C O N C E R T S
 
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STRASBOURG
14/02/2007
 
© Alain Kaiser
Richard WAGNER

Das Rheingold

Drame lyrique en quatre tableaux
Prologue du Ring des Niebelungen
Poème du compositeur

Direction musicale : Günter Neuhold
Mise en scène : David McVicar
Décors et costumes : Rae Smith
Masques : Vicki Hallam
Lumières : Paule Constable
Chorégraphe : Andrew George
Chorégraphe aérien : David Greeves
Illusionniste : Paul Kieve

Wotan : Jason Howard
Donner : Julian Tovey
Froh : Carsten Suess
Loge : Wolfgang Ablinger-Sperrhacke
Alberich : Oleg Bryjak
Mime : Colin Judson
Fasolt : Clive Bayley
Fafner : Günther Groissböck
Fricka : Hanne Fischer
Freia : Ann Petersen
Erda : Alexandra Kloose
Woglinde : Cécile de Boever
Wellgunde : Susanne Reinhard
Flosshilde : Sylvie Althaparro
Das Rheingold : David Greeves
Nibelungen : Petits chanteurs de Strasbourg

Orchestre Philharmonique de Strasbourg

Nouvelle production

Strasbourg, Opéra - 14 février 2007


1/2

L’Or (de l’Opéra) du Rhin

Est-ce la proximité du Rhin qui a porté chance à l’Opéra du Rhin pour ce Rheingold absolument somptueux, sans doute l’une des plus remarquables productions de la maison (et il y en a eu ces dernières saisons !) ?
Nous sommes rarement sortis d’une représentation wagnérienne aussi emporté par la beauté des images, la pertinence de la vision scénique et une distribution impeccable.

David Mc Vicar était attendu pour le premier volet de son Ring (qui s’étalera sur quatre saisons), disons d’emblée que la réussite est absolument éblouissante.
Enfin, un Ring sans costume-cravate, sans imperméable, sans uniforme, bref sans référence au monde contemporain de Wagner ou au nôtre mais au contraire tournant le dos à tout cela et regardant dans la direction vers laquelle Wagner lui-même s’est tourné : les mythes, les civilisations antiques, les cultures ancestrales. On aura pu penser un instant à la vision du « Ring russe » du Théâtre Maryinsky de St-Pétersbourg choisissant lui aussi une ambiance « primitive », mais sans l’intelligence et le fini de la production de l’Opéra du Rhin.


© Alain Kaiser

De la Grèce antique (les Dieux) à l’Afrique (les Géants) en passant par l’Inde (Loge), le Japon (Freia, Donner, Froh) et la Scandinavie (les Nibelungen), c’est à un fascinant kaléidoscope de cultures que nous invite Mc Vicar : ces différentes cultures cohabitent, se mêlent ou se heurtent. Quoi de plus représentatif et symbolique des rencontres et conflits entre Dieux, nains et géants que la juxtaposition de ces civilisations du monde tout aussi différentes ?

Outre l’intemporalité et l’universalité qui se dégage de cette vision, la clarté des situations est magnifiée et l’action est rendue limpide.

A cela on ajoutera une splendeur visuelle extraordinaire (somptueux costumes) et une direction d’acteurs sensationnelle. Car Mc Vicar ne s’est pas contenté du décorum et de la couleur locale, le travail de la gestique et des déplacements est confondant : des filles du Rhin telles des danseuses balinaises, de géants guerriers africains, de Freia geisha, de Donner samouraï, d’Alberich troll, de Loge Vishnou aux six bras, la caractérisation des personnages et de la civilisation qu’ils représentent est proprement prodigieuse.

Cette énumération pourrait laisser croire à un catalogue de clichés, pourtant - et là est, à notre sens, toute la force et la réussite de Mc Vicar et son équipe - nous sommes loin, très loin de toute caricature et aucun des personnages, aucune des situations ne fait sourire. Au contraire, on est renversé par tant de pertinence, car il faut se rendre à l’évidence : ça marche !

Ajoutons à cela d’autres très belles idées tel l’Or du Rhin symbolisé par un Apollon couvert d’or, véritable « objet » (si ce n’est objet sexuel) des Filles du Rhin (la défaite et la résolution d’Alberich n’en ressort que d’autant plus). On retrouvera le masque de cet Apollon, mais énorme et brisé, aux troisième et quatrième tableaux, notamment recouvrant Freia : c’est l’Or que s’arrachent Dieux, nains et géants. L’Apollon refera enfin une ultime apparition à la toute fin de l’ouvrage, mais terni et agonisant. Un Crépuscule avant l’heure.


© Alain Kaiser

Autre superbe idée, la forte présence des masques pour les Dieux qui symbolisent leur pouvoir si ce n’est leur âme. Ainsi, lorsque Freia est enlevée par les géants et que les Dieux perdent leur force, des figurants viennent retirer les masques aux Dieux, et les transportent lentement hors de la scène. Leur retour sera tout aussi majestueux et magique.

Le décor quant à lui est d’une sobriété qui n’a d’égal que son efficacité : des pans plats ou concaves, magnifiés par de somptueux éclairages, suffisent à exalter les situations, les personnages ou camper les lieux (le Walhalla est ainsi simplement évoqué par un immense pan argenté descendant lentement des cintres : splendide).

La réalisation scénique est d’une perfection rare à l’image des transformations d’Alberich d’une précision d’exécution absolument parfaite, des 4 bras (de deux danseurs placés derrière le chanteur) venant compléter ceux de Loge ou encore des déplacements des Petits chanteurs de Strasbourg en Nibelungen.

On l’aura compris, la réussite de David Mc Vicar et de son équipe (décorateur et costumier, réalisateur des masques, éclairagiste, chorégraphe, chorégraphe aérien, illusionniste !) est extraordinaire. On est curieux de voir la vision du metteur en scène pour les volets suivants et on espère une réussite toute aussi éblouissante qui pourrait faire de ce Ring une date dans la mise en scène wagnérienne, en tout cas davantage que la vision de Braunschweig à Aix-en-Provence dont l’inaboutissement et quelques images éculées (costume-cravate, uniformes militaires) le desservent.


© Alain Kaiser

Deuxième atout indéniable de ce Rheingold alsacien : une distribution absolument impeccable d’autant plus impressionnante que la moitié des chanteurs effectuent une prise de rôle ! Il faut donc saluer la direction artistique de l’Opéra du Rhin qui a su trouver des artistes tout à fait remarquables et les inciter à se lancer dans cette aventure. Les citer tous serait fastidieux, et pourtant tous le méritent car non seulement ils sont de brillants chanteurs mais de tout aussi brillants acteurs.

L’Alberich d’Oleg Bryjak et le Loge de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke par exemple, sont absolument confondants. Le premier (déjà entendu dans ce rôle à Baden-Baden) fascine par un voix au métal somptueux, d’une puissance égale sur tout le registre et par une incarnation magistrale. Le second est tout aussi impressionnant tant vocalement que scéniquement. On peut distribuer Loge à un ténor lyrique ou un ténor de caractère, chaque type de voix caractérisant le personnage différemment, avec Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, nous avons pratiquement les deux. Sa voix puissante mais très malléable lui permet des prodiges de finesse et montre un chanteur au summum de son art. Si on ajoute à cela une présence et une aisance sur scène d’autant plus confondantes qu’il s’agit là de son premier Loge, on ne peut que saluer un aussi grand artiste.

Le Wotan de Jason Howard, tous pectoraux dehors, impressionne lui aussi par une voix de bronze parfaite pour le rôle et un grand investissement. Les géants (juchés sur des échasses) de Clive Bayley et Günther Groissböck sont remarquables tout comme le très touchant Mime d’un Colin Judson absolument extraordinaire que l’on souhaite vivement retrouver dans Siegfried.

Les femmes sont tout aussi convaincantes, de la superbe Fricka d’Hanne Fischer à l’Erda d’Alexandra Kloose en passant par de très belles Filles du Rhin.


© Alain Kaiser

La direction de Günter Neuhold se montre des plus séduisantes avec une fluidité et un sens de la continuité remarquables. Des tempi qui semblent toujours justes, une précision impeccable, un élan que ne vient jamais briser un quelconque effet, la musique respire et avance. On regrettera parfois un manque d’ampleur, de souffle, mais la faute en incombe surtout à un Orchestre Philharmonique de Strasbourg qui n’est, mille fois hélas, pas à la hauteur de la situation. Si les cordes, notamment aiguës, sont visiblement le témoin d’une évolution sensible, si les bois sont très beaux (notamment les bassons), les cuivres semblent dépassés, spécialement des cors et tuben laborieux et extrêmement irréguliers : son parfois étriqué, creux dans les harmonies, fausses notes, attaques incertaines voire aigus problématiques... tout cela rend douloureux bien des épisodes, à commencer par un Prélude fragile et un Finale manquant cruellement de corps et de puissance. Ces pages extraordinaires en deviennent presque d’une platitude regrettable. On ne peut accabler des musiciens qui, à notre sens, donnent leur maximum, mais ce maximum n’est tout simplement pas à la hauteur du défi artistique que vise l’Opéra du Rhin.

Néanmoins, nous avons eu droit ce soir à l’une des plus remarquables représentations wagnériennes qui soit. Vite, la suite !



Pierre-Emmanuel LEPHAY



Prochaines représentations :

STRASBOURG, Opéra
18 février 15 h, 24 février 20 h, 27 février 20 h, 1er mars 20 h

MULHOUSE, Filature
9 mars 20 h, 11 mars 15 h


Renseignements : www.operanationaldurhin.com
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