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Francesca di Foix

"Opera semi-seria" en un acte et trois tableaux de Domenico Gilardoni
D'après le livret de Bouilly et Dupaty Ninette à la cour,
mis en musique par Berton (1809)

Musique de Gaetano DONIZETTI (1797-1848)

Créé le 30 mai 1831 au Teatro di San Carlo de Naples

Il Re, nel fiore dell'età : Pietro Spagnoli
La Contessa Francesca : Annick Massis
Il Paggio Edmondo : Jennifer Larmore
Il Conte : Alfonso Antoniozzi
Il Duca : Bruce Ford
 

Geoffrey Mitchell Choir
London Philharmonic Orchestra
Antonello Allemandi

Opera Rara ORC 28 (1Cd durée 1h.16mn.)
(Enregistré à Londres durant le mois de mars 2004)



Francesca di Foix est une quintessence du style donizettien alliant grâce et chaleur, le sourire y croise le soupir dans un dosage parfait et une pointe d'ironie relève le tout.

Donizetti a établi un style se précisant de plus en plus avec L'Esule di Roma (1828), Il Paria (1829), Il Diluvio universale, Imelda de' Lambertazzi et Anna Bolena, tous trois créés en 1830. Son génie versatile fait de même pour l'opéra d'esprit comique avec Il Giovedì grasso (1829) et I Pazzi per progetto (1830), ces irrésistibles Fous à dessein au livret extravagant et habillé d'une musique à la chaleur déjà toute donizettienne.

De cette double et belle évolution, Francesca di Foix est l'héritière, nous disons : "double évolution" car on classe l'oeuvre parmi les opéras appartenant au genre "semiserio", dont les composantes principales sont une intrigue sérieuse, un personnage bouffe et une fin heureuse. Donizetti avait déjà composé cinq opéras relevant de cette catégorie, le dernier étant le sympathique Gianni da Calais (1828), et il allait en écrire encore trois, dont ses chefs-d'oeuvre dans le genre : Il Furioso all'isola di san Domingo (1833) et Linda di Chamounix (1842). Francesca di Foix est le seul de petites proportions, puisque son acte unique dure une heure et un quart. Du reste, une passionnante comparaison stylistique est possible, concernant une oeuvre également courte et exactement contemporaine, La Romanziera e l'uomo nero, créée le 18 juin 1831, dix-neuf jours après Francesca. La Romanziera est d'esprit bouffe même si la veine donizettienne la colore de son inimitable mélancolie à la fois chaleureuse et raffinée. Son sujet est essentiellement parodique, puisque Donizetti s'y moque des clichés du Romantisme, (dans lequel il était pourtant plongé !). Tandis que dans Francesca, on sent un ton plus formel dans les paroles des personnages, dans leur contenance et même dans leur musique. L'intrigue est pourtant basée sur une farce devant servir de leçon à un mari maladivement jaloux.

Le sujet, maintes et maintes fois mis en musique, semble dériver d'un Bertoldo in corte, évoquant un ancien personnage populaire italien, type du paysan astucieux qui en remontre à son souverain. La musique est composée par Vincenzo Legrenzio Ciampi et l'opéra fut créé à Paris, vers 1753. Favart en fait lui-même un opéra, Le Caprice amoureux, ou Ninette à la cour, repris par Carlo Goldoni et mis en musique par Egidio Romualdo Duni en 1755, et repris également par J.-B. Lourdet de Santerre, sous le titre Colinette à la cour, ou La double épreuve, pour la musique d'André Modeste Grétry (1782). Dans son étude sur les sources françaises des livrets donizettiens (1), Franca Cella nous explique le curieux croisement étant plus précisément à l'origine de l'intrigue de Francesca di Foix. L'infatigable auteur de mélodrames Louis Charles Caignez, surnommé "Le Racine des boulevards", avait donné en 1811, Edgar ou la Chasse aux loups. Felice Romani en tira le livret Le Due Duchesse o sia La Caccia dei lupi pour Giovanni Simone Mayr (créé le 7-11-1814), tandis que Bouilly et Dupaty élaboraient parallèlement un livret d'opéra-comique pour Henri Berton !

Au passage, la cour du roi Edgar d'Angleterre devenait celle de François Ier et l'héroïne, fille du duc de Devonshire, la noble dame qui donnera son titre à l'opéra de Donizetti, puisque ce livret constitue la source directe de Domenico Gilardoni.

Un mystère demeure pourtant dans le fait que la partition autographe porte le titre originel de Il Paggio e l'anello (le page et l'anneau). D'autre part, Gilardoni et Donizetti rendent les personnages quasiment anonymes, puisqu'ils ne sont désignés que par leur titre, à part Francesca et son cousin le page Edmondo. Ce fut peut-être un souci d'éviter les foudres de la censure, comme le suggère la signora Cella, car on sait que la censure n'aimait pas tellement voir des rois ayant existé se promener sur la scène des théâtres... Le même François Ier (1494-1547), roi de Francesca di Foix, a ainsi raté l'occasion de passer à la postérité, également en tant que personnage d'opéra, dans le célèbre Rigoletto, puisqu'il dut céder la place à un obscur "Duca di Mantova" (duc de Mantoue) !

Nos personnages donizettiens seront donc, à part Francesca (di Foix - soprano) et l'espiègle page Edmondo (contralto), "il Re, nel fiore dell'età" (le roi, dans la fleur de l'âge - baryton), "il Conte" (le comte - basse bouffe), et "il Duca" (le duc - ténor).

On précise au moins l'époque : "Vers le début du XVIe siècle", et le lieu : le "Palazzo del Louvre" et ses environs.

Le comte a toujours pris soin d'éviter de montrer son épouse à la cour, tant celle-ci est contrefaite et d'une laideur repoussante. Par le subterfuge d'un anneau identique à celui du comte (d'où le titre originel de l'opéra), un complot des autres personnages attire la comtesse à la cour... où tous peuvent constater sa grâce et sa beauté ! Le roi l'invite à être la reine du tournoi : le comte doit donc ravaler sa rage... et faire sienne la leçon punissant son excessive jalousie. L'exquise farce évite une vengeance trop appuyée de la part de Francesca et l'on est même touché par la sincérité de son désarroi lorsqu'elle apprend que le comte son époux ne l'a pas appelée à la cour. Cet instant nous vaut un moment typiquement révélateur du charme donizettien que l'auditeur doit absolument saisir. En effet, sur les paroles "Ah più non sono in me.../ Risolvermi non so ! (je ne me retrouve plus / je ne parviens pas à me décider)", Donizetti place une phrase musicale "descendante" enchanteresse, reprise par le duc sur les mots "Ah ! fidatevi di me : / Il conte io placherò. (ayez confiance en moi / je calmerai le comte, moi)" (Cd plage 11, livret page 70). Le duc lui énumère ensuite (sur un savoureux et ironique rythme de valse), toutes les infirmités que, selon monsieur le comte son époux, elle concentre en sa seule personne !


Le costume du Roi, manifestement de style François Ier, dans Francesca di Foix

La première reprise moderne eut lieu par les soins d'Opera Rara qui donnait l'oeuvre au festival londonien de Camden, le 20 mars 1982, couplé avec La Romanziera e l'uomo nero et précédé de l'ouverture d'Una Follia, seul morceau nous étant parvenu de cet opéra au titre suggestif... (surtout pour Donizetti). Les chanteurs faisaient un effort pour fluidifier la langue anglaise afin de ne pas empêcher les envolées de la musique illustrant pleinement, et plus encore que L'Elisir d'amore, ce curieux et typiquement donizettien mélange d'ironie et de tendresse. La B.B.C. ayant diffusé une représentation de cette reprise réussie, c'est par son enregistrement que nous connaissions jusqu'ici l'oeuvre.

Le 7 mai de la même année, à Zaandam, le chef d'orchestre Jan Schaap (auquel on doit déjà -et pour cause- la résurrection de Il Borgomastro di Saardam, ancien nom de la ville) dirigeait Francesca di Foix dans la langue originale italienne. Apparemment aucun enregistrement ne circula jamais sous le manteau des donizettiens, et son apparition sur Internet demeure aussi fantômatique que celle de Francesca à la cour, puisqu'un "taux de compression" trop élevé empêche de faire quoi que que ce soit du "Fichier Mp3"...

Opera Rara a eu la bonne idée de graver l'oeuvre, qui retrouve ainsi la langue italienne originale, ainsi qu'un air charmant pour le ténor, curieusement non exécuté en 1982.

Pietro Spagnoli est un roi très digne, au chant impeccable mais ne faisant pas oublier la généreuse désinvolture de Russel Smythe, auquel du reste, le festival de Buxton confia par la suite le délicat rôle-titre de Torquato Tasso.

Alfonso Antoniozzi prête sa sensibilité et son instinct des personnages d'opéra au comte jaloux ; mais pourquoi donc affecte-t-il ce pénible "r" grasseyé, cliché italien typique de l'accent français (comme le "r" roulé peut l'être en français, pour signaler l'accent italien) ? Car enfin, pourquoi donner au seul comte cette sorte de couleur locale, puisque tous les personnages sont français !
Annick Massis est une Francesca exquise : de fait, par son timbre chaleureux et velouté, par sa technique qui nous donne des vocalises impeccables et des aigus toujours ronds et pleins, et enfin par son interprétation équilibrée jouant l'épouse modeste et timide, mais prenant en même temps conscience du fait qu'elle doive réagir contre cette jalousie maladive.

Bruce Ford est un duc élégant et chaleureux et l'on découvre avec plaisir sa superbe Romanza (construite comme une cabalette) qui ne fut pas interprétée en 1982.

Jennifer Larmore est un page Edmondo qui n'oublie jamais l'élégance dans l'espièglerie et, du point de vue technique, montre sa maîtrise du chant romantique mêlant l'ornementation à la véhémence de l'expression.

Antonello Allemandi anime de la juste dose de "vie" cette charmante moquerie et ne tente heureusement pas d'en augmenter l'éclat, ce qui en aurait chassé la poésie. L'équilibre qu'il obtient à la tête du "London Philharmonic Orchestra" est remarquable, en ce sens que tout enregistrement en studio évite difficilement aux orchestres l'effet de masse résonante écrasant un peu tout. Dans ses quelques interventions, le "Geoffrey Mitchell Choir" joue le jeu d'y croire, comme l'on dit, et c'est beaucoup !

Une éclatante et nouvelle réussite d'Opera Rara, qui décidément doit bénéficier de la protection de la grande âme généreuse de son Compositeur de prédilection, non par hasard surnommé au moyen des premiers mots d'une célèbre romance de La Favorita : "Spirto gentil" !
 

Yonel Buldrini

Notes


(1) "Fonti francesi dei libretti di Gaetano Donizetti" in : Contributi dell'Istituto di filologia moderna, serie francese, Vol. IV, Vita e pensiero, Milano 1966.



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