C O N C E R T S 
 
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OTTAWA
14/09/05
William Joyner (Roméo) Laura Whelan (Juliette)
© Copyright : Opéra Lyra 2005
ROMÉO ET JULIETTE 

Opéra de Charles GOUNOD

Livret de Jules Barbier et Michel Carré

Direction musicale : Tyrone Paterson
Mise en scène : John Hoomes
Conception des Décors : Claude Girard
Conception des costumes : Malabar
Concepteur des éclairages : Stephen Ross
Chorégraphe de combat : Jean-Pierre Fournier

Juliette : Laura Whalen
Roméo : William Joyner
Mercutio : Aaron St. Clair Nicholson
Stephano : Michelle Sutton
Capulet :Gaetan Laperriere
Gertrude : Elizabeth Turnbull
Tybalt : Kurt Lehmann
Paris : Phillip Holmes
Frère Laurent : Valerian Ruminski
Grégorio : Luc Lalonde
Benvolio : David Lankeneau
Le Duc de Vérone : Gary Dahl

Centre national des Arts, Salle Southam
Représentation du 14 septembre 2005

L'accueil triomphal que le public du Théâtre Lyrique fait à Roméo et Juliette le 27 avril 1867 contraste avec la tiédeur de certains critiques qui, à l'époque, ne lui font pas bonne presse. Parmi eux, Henri Blaze de Bury (1) juge sévèrement l'oeuvre dans son ensemble, spécifiant d'abord que Gounod "n'est point un mélodiste". Étonnamment, il ajoute :
 
Je ne mets point en question la valeur musicale de la partition de M. Gounod, grammaticalement c'est peut-être exquis, impossible de faire parler aux instruments une langue plus élégante et plus diserte. Cette musique, jamais tendre, jamais passionnée, rarement en situation, a des détails qui vous enchantent, des enroulements (sic) décoratifs qui vous rappellent les arabesques de Raphaël dans les loges du Vatican. Beaucoup d'afféterie, de maniérisme, une mosaïque d'idées abstraites, quelque chose de posthume jusque dans l'instrumentation, rien pour le coeur, rien pour les sens, mais par momens (sic) les plus délicates gourmandises pour l'esprit : tout cela presque sans rapport avec le sujet en se contentant d'effleurer l'anecdote.


La postérité réfutera largement l'idée selon laquelle Gounod ne serait pas un mélodiste. La mélodie est l'essence même de son immense talent et elle coule ici à flot. Ce qu'on ressent aujourd'hui à l'audition de l'oeuvre prend le contre-pied de Blaze de Bury. Qu'elle ne possède pas la profondeur de Shakespeare, on ne le conteste pas, mais qui à l'opéra, à part Verdi avec Macbetto, Otello et Falstaff, peut avoir eu la prétention de pénétrer le sens de cette dramaturgie ? Pour le reste, la musique de Roméo et Juliette exhale une odeur de printemps, pleine de tendresse et de passion, elle parle directement au coeur. 

C'est la valeur musicale de l'ouvrage qu'Opéra Lyra accentue. À défaut de pouvoir miser sur des moyens impressionnants, les artisans de cette production choisissent judicieusement d'en faire d'abord un drame intimiste sur lequel se greffe ensuite le destin des deux familles. C'est un véritable festin pour les yeux et les oreilles ! La mise en scène très classique de John Hoomes met en valeur l'individualité brillamment esquissée des protagonistes. Jamais un geste hors de propos, toujours cette manifestation d'enthousiasme qui enchante dans les moments d'exubérance, dans les mouvements d'ensemble, les jeux et les effets de scène. Le décor unique utilisé pour les cinq actes s'harmonise parfaitement avec cette conception. En fond de scène, un mur percé de trois portes d'arche et, de chaque côté, une porte d'arche du même style. Au deuxième acte, le mur principal couvert de lierres et flanqué d'un balcon, offre au spectateur des images d'une luxuriante beauté. Ce dispositif, auquel s'ajoutent quelques accessoires et le catafalque dans la scène du tombeau, contribue à l'enrichissement d'une scénographie rehaussée par des éclairages empreints de poésie et efficacement orientés. Soulignons également l'éclat des costumes médiévaux conçus pour une production montréalaise en 1986.


(Acte 2)
© Copyright : Opéra Lyra 2005

Le plateau réussit dans l'ensemble à charmer aussi bien visuellement que vocalement. Laura Whalen et William Joyner (le Nicias de Thaïs à La Fenice) prêtent leur apparente jeunesse, leur beauté et leur timbre magnifique aux héros éponymes. Cette Juliette, toute de grâce et de fraîcheur, déploie une vocalisation impeccable. Son soprano lyrique s'envole avec aisance comme dans sa valse, brillante, mais en même temps délicatement projetée. C'est un personnage essentiellement marqué par le bonheur et l'amour, le risque de sombrer dans la mièvrerie est bien réel, mais la musicienne l'élude avec brio. 


Laura Whelan (Juliette)  William Joyner (Roméo) 
© Copyright : Opéra Lyra 2005

Roméo est taillé sur mesure pour William Joyner. Il y a fort longtemps qu'on n'avait entendu en cette salle un ténor doté d'une telle souplesse. Son timbre aux harmoniques ravissantes séduit dès les premières mesures et rend justice à la tendresse que recèle ce rôle particulièrement élégiaque. Il donne une interprétation enflammée de "Ah ! Lève-toi, soleil !" culminant par un splendide diminuendo sur le si bémol aigu. Les moments de plus forte tension ne sont pas en reste; sa voix prend alors une couleur plus sombre sans que jamais il ne se départisse de cette élégance volontiers associée au personnage. 

Les protagonistes offrent une interprétation singulièrement touchante des quatre duos d'amour. Dans "Nuit d'hyménée" surtout, on retrouve cette fusion de la pensée dramatique et musicale qu'on ne rencontre que chez des artistes accomplis.


Aaron St. Clair Nicholson (Mercutio)
© Copyright : Opéra Lyra 2005

Devant un couple aussi rayonnant, le reste de la distribution ne démérite pas. Aaron St. Clair Nicholson s'impose par sa maîtrise de la ligne vocale. En Mercutio, il est remarquable de précision et se montre excellent acteur. Quelle diction pour un anglophone, quel souci de clarté dans la ballade de la reine Mab ! Une extraordinaire adéquation au rôle, à sa verve. Au troisième acte, Michelle Sutton imprime à Stephano une insolence en rapport avec l'urgence de la situation. Dans "Que fais-tu blanche tourterelle", son mezzo charnu, sa maîtrise de la projection et un sens aigu des nuances signalent une interprète d'élection pour ce rôle. Gaétan Laperrière prête à Capulet une voix ample et homogène sur toute la tessiture, mais aussi un engagement scénique qu'on ne lui a pas toujours connu. En Tybalt, Kurt Lehmann déçoit quelque peu; on l'a déjà entendu en bien meilleure forme dans Turandot (Pong) à l'Opéra de Montréal. Les autres rôles sont fièrement tenus.

Sous la direction très subtile de Tyrone Paterson, l'orchestre se surpasse. Le chef en tire des sonorités très contrastées tout en maintenant un équilibre rigoureux entre les différentes sections, notamment dans la scène du duel où les cuivres pourraient à tout moment écraser les cordes. Ce parfait contrôle des masses assure aux chanteurs un écrin de choix.
 
 

Réal BOUCHER
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(1) Henri Blaze de Bury, Shakespeare et ses musiciens, in Revue des Deux Mondes, mai-juin 1867, p. 451

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