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Jean-Baptiste LULLY (1632-1687)

ISIS

Tragédie en musique (1677)
Livret de Philippe Quinault

Io (Isis) : Françoise Masset (dessus)
La Renommée, Iris, Hébé, Première Parque : Isabelle Desrochers (dessus)
Calliope, Mycène, Syrinx : Valérie Gabail (dessus)
Junon, Seconde Parque : Guillemette Laurens (bas-dessus)
Apollon, Pirante, Premier berger
& Furie Erinnis : Robert Getchell (haute-contre)
Mercure, Second berger
& Premier conducteur des Chalybes : Howard Crook (taille)
Hierax, Pan : Bertrand Chuberre (basse taille)
Jupiter : Bernard Deletré (basse)
Neptune, Argus
& Second conducteur des Chalybes : Renaud Delaigue (basse)
Et Francesca Congiu, Geneviève Kaemmerlen,
Renaud Tripathi, Thomas van Essen, Matthieu Heim.

Le Choeur du Marais
La Simphonie du Marais

Direction musicale : Hugo Reyne

Enregistrement live, 6 juillet 2005.

ACCORD 3 CD 476 8048.
2 h 33 minutes - DDD stéréo.
 


La Nymphe et la megère
 

L'ire de Junon s'exerça sur la pauvre Isis bien au-delà des limites de la tragédie mise en musique par Lully et écrite par Quinault. Ce dernier se trouva banni deux ans de la cour pour son audace : si Jupiter est Louis XIV, Junon ne peut être que Madame de Montespan, mégère rabat-joie se vengeant sur la favorite de son homme. C'est peu dire qu'elle n'apprécia guère.

Les vers en sont pourtant si bien tournés ! Quant à ce pauvre Jean-François Lalouette le bien-nommé, secrétaire et élève de Lully, il paya de son congédiement l'affirmation selon laquelle il aurait lui-même écrit certains airs d'Isis.

Enfin, "l'opéra des musiciens", comme la dénommait un Lecerf de la Viéville admiratif, connut une longue éclipse, avant d'être restituée par Hugo Reyne au concert en 2005. C'est donc une captation de concert, réalisée par France-Musiques et techniquement excellente (le silence des auditeurs vendéens est impressionnant !) qui nous est ici offerte. 

L'argument d'Isis nous raconte comment la nymphe Io, aimée par Hierax, mais aussi par Jupiter, attire les foudres de Junon qui envoie à sa poursuite la Furie. La fuite éperdue de Io la mène de l'empire glacé des Scythes à l'embouchure du Nil, où elle implore épuisée qu'on lui donne la mort. Attendri, Jupiter plaide sa grâce auprès de Junon, qui fléchit et la transforme en déesse Isis.

A l'acte III s'intercale, pendant le sommeil du gardien d'Isis et avec la complicité de Mercure, un intermède champêtre narrant les amours de Pan et de Syrinx. Sur cette histoire propice à des tableaux contrastés, l'ouvrage affiche une construction rigoureuse et une progression dramaturgique efficace. Librettiste et musicien se sont à l'évidence attachés à dépeindre des personnages complexes de chair et de sentiments, dont la psychologie évolue tout au long de la tragédie.

Io est bien plus qu'une nymphe de convention, elle touche, elle émeut, et l'astuce d'avoir confié le rôle à la voix ferme de Françoise Masset, plutôt qu'à un timbre éthéré et trop juvénile, la rend plus humaine, plus attachante et crédible dans son désespoir final. Les dieux eux-mêmes descendent de leur Olympe pour des comportements bien humains. Isis, opéra du sentiment, de la Nature, tout en subtilités et demi-teintes, en allusions et humour distancié, n'est définitivement pas, malgré sa richesse probable de décors et de machineries, un éloge tonitruant à la gloire de la cour ; et c'est bien ce qui déplût, peinture de puissants aussi faibles et complexes que leurs sujets.

La Simphonie du Marais est dans ses plus beaux atours, cordes renforcées, cuivres extraordinairement précis, choeur de vingt chanteurs divisés en deux groupes à cour et à jardin. On sait Hugo Reyne expert en musique française, mais peut-être n'avait-on encore jamais entendu une Simphonie aussi rayonnante, fruitée, subtile. Et un choeur d'une cohésion telle, et surtout d'une pureté d'intonation et de diction exceptionnelle. Le troisième acte, incise consacrée à Pan et Syrinx, est d'une poésie lumineuse, et le dernier acte, avec son choeur "du froid" miroir de celui de Purcell, ses contrastes d'atmosphères et ses rebondissements, est habilement conduit par Hugo Reyne obtenant des atmosphères justes et des enchaînements subtils.

Françoise Masset incarne avec une belle justesse les différents états d'Isis, de la séduction au doute, de la résistance à la fuite et au renoncement final. Son art prosodique force l'admiration. Face à elle, le couple Junon/Guillemette Laurens et Jupiter/Bernard Delettré est souverain, parfaitement caractérisé. Tout le plateau vocal est à remarquer pour la clarté et l'élégance de la diction, qui, ce qui est rare, dispense totalement de suivre le livret. Tout au plus regrettera-t-on certaines duretés passagères de Valérie Gabail ou de Bertrand Chuberre, mais ce ne sont que légères réserves sur une équipe à l'évidence soudée par l'enthousiasme et la conviction.
  


Sophie ROUGHOL




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