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PARIS
09/06/05

© Elisabeth Carecchio
THE TURN OF THE SCREW

Opéra en un prologue et deux actes (1954)

Musique de Benjamin BRITTEN (1913-1976)

Livret de Myfanwy Pipper,
d'après la nouvelle d'Henry James

Direction musicale : Daniel Harding
Mise en scène : Luc Bondy
Décors : Richard Peduzzi
Costumes : Moidele Bickel
Lumières : Dominique Bruguière

Prologue : Olivier Dumait
Peter Quint : Martin Miller
La gouvernante : Mireille Delunsch
Mrs Grose : Hanna Schaer
Miss Jessel : Marie McLaughlin
Miles : Adam Berman
Flora : Fleur Todd

Mahler Chamber Orchestra

Théâtre des Champs-Elysées
9 juin 2005, 19h30

"This is a curious story" prévient timidement Olivier Dumait avant même que les lumières de la salle ne s'éteignent. L'histoire, hélas, les journaux nous le racontent chaque jour, est de moins en moins curieuse. Aussi Luc Bondy, entre les différentes interprétations possibles de la nouvelle d'Henry James, n'hésite pas, emboîte le pas à Benjamin Britten et choisit l'éclairage le plus actuel, avec pudeur et sobriété mais sans ambiguïté. Il devient alors inutile de rechercher derrière les spectres les fantasmes d'une femme névrosée ou la métaphore du passage à l'age adulte ; Peter Quint surgissant torse nu dans la chambre du petit Miles ne laisse pas de doute : la pédophilie est ici seule en cause.

Il faudra d'ailleurs pour triompher que la gouvernante accepte aussi de perdre son innocence, jusqu'à user des mêmes arguments que son adversaire. Mireille Delunsch abandonne à ce moment la froideur hitchcockienne qui caractérisait son personnage, se couche sur le sol et dénoue dans un geste symbolique ses cheveux blonds. Autrement, réservée, fermée presque, elle ne laisse transparaître le feu qui couve sous la glace qu'à travers les écorchures du timbre ou les rares élans lyriques que lui offre l'oeuvre. A cet effet, la courte scène de la lettre desserre quelques minutes l'étreinte oppressante qui donne à l'opéra son nom. L'engagement théâtral de la soprano française est, comme à l'habitude, exemplaire au point de prendre parfois le pas sur le chant dans un usage habile du parlando pour traduire les grands moments dramatiques.


© Elisabeth Carecchio

A ses côtés, Hanna Schaer, alias Mrs Grose, joue à armes égales, par l'intensité de la présence, par l'impact vocal aussi ; presque trop quand il faudrait plus de modestie pour marquer la différence de condition, respecter cette hiérarchie domestique, typiquement anglaise, si bien dépeinte par Kazuo Ishiguro dans Les vestiges du jour.

Etouffés par ces deux tempéraments, les enfants peinent parfois à se faire entendre ; les ensembles à cet égard sont impitoyables. Leur prestation reste cependant admirable compte tenu de l'exigence de la partition. Adam Berman surtout, assume sans faillir le rôle difficile de Miles.


© Elisabeth Carecchio

Martin Miller règne incontestablement sur le royaume des ombres. Le chant, ductile, se prête à tous les effets demandés par Britten, s'enroule comme une couleuvre autour de la ligne vocale de ses partenaires, blanchit jusqu'à se désincarner dans des mélismes étranges qui, mariés au son des instruments, donnent la chair de poule. La silhouette, grandguignolesque avec sa perruque maculée de sang, se révèle moins ambiguë.

Marie McLaughin en Miss Jessel, déjà mise en retrait par le livret, n'atteint pas le même niveau de malfaisance. Seule la grande scène d'envoûtement lui permet de trouver des accents réellement diaboliques.

Dans la fosse, Daniel Harding serre la vis à sa manière en jouant des notes et des sonorités, comme un enfant pervers des pièces d'un jeu de construction. Sans oublier de réconcilier les instruments dans les passages fusionnels, il insiste avant tout sur la singularité des timbres, servi dans cette approche par l'acoustique de la salle.

Broyé par l'engrenage infernal, épuisé par le combat livré devant ses yeux, violenté par une musique complexe, vénéneuse, le public à la fin du spectacle se délivre en applaudissant généreusement. L'interprétation marque avant tout ; la lecture proposée par Luc Bondy, même si elle est intelligemment menée, pourrait dépasser le premier degré auquel elle se limite. Il n'empêche, l'oeuvre, malgré ses difficultés, possède un magnétisme qui ne laisse pas indifférent. On se lève de son siège en frissonnant, une fois de plus déboulonné.
 
 

Christophe RIZOUD
En savoir plus...

Pour en savoir plus sur Benjamin Britten et The turn of the screw, on se reportera à l'excellent dossier proposé en ligne par Mathilde Bouhon.
 

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