C O N C E R T S
 
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PARIS
12/11/2006
  
© Photo : Simon Fowler
(www.natalie-dessay.com)

Vincenzo Bellini (1801-1835)

La Somnambule

Opéra en deux actes (1831)
Livret de Felice Romani

Amina, Natalie Dessay
Elvino, Francesco Meli
Le Comte Rodolfo, Carlo Colombara
Teresa, Sara Mingardo
Lisa, Jaël Azzaretti
Alessio, Paul Gay

Orchestre et Choeur de l'Opéra National de Lyon
Direction musicale Evelino Pidò

Paris, Théâtre des Champs Elysées
le 12 novembre 2006

Le fiancé de la Somnambule

La Somnambule se fait rare à Paris… C’est donc avec une énorme plaisir que l’on est venu l’écouter pour ce concert unique. Nous n’étions pas les seuls d’ailleurs : peut-être à cause de l’œuvre, mais plus sûrement à cause de sa principale protagoniste, Natalie Dessay, le Théâtre des Champs Elysées avait fait le plein ce dimanche soir.

L’attente était très forte, sachant que ces mêmes chanteurs avaient chanté et enregistré (1) l’œuvre quelques jours plus tôt à Lyon et au vu des Lucia passionnantes chantées par Natalie Dessay quelques semaines plus tôt à Bastille.

Cependant, on ne peut s’empêcher de ressentir une certaine frustration à la sortie de ce concert.

Concert : le mot est lâché ! C’est principalement sur ce point que le bât blesse. C’est en effet une version de concert qui nous est proposée, sans même un effort de mise en espace. Malgré toutes les qualités des chanteurs et de l’orchestre réunis ce soir, il manque un jeu dramatique pour animer les personnages. C’est d’autant plus vrai que les chanteurs sont restés très statiques tout au long de la soirée, même Natalie Dessay, que l’on a connue beaucoup plus vivante au cours de ses récitals.

Natalie Dessay est justement cause de la seconde petite frustration de la soirée. Non pas que sa prestation ait été mauvaise, loin de là ! Comme noté lors des représentations de Lucia cette saison, le medium est devenu rond et beau, le « ah no credea mirarti » est rêveur à souhait, l’utilisation des pianis superbes…

Et pourtant… Peut-être attendait-on trop de Natalie Dessay dans ce rôle, qui fut sa première incursion dans le bel canto dès 1995 à Lausanne ? Faut-il incriminer la version de concert qui bride son inspiration interprétative, un stress visible qui la paralyse, une petite méforme vocale ? Si le chant n’a jamais été pris en défaut, la prestation a cependant laissé tout au long de la soirée une impression de retenue et de prudence, bien loin des incarnations hallucinées habituelles de la chanteuse ; ainsi, les variations de l’air « sovra il sen la man mi posa » semblent bien sages, les incursions dans le suraigu sont rares. Dire qu’elle avait été critiquée lors de sa prise de rôle à Lausanne pour la surabondance des ornementations qui rompaient la ligne de chant... On est passé d’une virtuosité forcenée à une sobriété un peu excessive.

De même, l’interprétation laisse l’impression d’un personnage uniformément rêveur qui ne sort jamais vraiment de son songe. On ne ressent pas vraiment de différence entre les scènes éveillées et les scènes de somnambulisme.

On aperçoit fugacement ce que son interprétation aurait pu être lors du finale ; on la voit en effet se libérer sur quelques mesures de la reprise du « Ah Non guinge », osant sortir de son statisme et esquisser quelques gestes de la main.

Cette Amina paraît plus effacée encore du fait de la performance de son Elvino. Avec Francesco Meli, on est en effet bien loin du rôle de paysan falot habituellement dévolu à des tenorinos sans grand caractère et simples faire-valoir de la soprano.

Il ose un Elvino très inhabituel, nuancé, capable de chanter avec vaillance mais sachant également alléger sa voix dans les passages élégiaques. Chaque phrase est ciselée, chaque mot est pesé : il varie le volume et l’émission selon les sentiments du personnage, la voix se fait ardente et forte puis en un mot se transformer en murmure ; les aigus sont rayonnants, parfois émis à pleine voix
(2), parfois piano, en voix mixte. Le « son geloso del zefiro errante » chanté toute en délicatesse est très émouvant et son brillant dernier air « Ah ! perché mon posso odiarti » lui vaut une ovation. Et ce n’est pas un petit couac en fin de représentation qui remettra en cause cette leçon de chant, beau et surtout expressif !

Par ailleurs, les forces de l’Opéra de Lyon ont brillé sous la baguette d’Evelino Pido, tour à tour dynamique 
(3) et poétique. Le reste de la distribution réunie ce soir n’appelle que des félicitations : elle est d’un niveau remarquable voire même un peu surdimensionnée… Les quelques répliques du pauvre Alessio sont un peu minces pour la belle voix de basse de Paul Gay. On retrouve avec plaisir le contralto de Sara Mingardo qui rend justice au personnage de Teresa. Carlo Colombara est un comte qui, bien que parfois un peu noyé dans les ensembles, convainc finalement par sa tenue et sa science du bel canto. Jaël Azzaretti, elle, de sa voix légère mais bien projetée apporte tout le piquant nécessaire à Lisa.

Cette soirée aura donc eu le mérite de nous permettre d’écouter cette œuvre magnifique dans des conditions vocales excellentes : on souhaite cependant dans un futur pas trop lointain une version scénique, dans laquelle Natalie Dessay pourra faire valoir tout son engagement scénique.

En attendant, le prochain rendez-vous avec Madame Dessay aura lieu en janvier à Covent Garden, dans une Fille du régiment avec Juan-Diego Florez qu’on espère ébouriffante !



Antoine BRUNETTO


Notes

(1) Enregistrement live lors des représentation lyonnaises.
(2) Comme dans le « tutto in questo instante », avec en prime un suraigu sur le « sguardi » dans la reprise, d’une facilité déconcertante.
(3) Parfois un peu trop au vu du tempo effréné du duo entre le comte et Elvino, « Signor Conte, agli occhi miei ».
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