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PARIS
04/07/05

Inva Mula (Magda) © DR
Giacomo PUCCINI (1858-1924)

LA RO NDINE

Comédie lyrique en trois actes
Livret de Giuseppe Adami,
D'après un livret allemand d'Alfred Maria Willner et Heinz Reichert
d'après le drame de Jean Nicolas Bouilly 
Nouvelle production du Théâtre du Capitole de Toulouse
Coproduction avec le Royal Opera House Covent Garden

Inva Mula (Madga de Civry)
Annamaria dell'Oste (Lisette)
Giuseppe Filianoti (Ruggero Lastouc)
Marius Brenciu (Prunier) 
Alberto Rinaldi (Rambaldo Fernandez)
Elsa Maurus (Suzy)
Oriana Kurteshi (Yvette)
Nicole Fournié (Bianca)
Frédéric Caton (Périchaud)
Jean-Pierre Lautré (Gobin)
Thierry Félix (Crébillon)
Thierry Vincent (un maître d'hôtel)
Nicolas Joël (Mise en scène)
Ezio Frigerio (Décors)
Franca Squarciapino (Costumes)
Marco Armiliato (Direction musicale)
Patrick Marie Aubert (Chef des choeurs)

Orchestre National du Capitole de Toulouse
Choeur du Capitole

Paris, Théâtre du Châtelet, 4 Juillet 2005

Ces décors - stucs, ferrures, arabesques Art nouveau -, ces costumes - soies plissées, imprimés géométriques - , bref, cette somme dense de références où se profilent Klimt et Horta, Majorelle et Lavirotte, eussent pu, Madame, vous tuer. Vous figer dans la joliesse et l'attendrissement. Vous noyer dans des raffinements fin-de-siècle auxquels certes la musique de Puccini accorde mainte concession. 

N'est-ce pas du reste cela même qui défait Magda ? N'est-ce pas cette aspiration finale à des amours moins simples, à des heures moins nues ? N'est-ce pas l'attrait même des bibelots et des petits égarements bourgeois qui ramène l'hirondelle à son nid parisien ?

Naturellement, il y a plus que cela. Il y a la fêlure, qui est celle du temps qui passe. Tout est là, et c'est cela, Madame, que vous nous avez fait entendre l'autre soir. Je ne sais pas comment. Je ne sais plus si c'était dans votre voix, ou dans vos yeux, que se lisait ce lointain, que se devinaient la fragilité et la rupture. Ou dans ce pli de votre bouche qui donne à votre visage quelque chose de douloureux. Ou dans ce geste gracieux qui accompagne les phrases haut tenues et indique quelque autre monde, invisible à l'oeil nu - celui de la mémoire.

Ainsi, sur ce plateau où l'on s'était appliqué à restituer avec une fidélité de grimaud la couleur locale, vous étiez ailleurs, sorte d'apparition comme seules savent et peuvent être les héroïnes de Puccini, toujours dans cet entre-deux, toujours perdues dans cette rêverie dont elles colorent leur vie avant que la vie ne les rattrape et ne les fasse payer. Ainsi Mimi, ainsi Musette, ainsi Cio-Cio-San, ainsi Manon - toutes si fortement charnelles et si peu incarnées.

Vous étiez cela, Madame : éthérée. L'éther, chez les Anciens, c'était le ciel limpide. C'est là que vous nous avez mis.

A cette ténuité lumineuse s'opposait l'enracinement de votre Ruggero (Giuseppe Filianoti : visage de Pierrot lunaire à la Gigli, timbre sombre et métal sonore), sa vitalité terrienne, sa robustesse qui dans le dernier tableau éclate en un désarroi éperdu d'incompréhension.

Il fallait aussi que la fantaisie s'en mêle, et c'est grand mérite à Nicolas Joël d'avoir su la faire si vivace, si tournoyante, plus grand mérite encore à l'excellentissime Marius Brenciu (Prunier) et à Annamaria dell'Oste (Lisette) de n'avoir pas confondu burlesque et farcesque. Comme autant de gravures nées sous la main de Mucha, les seconds rôles, impeccables, passent sur scène en souriant - mais le Rambaud du vétéran Rinaldi a l'épaisseur un Lancaster viscontien. Le Maestro Armiliato fait valoir les transparences d'aquarelliste et les irisations subtiles voulues par Puccini, jusqu'à certaines acidités osées qui disent le refus de la pleine pâte, et de la fresque, mais où se profile la pointe sèche, cruelle, de Lulu

Dans ces cordes d'une élégante amertume, votre voix, Madame, se mirait, et nous vous admirions.
 
 

Sylvain FORT
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