OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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BERLIN
09/11/2007
 
© Bernd Uhlig

Christoph Willibald GLUCK (1714-1787)

PARIDE ED ELENA

Dramma per musica en 5 actes
Livret de Ranieri de Calzabigi

Mise en scène : Joachim Schlömer
Décors : Mascha Mazur
Costumes : Nina Lepilina
Eclairages : Andreas Fuchs et Harald Frings
Vidéo : Lisa Böffgen

Elena : Ruth Ziesak
Paride : Marius Brenciu
Amore : Jutta Böhnert
Pallade : Celia Costea

Konzerthausorchester Berlin
RIAS Kammerchor
Lothar Zagrosek

Berlin, Konzerthaus, le 9 novembre 2007

Pâris à Berlin


Le communiqué de presse annonçait un concept révolutionnaire de (non) mise en scène d’opéra. Ceux qui, comme moi, s’attendaient à une rupture radicale dans ce domaine furent un peu déçus. Certes, l’orchestre n’est pas dans la fosse mais sur la scène ; certes, on utilise des moyens modernes tels que la vidéo ; certes, l’entièreté de la salle est utilisée (les balcons, l’allée centrale du parterre, etc.) ; mais on est jamais qu’à mi-chemin entre une mise en scène « standard » et une version de concert. L’intention est louable (représenter à moindre coût des œuvres trop rarement données dans les maisons d’opéra traditionnelles) et la réalisation est réussie, mais la révolution n’est pas si radicale qu’espérée. Si la vidéo est utilisée pour diffuser de courtes phrases commentant et/ou résumant l’action, le contenu du discours et les sentiments (présumés) des personnages, aucun surtitrage n’est prévu (faute moyens parait-il). Malgré la parfaite intelligibilité du texte, on peut douter du fait que le public germanique ait tout compris des paroles. Si l’espace de la magnifique salle du Konzerthaus est utilisé au mieux, la majeure partie de l’action se déroule dans un cube de quelques mètres carrés disposé derrière les cordes ; les bois et les percussions étant disposés de part et d’autre (les bois à gauche, les cuivres et les percussions à droite). Le cube en question est éclairé par derrière d’une lumière bleue qui n’est pas sans rappeler les mises en scènes (contestables) de Robert Wilson. Heureusement la comparaison s’arrête là.

Les personnages se déplacent d’un balcon à l’autre, entre les musiciens de l’orchestre, et dans le cube avec beaucoup de naturel. On en oublierait presque que quelques dizaines de musiciens et centaines de spectateurs les empêchent de se mouvoir à leur gré dans la salle. Et lorsque le chœur fait son retour au cinquième acte, c’est pour envahir l’allée centrale, d’une manière un peu militaire, il faut l’avouer. Un effet des plus spectaculaires qui n’est pas forcément nécessaire…


© Bernd Uhlig

Musicalement, le résultat est très réussi. Si Ruth Ziesak n’a pas une voix des plus puissantes, elle est parfaitement adaptée à la musique de Gluck. Dommage que son interprétation du rôle d’Elena soit un peu trop impersonnelle, car ses talents d’actrices sont incontestables ; elle joue mieux le rôle qu’elle ne le chante. Son partenaire, Marius Brenciu (Pâris) est quant à lui remarquable. Le timbre est sublime et la prononciation italienne parfaite. Un grand avenir de bel cantiste s’offre à ce chanteur qui fait chavirer - vocalement du moins - la population féminine de l’auditoire, ainsi qu’en témoigne pendant la pause une collègue anglaise assise à mes côtés. Le reste de la distribution est également parfait, pour ne pas écrire grandiose. La voix solide de Jutta Böhnert est impressionnante, non pas de puissance mais de maîtrise. Les quelques vocalises que lui offrent le rôle de l’Amour sont étourdissantes. Le mezzo de Cecilia Costea est également irréprochable et digne de tous les superlatifs. La qualité d’écoute des chanteurs entre eux est également un point fort de cette distribution et donne lieu à des instants magiques. Ainsi la qualité du dialogue du premier acte entre Pâris et l’Amour est exceptionnel, malgré le fait que les protagonistes soient diamétralement placés dans la salle (Pâris est au balcon droit et l’Amour lui fait face au balcon gauche).

Outre de cette distribution de haut vol, la direction époustouflante de Lothar Zagrosek est l’occasion souligner le talent incroyable de ce chef à l’opéra. Il parvient à équilibrer au mieux un orchestre qui se compose, entre autres, de flûtes en bois, de cuivres modernes et d’un clavecin combiné à un théorbe pour la basse continue. Le mélange aurait pu être catastrophique mais la science de l’équilibre de Zagrosek séduit les plus sceptiques. Certes, l’approche est moins « philologique » que ce qu’un René Jacobs pourrait proposer dans ce type de répertoire, mais l’esprit de Gluck est présent. Zagrosek ne ménage pas ses efforts pour insuffler une énergie incroyable à son excellent orchestre. Le résultat est d’une clarté exemplaire et la qualité d’écoute que le chef offre à ses chanteurs est absolument incroyable. Il parvient à les suivre dans les moindres détails. S’il place l’orchestre en accompagnateur, plus qu’en commentateur de l’histoire, il parvient à prendre part à l’action lorsque cela s’impose. Il fait savamment monter la sauce et parvient à nous amener au(x) point(s) culminant(s) de l’œuvre avec un naturel confondant.  Le RIAS Kammerchor est comme d’habitude excellent, même s’il semble par moment un rien trop rigide. Une soirée musicalement mémorable et un concept de mise en scène intéressant mais perfectible en certains points.



Nicolas DERNY




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