Oeuvre de Gaetano Donizetti - n°2
Un dossier proposé par Yonel Buldrini
 
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  Talent remarqué

Le jeune - et séduisant - Gaetano Donizetti


On connaît peu cette période de la vie de Gaetano qui va aboutir à sa première commande officielle mais on sait qu’il assista, cet hiver 1817-18, au Teatro della Società1 de Bergame aux représentations de l’Agnese di Fitz-Henry  de Ferdinando Paer2 et de La Cenerentola  de Rossini. Il se lia avec les époux De Begnis, protagonistes de ces représentations et accepta leur invitation de les suivre à Vérone, avec peut-être un espoir dans le coeur… De fait, une lettre du librettiste Merelli à Mayr, datant du 11 avril 1818, nous apprend que Gaetano a été sollicité par l’« impresario » sicilien Paolo Zancla, pour composer l’opéra de réouverture du Teatro San Luca de Venise, richement restauré.

De retour à Bergame, il compose un Gloria in excelsis et son quatrième Quartetto, respectivement en mai et juillet. Une lettre écrite à Vérone en octobre, signale à nouveau sa présence dans cette ville mais cette fois, il s’agit d’une halte sur la route de Venise où il se rend pour monter son premier opéra officiellement commandé !

Il faut revenir sur ce terme d’« impresario » et l’entendre dans le sens premier de directeur d’une impresa ou entreprise, en l’occurrence théâtrale, se voyant confier la gestion d’un théâtre par ses propriétaires. Ceux-ci pouvaient être les villes, d’où les noms de « Teatro Comunale », « Civico » ou « Municipale », mais il pouvait aussi s’agir de privés comme ces propriétaires de loges réunis en une « Società dei palchettisti », d’où le nom de « Teatro Sociale ». L’impresario  se chargeait d’engager les chanteurs et de commander des opéras aux compositeurs et son rôle était alors assimilé à celui de directeur de théâtre. Une subvention pouvait être versée par une administration locale ou provenir du mécénat mais l’impresario tirait sa principale source de revenus de la vente des billets. L’aventureuse conclusion d’une saison lyrique pouvait donc consister pour lui, par la fortune ou… la prison !  Mais Paolo Zancla ne devait pas connaître ce triste sort à cause de Donizetti : le 14 novembre 1818, Enrico di Borgogna  est bien reçu par le public et d’autant mieux accueilli, devrait-on dire, que l’opéra ne fut pas donné comme son auteur aurait pu le souhaiter.

Il Nuovo Osservatore veneziano nous apprend en effet que la primadonna Adelaide Catalani, habituée jusqu’alors à se produire devant le public restreint des académies de chant, fut prise d’une forte émotion en se retrouvant dans l’obscurité du Teatro S. Luca, face à autant de spectateurs silencieux. La pauvre femme s’évanouit vers la fin du premier acte et sa partie fut reprise par la seconda donna (comment, on se le demande !) On dût ensuite lui couper son Aria et un Duetto avec Enrico au second acte. Après avoir expliqué cela, le Nuovo Osservatore veneziano conclut justement : « Jugez à présent posément, s’il vous est possible, les mérites de la musique après de si amères vicissitudes ; par ailleurs, on ne pouvait pas ne pas observer une conduite régulière et une expressivité dans le style de cette musique, par conséquent, à la chute du rideau, le public voulut au milieu des applaudissements saluer le signor Donizetti sur scène. » Certes, l’expression consacrée des critiques «  condotta regolare » est bien générique mais donne l’idée de l’effet produit par la musique du « signor Donizetti », conduite régulièrement, c’est-à-dire censée, expressive… Une appréciation fort positive, quand on connaît la réaction possible du public face aux nouveaux opéras : l’indifférence ou, au pire, le tumulte des sifflets et des huées !

Particulièrement applaudis furent les trios du premier acte, un duo du second et les deux airs du bouffon Gilberto. Les deux autres représentations se déroulèrent sans encombres, avec une primadonna rétablie et une critique élogieuse qui entrevit des qualités prometteuses à ce jeune inconnu de vingt ans.

Enrico di Borgogna appartient au genre dit « semiserio » caractérisé par un curieux équilibre entre une intrigue sérieuse, un personnage bouffe et une fin heureuse. Les compositeurs3 de l’époque, Rossini en tête, écriront peu d’oeuvres relevant de ce genre difficile : neuf pour Donizetti qui laissa soixante-dix opéras.

Tiré d’une pièce de Kotzebue, le livret de Enrico di Borgogna est dû à un concitoyen  de Gaetano, Bartolomeo Merelli, qui débutait également en ces années4. Il deviendra l’important impresario de la Scala (et du principal théâtre lyrique de Vienne) qui saura faire confiance aux hésitants débuts d’un génie nommé Giuseppe Verdi.

Bartolomeo Merelli racontera ses souvenirs dans le volume Cenni biografici di Donizetti e Mayr raccolti dalle memorie di un vecchio ottuagenario dilettante publié en 1875, à l’occasion du transfert des cendres de Donizetti et de Mayr dans la principale église de Bergame, non pas le Duomo ou cathédrale Sant’Alessandro, mais la Basilique de Santa Maria Maggiore.

Yonel Buldrini
 


1 Ce Théâtre de la ville haute subsiste toujours mais les loges étant en bois on n’utilise que l’orchestre et la scène, aux dimensions impressionnantes d’ailleurs, pour des expositions diverses. Les spectacles sont donnés dans le splendide théâtre de la ville basse, intitulé glorieusement, noblesse oblige, “Teatro Donizetti”.

2 Ferdinando Paer  (1771-1839) est l’un des quatre  “compositeurs- charnière” avec Mayr, Spontini et Cherubini qui conduisirent l’opéra, de la fin du XVIIIe siècle aux portes du romantisme, ouvertes ensuite par Rossini. Il écrivit une cinquantaine d’opéras dont les plus auréolés de succès sont : Camilla  o il sotterraneo  (1799), Achille  (1801),  Leonora  (1804), Agnese di Fitz-Henry   (1809), et Il Maestro di cappella  (1821).

3 Rossini en composa 4, parmi 37 opéras ; Mercadante 6 sur 60 et Giovanni Pacini 9 sur ses 85 (!) opéras.

4 Ses premiers livrets sont : Lanassa (saison 1817-18) et Alfredo il Grande, re degli Anglo-Sassoni (fév. 1818) pour Mayr. On ne résiste pas au plaisir de citer le titre si mystérieusement et naïvement romantique –et c’est d’ailleurs la raison d’être de cette note !- du livret pour l’opéra de Nicola Vaccai (avril 1818) Il Lupo d’Ostenda.

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