C O N C E R T S
 
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PARIS
03/06/2007
 
Rosemary Joshua © DR

Gioacchino Rossini (1792-1868)

TANCREDI

Livret de Gaetano Rossi d'après Voltaire

Version de concert
Orchestre des Champs-Elysées
The English Voices
René Jacobs : direction
Tim Brown : chef de choeur
Bernarda Fink : mezzo-soprano (Tancredi)
Rosemary Joshua : soprano (Amenaide)
Lawrence Brownlee : ténor (Argirio)
Anna Chierichetti : soprano (Roggiero)
Federico Sacchi : basso (Orbazzano)
Elena Belfiore : contralto (Isaura)

Pleyel, 3 juin 2007

L’après-midi aphone


Les occasions d’entendre des ouvrages comme Tancredi sont bien rares à Paris. On remerciera donc vivement la salle Pleyel de cette initiative, mais on déplorera que le public parisien ait préféré les charmes d’un après-midi ensoleillé à la découverte d’un chef-d’œuvre injustement négligé dans la capitale. Il faut dire que depuis quelques mois les salles ne se remplissent plus aussi facilement que de par le passé : un constat inquiétant à l’heure où l’on choisit de construire une nouvelle salle de concert dans un quartier (la Villette) particulièrement excentré par rapport à l’offre traditionnelle.

Les productions habituelles des opéras serie de Rossini mettent rarement l’accent sur la qualité orchestrale, mais plutôt sur les fastes vocaux. Le second intérêt de ce spectacle résidait donc dans la présence de l’Orchestre des Champs-Élysées, sous la direction de René Jacobs.

Au-delà de l’évident intérêt intellectuel de la démarche du chef baroque et de sa formation, je dois néanmoins avouer que je n’ai pas été convaincu par le résultat musical.

Certes, on pourrait dire que Jacobs redonne une certaine dignité à l’orchestration, mais au détriment de l’unité et de la couleur. En effet, ce Tancredi m’est surtout apparu comme une suite de tableaux bien léchés et jamais comme un « tout » cohérent musicalement et dramatiquement. Quant à la couleur, elle rappelle trop celle des opéras de Mozart sous la même baguette. Au final, un Rossini exagérément architecturé auquel il manque un substrat de légèreté et de liberté, cette folie sans laquelle il n’y a pas vraiment de Rossini réussi.

Enfin, on aurait attendu de Jacobs plus d’attention envers les chanteurs dans une salle qui ne les flatte guère ; or, ceux-ci sont régulièrement couverts par des déluges de décibels : c’est un peu « L’Après-midi aphone ».

Un résultat en demi-teintes donc, mais une approche digne d’intérêt qu’il faudra suivre sur la durée.

Dans le rôle-titre, Bernarda Fink, chanteuse fort estimable au demeurant, se révèle un peu dépassée par les événements. La voix est insuffisamment projetée, les couleurs un peu ternes ; les variations ont le mérite d’exister mais laissent perplexes tant elles s’éloignent du « style rossinien » tel que restitué par les musicologues de Pesaro. On apprécie, en revanche, une chanteuse engagée et d’une belle musicalité : mais les moyens peinent à donner tout le relief nécessaire au rôle. Dans ces conditions, on appréciera le choix du lieto fine au détriment du final tragique plus exigeant dramatiquement. On ne peut toutefois s’empêcher de penser avec une certaine tristesse que Marilyn Horne, la plus grande titulaire moderne du rôle, n’aura jamais pu chanter celui-ci à Paris.

Rosemary Joshua n'est pas davantage une rossinienne mais tire son épingle du jeu grâce à une présence rayonnante, et un chant agréable : les vocalises sont bien exécutées, ornementées de quelques suraigus qui nous rappellent qu’il y aussi une part de « risque » dans une interprétation rossinienne. Mais cette Aménaïde exagérément piquante manque de noblesse et son style est par trop baroque : on flirte ici avec Semele ou Cléopâtre.

Lawrence Brownlee se taille le plus beau succès au final. La voix n’est pourtant pas bien grande, et l’artiste ne fait visiblement pas beaucoup d’efforts pour projeter. Le premier air est un peu laborieux et les vocalises semblent scolaires et appliquées (il faut dire que le tempo pris par le chef pour la cabalette est particulièrement lent) : il ne recueille d’ailleurs aucun applaudissement. Le second voit le chant du ténor américain s’améliorer, mais c’est surtout pour sa grande scène de l’acte II que le chanteur recouvre ses moyens : si on excepte un aigu en voix de tête un peu miaulé, l’ensemble de la scène est digne d’éloge, le ténor faisant montre de vaillance et d’engagement dans une partie particulièrement redoutable. La couleur sombre de cette voix peut laisser espérer que nous ayons là un nouveau « baryténor », avec toutefois moins d’aisance dans le suraigu qu’un Chris Merritt (Brownlee se contente d’un ut dièse pour tout l’opéra, ce qui est un peu maigre), mais davantage qu’un Bruce Ford. Une voix intéressante donc, certainement à suivre, mais un chanteur qui devra apprendre qu’un artiste en pleine santé doit se donner à fond tout le long de l’opéra, et non pas se réserver pour sa grande scène.

Federico Sacchi est une très belle voix de basse et on ne peut que regretter que Rossini n’ait pas jugé bon de développer sa partie.

L’ouvrage est ici donné sans coupures, ce qui nous vaut d’entendre les deux « airs de sorbet » d’Isaura et de Roggiero.

La première est un plutôt en difficulté dans sa partie : voix un peu instable au vibrato hoquetant, timbre sans charme particulier… Elena Belfiore est-elle d’ailleurs vraiment un contralto ? Anna Chierichetti est autrement convaincante en Roggiero et son air de second acte est bien mené.

Signalons enfin des chœurs particulièrement sonores et bien chantants malgré leur faiblesse numérique relative.



                                Placido CARREROTTI

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