C O N C E R T S
 
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PARIS
29/04/2004

(Thomas Hampson © DR)
WERTHER

Opéra de Jules Massenet
Livret d'Edouard Blau, Paul Milliet et Georges Hartmann 
d'après Die Leiden des jungen Werthers de Goethe

Version 1902 pour baryton

Werther : Thomas Hampson 
Charlotte : Susan Graham 
Albert : Stéphane Degout 
Sophie : Sandrine Piau 
Le Bailli : René Schirrer 
Schmidt : François Piolino 
Johann : Laurent Alvaro 

Orchestre National du Capitole de Toulouse
Maîtrise de Paris 

Direction : Michel Plasson

Paris, Théâtre du Châtelet, le 29 avril 2004



UN TON TROP LOIN

Créé en langue allemande à Vienne en 1892, Werther est, aux côtés de Manon, une des oeuvres les plus jouées du compositeur stéphanois.
Les plus grands artistes ont tenté d'y briller et souvent avec beaucoup de bonheur. Les enregistrements de référence ne manquent pas, autour d'artistes tels que Georges Thill, Nicolai Gedda, l'incontournable Alfredo Kraus et l'inévitable Placido Domingo et, plus récemment, Roberto Alagna ou Ramon Vargas.

On a du mal à imaginer devant un succès aussi patent et durable que Massenet fut le premier à envisager de transposer le rôle pour un baryton, faute de trouver un ténor convenable.

Pour notre plus grand bonheur et notre soulagement rétrospectif, ce ne fut pas le cas pour la création de l'ouvrage. C'est finalement la rencontre avec l'immense Mattia Battistini qui donna à Massenet l'envie de revenir sur cet ancien projet. En 1902, la nouvelle version était prête, que l'illustre baryton devait défendre de la Pologne à l'Italie en passant par l'Espagne et la Russie.

Depuis quelques années, cette version revient épisodiquement à l'affiche : Thomas Hampson au Metropolitan en 1999 (et déjà aux côtés de Susan Graham) en est le défenseur le plus célèbre, mais on peut citer également Jean-Sébastien Bou à Tours en 2001 ou les enregistrement d'Alain Cognet avec la Fenice et celui de Gérard Théruel aux côtés d'Anne Sofie von Otter et sous la baguette de Kent Nagano.

Disons tout de suite que la transposition pour baryton est frustrante à plus d'un titre. En premier lieu, l'oreille est tellement habituée à la version ténor qu'il faut vraiment un effort de concentration intense pour accepter la version baryton. Ensuite, il faut bien reconnaître que Massenet ne s'est guère foulé, se contentant d'adapter la ligne vocale sans rien changer de l'orchestration. Là où le ténor culminait en un point d'orgue à l'unisson avec l'orchestre, le baryton conclut sur une note grave laissant seul l'orchestre briller ; c'est..."spécial".

Pour caricaturer, ça ressemble un peu aux efforts d'un ténor malade qui tenterait d'assurer la représentation à tout prix en transposant tous ses aigus (une spécialité de Neil Schicoff il y a quelques années).

Enfin, il y a le problème de la variété des timbres : quatre barytons ou basses (Werther, Albert, Johann et le Bailli), une mezzo ou alto... il ne reste plus que Sophie et Schmidt pour apporter un minimum de luminosité à cette partition. C'est bien peu et cette coloration globale uniformément grisâtre finit par distiller un certain ennui.

Pourtant, la distribution est de tout premier ordre.

Thomas Hampson campe un Werther crédible, magnifiquement chantant, et profitant de sa maîtrise du lied pour colorer chaque mot, distiller chaque phrase.

C'est aussi le principal reproche qu'on peut lui faire, car Massenet n'écrit pas du lied : on aimerait de temps à autre un peu plus de voix, d'abandon et de naturel ou, en tout cas, une progression dramatique. Le Werther d'Hampson est suicidaire dès son air d'entrée : il pourrait tout de même attendre le dernier acte !

Minces réserves, mais réserves tout de même, face à une interprétation de grande classe et qui peut légitimement faire date.

A ses côtés, Susan Graham est une Charlotte qui pèche par excès inverse : du beau son, très contrôlé, mais le style n'y est pas : Les Nuits d'Été revues par Goethe. Comme au Metropolitan, l'artiste ne se dépare à aucun moment de sa réserve de petite-bourgeoise (1), semblant ne ressentir aucune empathie pour l'héroïne qu'elle incarne. Bref, c'est joli, propre, de bon goût, mais aucunement émouvant.

Stéphane Degout est une excellente surprise en Albert, réussissant à rendre intéressant un personnage relativement sacrifié. La voix est saine, l'émission est sûre : du très beau travail pour ce jeune artiste en progrès constant.

On pourrait en dire autant de Sandrine Piau qui tire le meilleur partie possible du rôle habituellement un peu mièvre de Sophie. Sans être extrêmement puissante, la voix passe sans problème la masse orchestrale, le chant est parfait et le personnage attachant.

Les seconds rôles sont bien tenus, et en particulier le Johann de Laurent Alvaro : quelle curieuse idée d'avoir coupé une partie de leurs interventions (le début du II, le divin "clic-clac"...).

Mais c'est bien sûr de l'orchestre que nous vient le meilleur, avec un Michel Plasson absolument exceptionnel de perfection et d'invention, culminant dans le prélude de l'acte IV, exécuté comme on ne l'avait jamais entendu.
En grand chef de théâtre, Plasson est aussi vigilant envers ses chanteurs, ne les mettant jamais en difficulté, mais en tirant au contraire le meilleur parti.

Il est servi par une phalange de tout premier ordre (et pour cause, puisqu'il a contribué à la former !) dispensant un son typé, très "français" (2). Puisse cette sonorité unique survivre au départ du chef.

Un véritable triomphe accueille les interprètes aux saluts : un succès qui aura permis de démontrer la viabilité de cette version, même si elle ne détrônera probablement jamais l'originale.
 
 
 

Placido CARREROTTI
Notes

1. Il faut voir son air pincé aux saluts lorsque les roses lancées du balcon manquent de froisser sa robe ...

2. Un son qui a tendance à devenir de plus en plus rare : à mon sens, seul l'Orchestre de l'Opéra de Paris, sous la baguette d'un bon chef, est encore capable de produire une sonorité de ce type ; encore est-il passé assez près de la catastrophe : une des premières déclarations de Daniel Baremboïm à sa nomination en 1989 fut pour annoncer son intention de ne plus avoir recours aux luthiers français ; il fallait que les stars internationales de la baguette ne se sentent pas dépaysées quand elles viendraient diriger à Paris. On l'a échappé belle !

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