C O N C E R T S 
 
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LONDRES
06/06/05

Alessandro Corbelli (Don Geronio), Ildebrando D'Arcangelo (Selim),
Cecilia Bartoli (Fiorilla) © Photos by Catherine Ashmore.

 
IL TURCO IN ITALIA 

Opéra en 2 actes de Gioachino Rossini
Livret de Felice Romani
D'après Caterino Mazzola

Production : Moshe Leiser & Patrice Caurier
Décors : Christian Fenouillat
Lumières : Christophe Forey
Costumes : Agostino Cavalca
Mouvements : Leah Hausman

Fiorilla : Cecila Bartoli
Selim : Ildebrando D'Arcangelo
Don Narciso : Barry Banks
Don Geronio : Alessandro Corbelli
Prosdocimo : Thomas Allen
Zaida : Heather Shipp
Albazar : James Edwards

Choeurs et orchestre du Royal Opera House
Direction : Adam Fischer

Londres, le 6 juin 2006

CECILIA S'AMUSE
 

Créé à la Scala un an après la première vénitienne de L'Italienne à Alger, Le Turc en Italie souffre depuis plus de 190 ans de ce précédent illustre.

La critique a beau souligner l'originalité de l'oeuvre, son livret pirandellien, sa veine moins "vulgaire", même Forum Opéra y va de son dossier : rien n'y fait, l'ouvrage est loin d'atteindre la popularité de son rival (cette série de représentation marquait d'ailleurs la création de l'ouvrage au Royal Opera).

C'est que le Turc est affecté d'un défaut de fabrication irrémédiable : joué sérieusement, il déçoit ceux qui s'attendaient au même délire irrésistible que celui de L'Italienne ; mais si la mise en scène accentue par trop le côté comique, elle trahit le livret (semi sérieux) sans trouver d'écho dans une musique d'énergie inégale pour laquelle Rossini ne retrouve que de temps à autre sa vis comica.

Pour cette création londonienne, c'est (trop clairement) la seconde option qui a été retenue : la mise en scène de Moshe Leiser et Patrice Caurier fourmille de gags visuels , à tel point que les voix des chanteurs sont souvent noyées sous les éclats de rire du public.

Un public bon enfant par ailleurs, qui s'esclaffe tout aussi bruyamment aux moindres traits du livret ; ambiance oblige, des répliques qui ne devraient faire que sourire déclenchent de véritables tempêtes ; et qui plus est, au moment où la traduction en apparaît sur le surtitrage, c'est-à-dire, en règle générale, en décalage complet avec les paroles italiennes ! 

Une mère de famille est dépouillée par des gitans et se retrouve en nuisette, son bébé disparu ? On rigole. Des marins turcs tirent le bateau de Selim pour l'accostage ? Ca continue.
Apparition d'un lit rose pour accompagner le duo ? L'hilarité redouble. Narciso arrive en poussant un scooter ? Inondation dans les baignoires !

Geronimo s'écroule en pleurant dans les spaghetti ? On n'entend plus rien pendant 10 minutes
Et ainsi de suite jusqu'à la fin durant laquelle Fiorilla abandonnera une nouvelle fois son époux pour un maître nageur, tandis que Narciso, éconduit, trouve le réconfort dans les bras d'un docker... On se croirait presque dans un spectacle des Hermann.

Côté visuel, des décors et des costumes très réussis, aux couleurs vives : cette fois, c'est plutôt à cette Italie des années 50-60, chère à Laurent Pelly, que l'on pense.
 


Cecilia Bartoli (Fiorilla)
& Ildebrando D'Arcangelo (Selim)
Cecilia Bartoli
© Photos by Catherine Ashmore

Vocalement, la star de la soirée est évidemment Cecilia Bartoli pour une de ses rares apparitions dans un opéra donné en version scénique.

Pour une fois, on n'insistera pas sur la faible projection et le maigre volume de l'artiste : la salle du Royal Opera est particulièrement clémente pour sa voix qui, accompagnée par un orchestre discret et des partenaires peu agressifs, suffit largement pour se faire entendre correctement. 

Le timbre est toutefois un peu léger : après Callas ou Caballé, on a un peu le sentiment d'un retour à l'époque où les Lily Pons et Mady Mesplé triomphaient dans Lucia. Conséquence positive de cette émission, la facilité de vocalisation est absolument époustouflante ; qui plus est, les variations sont non seulement spectaculaires, mais surtout très intelligentes, semblant toujours couler de source comme si Rossini lui-même les avait écrites.
Enfin, le personnage est espiègle et sympathique, drôle sans cabotinage : un vrai plaisir.

A ces côtés, Ildebrando D'Arcangelo est un Selim, peut-être un peu léger dans l'absolu, mais parfait dans ce contexte : élégant et bien chantant.

Digne successeur des grandes basses bouffes italiennes des années 80 (Dara, Pratico, Trimarchi, et j'en oublie), Alessandro Corbelli approfondi leur héritage en insistant sur le côté pathétique du personnage, cette mélancolie sous-jacente s'accordant finalement assez bien avec un timbre qui manque un peu de rayonnement.

Barry Banks s'acquitte honnêtement du rôle périlleux de Narciso, avec parfois quelques tensions dans l'aigu ; vu la difficulté du rôle, on ne peut pas trop faire le difficile mais on est loin des régals offerts par les ténors rossiniens des années 80.

Dans le rôle passablement sacrifié du poète (du récitatif, quelques ensembles et aucun air), Thomas Allen réussit presque à voler la vedette à Corbelli : son Prosdocimo est vif, virevoltant, un double miracle scénique et vocal pour un chanteur qui a passé la soixantaine.

A la tête de l'orchestre du Royal Opera, Adam Fisher somnole doucement : on lui saura gré de ne pas couvrir les voix, on appréciera une certaine élégance là où il est si facile de rendre vulgaire la musique de Rossini ; on aurait toutefois aimé un peu de folie dans cette direction, ne serait-ce que pour rester au diapason de la mise en scène.

Une bien agréable soirée en définitive qui, malgré quelques défauts, témoigne de la vigueur retrouvée de la première scène londonienne, capable d'alterner avec succès les ouvrages les plus dramatiques et les plus enjoués, au sein d'une saison particulièrement brillante et équilibrée.
 
 

Placido CARREROTTI
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