C O N C E R T S
 
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PARIS
21/12/2005

© Eric Mahoudeau
Serge PROKOFIEV

L'AMOUR DES TROIS ORANGES

Opéra en 4 actes
Livret du compositeur d’après Carlo Gozzi

Mise en scène : Gilbert Deflo
Décors & costumes : William Orlandi
Lumières : Joël Hourbeigt
Chorégraphie : Marta Ferri

Philippe Rouillon : le Roi de Trèfle
Charles Workman : le Prince
Hannah Esther Minutillo : la Princesse Clarice
Guillaume Antoine : Léandre
Jean-Luc Ballestra : Pantalon
José van Dam : Tchélio
Béatrice Uria-Monzon : Fata Morgana
Letitia Singleton : Linette
Natacha Constantin : Nicolette
Aleksandra Zamojska : Ninette
Victor von Halem : la Cuisinière
Jean-Sébastien Bou : Farfarello
Lucia Cirillo : Sméraldine
David Bizic : le Héraut
Nicolas Marie : le Maître de cérémonies

Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Paris
Direction musicale : Sylvain Cambreling

Opéra-Bastille, le 21 décembre 2005

ORANGES MÉCANIQUES

L’année lyrique de l’Opéra de Paris s’achève avec un nouvel opéra du XXème siècle (1) qui aura pour une fois réussi à faire le plein de l’Opéra-Bastille.

Comme les ouvrages des années 20-30 déjà proposés cette saison, L’Amour des Trois Oranges, créé en 1921, est une œuvre de rupture, relevant elle aussi de « l’anti-opéra » (2).

Le livret emprunte au registre de la farce, mais le ton en est plutôt celui de la causticité et du second degré. L’histoire ne semble d’ailleurs qu’un prétexte tant les caractères dépeints sont superficiels et schématiques. Si humour il y a, c’est bien plutôt dans la partition inventive de Prokofiev qu’il faut le chercher.

L’ouvrage décrit les aventures d’un prince hypocondriaque que Truffaldino, spécialiste en farces et attrapes, est chargé de guérir par le rire. Il est épaulé bien peu efficacement par le pitoyable mage Tchélio qui s’oppose à l’efficace Fata Morgana, sorcière associée à Léandre et Clarice qui complotent pour prendre la place du prince dès son décès.

Le Prince se voit imposé par Fata Morgana de conquérir l’amour des trois oranges, gardées par une horrible cuisinière. Le Prince y parvint avec l’aide de Truffaldino et les oranges font place à trois belles princesses dont deux meurent de soif rapidement.
Grâce à l’intervention du chœur des « ridicules », la jeune fille est sauvée de la mort mais, tandis que le Prince s’en va pour lui chercher une robe digne de la cour, elle est transformée en rat par Fata Morgana aidée de son esclave Sméraldine.

Après quelques ultimes péripéties sans grand intérêt, la princesse retrouve forme humaine pour épouser le Prince.

Composée initialement sur une version française du livret, la musique passe (selon les experts) pour être davantage en phase avec la version russe originale. Reste que les deux versions existent et c’est la française qui a été ici choisie.

L’ouvrage n’avait pas été monté à Paris depuis février 1983 (3), déjà en francais.

L’Opéra de Paris n’a pas lésiné sur les moyens, montant une production riche et spectaculaire où le talent de Gilbert Deflo se déploie à merveille.

Le rideau se lève sur un décor circulaire, habituel au metteur en scène belge, puis sur un univers de cirque et de pierrots, également sans grande surprise (4). Mais l’imagination de Deflo ne se limite pas à ce dispositif scénique initial et le spectacle grouillera de surprises, de beautés, et même d’effets spéciaux, la référence visuelle à la commedia dell’arte se révélant efficace et pertinente sur la durée, même si l’ensemble a quelque chose d’un peu mécanique et manque de spontanéité.

Charles Workman brille en Prince-Pierrot, son émission de tête convenant à cette vision lunaire du personnage. D’autant que l’excellent Barry Banks chante son Truffaldino en pure voix de poitrine : les duos sont ainsi harmonieusement dissociés et dramatiquement justes, la poésie de l’un s’opposant au prosaïsme de l’autre.

Cette production marque le retour de Philippe Rouillon, autre excellent chanteur inexplicablement absent de la scène française depuis une vingtaine d’années, et qui campe un Roi de Trèfle musical et sonore.

Tchélio est incarné par le vétéran José van Dam. Disons par charité que ce rôle n’ajoutera rien à sa gloire : cet artiste exceptionnel a bien du mal à franchir la fosse et à enfiler les habits d’un magicien ridicule.

En Fata Morgana, Béatrice Uria-Monzon est toujours aussi sonore et son timbre reste voluptueux, mais elle semble hésiter entre les versions française et russe du texte.

Les autres rôles sont correctement tenus, sans plus ; mention spéciale toutefois pour la Cuisinière de Viktor von Halem, basse sur le retour sans humour et au timbre délabré.

Toujours plus à son aise dans les œuvres dépourvues de pathos, Sylvain Cambreling dirige en symphoniste, faisant davantage ressortir les harmonies que les dissonances : une lecture qui pourra surprendre les amateurs d’un Prokofiev plus sauvage et provocateur, mais d’une réelle beauté musicale. Toutefois, comme souvent avec ce chef, on regrettera que les chanteurs soient systématiquement couverts dans le fortissimo.

Même si l’ouvrage n’est pas un chef-d’oeuvre, cette réunion de talents méritait une captation vidéographique : c’est heureusement chose faite.


Placido Carreroti

Notes

1. Cardillac (1926) et Le Nez (1930)

2. Nous faisons ici référence aux définitions, certes restrictives mais suffisamment éclairantes, qui voient dans l’opéra une synthèse des arts et l’expression des passions par le biais de la musique.

3. Cette production de l’ONP, donnée salle Favart dans une production sans prétention mais tout à fait réussie, réunissait des chanteurs francophones sous la baguette exaltée de Claude Schnitzler.

4. Cf. en ces mêmes lieux les productions de Manon et de Don Quichotte.
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