C O N C E R T S
 
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NEW YORK
11/01/2007
 
Anna Netrebko - Elvira
© Sara Krulwich/The New York Times

Vincenzo BELLINI

I PURITANI
 
Livret du Comte Pepoli

Elvira : Anna Netrebko
Arturo : Eric Cutler
Riccardo : Franco Vassallo
Giorgio : John Relyea
Enrichetta : Maria Zifchak
Gualtiero : Valerian Ruminski
Bruno : Eduardo Valdes

Direction : Patrick Summers

Production : Sandro Sequi
Set Designer : Ming Cho Lee
Costume Designer : Peter J. Hall
Stage Director : Sharon Thomas

Metropolitan Opera
11 janvier 2007

NETREBKO EN RODAGE


En 1985, Edita Gruberova étrennait son Elvira des Puritains sur la scène relativement secondaire du Festival de Bregenz. La soirée n’avait été que moyennement convaincante, mais la chanteuse allait continuer à travailler le rôle. Ainsi, en 1991, « coachée » par Richard Bonynge, elle triomphait sur la scène du Metropolitan en imposant sa propre vision de l’héroïne dans une production crée pour l’immense Joan Sutherland dont les dernières apparitions dans le rôle ne remontaient qu’à 1986.

« Cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage … » : la diva avait démontré que le travail et la patience sont les plus sûrs garants du professionnalisme.

La récente Elvira que vient d’offrir au public new-yorkais Anna Netrebko, la nouvelle coqueluche des maisons de disques, vient nous confirmer que ces temps sont bien révolus.

Les stars lyriques du XXIème siècle n’ont plus de temps à perdre à préparer leur rôle sur des scènes de province : entre plateaux de télé et interviews dans la presse « people », on ne fréquentent même plus les studios d’enregistrement mais uniquement les quelques théâtres qui garantissent le DVD obligatoire, au pire le simple CD. Un concert à Lyon, un autre à Paris, les micros de la radio et c’est dans la boîte : peu importent l’entourage médiocre, le chef indigne, les coupures scandaleuses… De toute façon, les critiques seront bonnes car le public achète le journal pour y lire du bien de sa star favorite.

Elle est loin l’époque où les enregistrements faisaient appel aux meilleurs chanteurs du temps, même pour les plus petits rôles. L’essentiel, c’est que le disque sortira pour les fêtes avec une belle promotion à la clé. La diva expliquera sur tous les tons qu’elle n’en est pas une (ce que confirmera effectivement l’audition !) mais elle est mince, porte des joggings le week-end et votera aux présidentielles pour le candidat le plus écologiste. Bref, elle est « moderne » et c’est ce que le public veut.

Tel artiste ne chante quasiment jamais sur scène. Mais son dernier disque a reçu 12 étoiles de tel journal spécialisé : autant que de pages de pub achetées par la maison de disque.

Tel autre fait plus fort encore, se chauffe à Orange et se fait jeter à la Scala. « Couacs en juillet, cabale de milanais ».

Il faut d’ailleurs ce genre d’accident pour que l’on découvre que le roi est nu : le reste du temps, la presse unanime annoncera le prochain concert en proclamant que tel chanteur a « triomphé » au Metropolitan ou à Covent Garden. Seuls les rares amateurs témoins du pseudo événement sauront à quoi s’en tenir sur ledit « triomphe ». Heureusement, Internet permet parfois de remettre les pendules à l’heure (1).

Celui-ci impose sa famille ; cette autre fait changer le titre prévu ; tout le monde ou presque annule pour un rien, sans égard pour un public d’avance conquis qui ne sait plus bien s’il vient voir la nouvelle Callas, Pavarotti « en maigre », la réincarnation de Mariano ou le clone de Domingo. En tout cas, sûrement quelqu’un dont a parlé à la télé ou qu’on a découvert chez le coiffeur en lisant Paris-Match sous le casque.

Signe des temps, le public arrive toujours plus en retard et part en avance : elle est bien loin l’époque des fans enfiévrés criant leur bonheur jusqu’au dernier bis, lançant des fleurs à la diva, faisant le siège du ténor dans sa loge : Hallyday au Parc des Princes, Ben-Hur au Stade de France ou la divette du jour aux Champs-Élysées, l’essentiel est de pouvoir dire qu’on y était, pas d’y avoir vécu quelque chose. Et surtout de ne faire la queue ni au vestiaire, ni au parking.

La quantité ne supplée même pas la qualité. Il fut un temps où Alfredo Kraus faisait figure d’exception en refusant de chanter plus d’une centaine de soirées dans l’année quand ses collègues en affichaient le double : nos nouvelles stars sont bien plus chiches, n’alignant guère qu’une cinquantaine de représentations dans l’année, et encore : en comptant celles qu’ils auront annulées à la dernière minute.

Qu’importe la médiocre qualité de ces prestations tant qu’elles se vendent. Car c’est bien là le fond du problème : un enregistrement de qualité demande du temps, de la patience, du travail et n’est pas certain de rencontrer son public. Alors qu’un disque « vite fait, mal fait », mais bien « markété » par un bon publiciste se vendra à coup sûr et coûtera moins cher. Pourquoi se gêner ?

Les bons chanteurs n’ont pas disparus : ils cèdent plus facilement à la facilité. D’où cette frustration lorsqu’on assiste à une représentation comme celle de ces Puritains new-yorkais.

Car Anna Netrebko est effectivement une grande artiste, jeune et belle, au timbre magnifique, aux moyens généreux, et recélant un véritable tempérament théâtral. Mais que dire quand le duo avec Giorgio est amputé de sa reprise ? Quand il manque la moitié de la polonaise du premier acte (« Son vergin vezzosa ») dont les variations sont quasi inexistantes et le contre ré à peine tenu ? Quand l’artiste évite de chanter à pleine voix sa scène de folie ? Quand l’épate prime sur l’émotion, l’artiste chantant sa reprise de « Vien diletto » sur le dos, la tête renversée dans la fosse d’orchestre (une performance physique qui par ailleurs force le respect) ? Que dire de ce final de l’acte I (« Vieni al tempio ») où l’artiste tente (courageusement) les 3 contre-ut et le contre ré mais en trichant avec la rythmique : le premier est en place, le second en retard et les deux dernières notes confondues en un ascenseur du pire effet (3 notes là où il en fallait 4) ! Sans parler des transpositions diverses ou des trilles simplement escamotés, sans même l’effort d’un vibrato forcé les imitant…

Ainsi, les quelques beaux moments de cette Elvira (essentiellement la scène de folie, très applaudie, alors que la polonaise laisse le public de marbre) sont autant de preuves qu’avec une préparation professionnelle, un bon coach et un minimum de réflexion sur le rôle, Anna Netrebko aurait pu nous offrir une très belle soirée. Pour cette promesse, nous accorderons une étoile.

A sa décharge, reconnaissons qu’elle n’est guère aidée par son entourage. Si Gruberova avait pu bénéficier de l’expérience de Richard Bonynge, Patrick Summers est en revanche une totale calamité. Car le massacre à la tronçonneuse ne se limite pas aux morceaux que le plateau n’arrive pas à chanter : ainsi, pour l’ensemble en coulisses du premier acte où nous passons directement de l’introduction à la coda, sans passer par le développement du thème musical. De nombreux passages sont pris trop vite, d’autres trop lentement, l’apothéose revenant au duo « Suoni la tromba » qui ralentit ou accélère à chaque mesure, nous amenant à regretter le sérieux de l’orchestre de la Garde Républicaine.

Le plateau vocal n’est guère plus adéquat. Pour un rôle qui aligne ut dièse et contre ré, il n’est pas inintéressant de choisir un ténor qui a de l’aigu : ça peut aider. Aimable Ilias dans les récents Troyens parisiens, Eric Cutler est hélas dépassé par la tessiture d’Arturo, les suraigus étant émis à l’arraché dans un mélange chaotique de voix de tête et de voix de poitrine. Le timbre nasillard est des plus déplaisant, la caractérisation nulle : à oublier. Vite.

Franco Vassalo ne lui cède en rien en médiocrité. On est d’abord séduit par une voix chaude et bien timbrée dans son air d’entrée, mais la cabalette (2), amputée de toutes les vocalises écrites par Bellini vient nous refroidir avant qu’un aigu final pitoyable vienne achever de nous convaincre de l’indigence technique de ce baryton (la suite ne fera que nous le confirmer).

Jeune troupier, John Relyea a déjà une voix de vieillard, blanche et usée, à l’émission irrégulière (deux notes consécutives ne sont jamais émises avec la même puissance) et son vibrato ne s’atténue que lentement au fil de la représentation.

La production est vieille de trente ans : elle ne gêne en rien un plateau flamboyant ; ce soir, elle ne faisait que mettre en évidence l’indigence et l’impréparation de cette soirée.

Le triomphe annoncé n’est même pas au rendez-vous, le public applaudissant mollement (ou pas du tout) tout au long de cette représentation. Le battage médiatique aura peut-être permis de remplir la salle, mais pas de lui faire prendre les vessies pour des lanternes : double effet « Kiss Cool », le spectateur novice qui aura fait les frais d’un billet pour la première fois pourra se dire « si c’est ça ce qu’on peut voir de mieux, ce n’est pas la peine de revenir ».

En Elvira, Netrebko nous doit une revanche, mais je doute qu’elle ne nous l’offre jamais.



Placido Carrerotti


(1) Forum Opéra a par exemple été cité par France Musique à l’occasion d’une de ses retransmissions : le présentateur a ainsi pu tempérer les louanges de la critique « officielle » envers un ténor surmédiatisé.

(2) La seule audition préalable de celle-ci par les responsables du Metropolitan aurait dû suffire à disqualifier définitivement ce chanteur pour ce rôle. Visiblement, tout le monde s’en moque.


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