azur et percés de 9 portes que manipulent de manière symbolique 9 clones de Iago ; le soin porté à la direction d’acteurs ; les chœurs placés à l’intérieur de deux boites qui s’ouvrent à droite et à gauche dans le décor, solution astucieuse pour éviter les laborieux mouvements de foule… Qu’importe tout ; quand le chant atteint une telle intensité, plus rien d’autre ne compte.


Christophe Rizoud
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