OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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LYON
28/09/2007
 
Mireille Delunsch
© DR


Claude DEBUSSY (1862-1918)

PELLÉAS ET MÉLISANDE

(extraits)

Dietrich Henschel, Pelléas
Mireille Delunsch, Mélisande
Martial di Fonzo Bo, Golaud (rôle parlé)
Sarah Taradach, Yniold/Mélisande (rôle parlé)

Compagnie des Lumas
Eric Massé, Mise en scène

Orchestre National de Lyon
Jun Märkl

Auditorium de Lyon, le 28 septembre 2007

Paroles et musique


C’est à la fois un risque et une aventure prodigieuse de se retourner sur les grandes œuvres du répertoire. C’est un défi en tout cas. Peut-être la concomitance de la Biennale d’Art Contemporain a soufflé à l’oreille des directeurs de l’Auditorium de Lyon l’idée de ce Pelléas hybride pour son ouverture de saison.

Un Pelléas hybride mais aussi palpitant ; un OVNI. Un concept en tout cas ! On n’a gardé de l’œuvre de Debussy que les échanges intimes entre Pelléas et Mélisande. Comme une trame, une épure où la musique est la voix, le mode d’expression des amants seuls. Cela vaut donc pour les scènes de la fontaine, de la grotte, de la tour, de la terrasse au sortir des souterrains et de l’appartement – parfois pour les seuls interludes. A cela est ajouté le texte parlé de Maeterlinck, tournant autour du personnage de Golaud.

Car paradoxalement c’est son personnage qui est ici le pivot de l’action. C’est par son œil, de son point de vue seul que l’on découvre l’amour des deux héros ; que l’on en suit l’évolution et le dénouement. Golaud s’avère le maître d’un jeu cruel, mortifère, avec sa parole névrosée, sa diction heurtée de freudien mal dégrossi. Comme un double – encore plus – carcéral du Barbe-Bleue de Bartok.

Foncièrement, l’idée est exceptionnelle de réunir mot et musique dans une mise en abyme permanente de l’un et de l’autre. Il est même presque jouissif d’entendre enfin les mots de Maeterlinck dont on avait oublié qu’ils avaient précédé la grandiose partition de Debussy. Le balancement de l’une à l’autre forme renforce chacune et tend un arc de tension prodigieux qui laisse l’auditeur à la fois surpris, incrédule face à cet hydre insoupçonnée aux mille sons, aux mille inflexions !

Et le projet est mené si intelligemment. Par des acteurs, d’abord, à la présence puissante et furtive, à la parole décantée. Par un orchestre qui joue la moiteur dans les souterrains, les poudroiements à la fontaine, les éclaboussures de harpes et de bois au pied de la tour, les moirures à la terrasse. Par un chef -
Jun Märkl - qui réussit le pari de réunir la luxuriance d’un Huysmans, d’un Moreau et la fluidité d’un Redon. Par une Delunsch qui reprend un rôle déjà si souvent fréquenté, avec le beau mûrissement d’un timbre bruissant, incarné mais comme venu d’ailleurs – ou comme sur un départ permanent. Par une Delunsch qui est physiquement présente, mais dont le regard est un au-delà, tout un monde en soi – celui d’une Mélisande autiste.

La seule – petite – déception est peut-être venue de Dietrich Henschel assez méconnaissable. J’ai dans l’idée qu’il n’était pas au mieux de sa forme. Il lui a fallu constamment jouer avec une timbre étouffé, éraillé dans tout ce qui dépassait le haut-medium. Le rôle est de toute façon un vrai contre-emploi pour lui – comme Golaud a pu l’être pour son maître Fischer-Dieskau – pas tant du point de vue de la prosodie, qu’il maîtrise plutôt bien, mais plutôt d’une tessiture qui appelle un aigu brillant, puissamment incarné. Avec cela il compose pourtant un personnage attachant, inquiet – un autre Wozzeck ? – tendu vers l’amour.

Au final, même si le projet reste marginal – ce n’est pas un mode de représentation de l’œuvre destiné à perdurer – il laisse une impression forte. Félicitations.


Benoît BERGER
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