Hommage à Domenico Cimarosa
(17-12-1749 - 11-01-1801)

Yonel Buldrini

En commémoration du bicentenaire de sa disparition

« Cimarosa met toujours sa statue sur la scène et le piédestal dans l’orchestre,
alors que Mozart place la statue dans l’orchestre et le piédestal sur la scène. »
(Réponse de Grétry à Napoléon,
lui demandant la différence
entre les deux compositeurs).

 

 

I. Les débuts

Deux ans plus tard, Domenico débuttait sa longue liste de soixante opéras, par Le Stravaganze del conte [les extravagances du comte], opéra bouffe donné au Teatro dei Fiorentini, le plus ancien de Naples. La farce Le Pazzie di Stellina e di Zoroastro [les folies de St. et de Z.] complétait la soirée. Le peu que l’on sait de cette première ne démontre pas un grand enthousiasme du public, plutôt « compatissant », selon le marquis di Villarosa remarquant qu’à l’époque, on était plus respectueux des compositeurs et des chanteurs, que l’on n’exposait jamais aux sarcasmes. Le marquis invoque également les mauvais vers du librettiste Pasquale Mililotti, pourtant collaborateur de Paisiello, Piccinni et Traetta, n’ayant pu aider le « débuttant ». En 1773, c’est un autre important théâtre napolitain, le Teatro Nuovo, qui accueille le deuxième opéra de Domenico, intitulé : La Finta Parigina [la fausse parisienne]. Le librettiste Francesco Cerlone collabora avec Paisiello, Piccinni et Gazzaniga mais cela ne le mit pas à l’abri des critiques. Il avait beau se dire élève de Goldoni, et faiseur de « broderie » littéraire, voici ce que ce dernier lui répondit après avoir lu ses vers : « si tu es dentellier comme poète, pauvres tissus et malheureuse soie ». Après un tel départ, plutôt encourageant, on se demande pourquoi la prochaine création attendra trois ans, puisque Domenico fera représenter au Teatro Nuovo, l’opéra I Sdegni per amore [les dédains, les arrogances par amour] suivi de la farce I Matrimoni in ballo [les mariages remis en cause], tous deux sur un livret de Pasquale Mililotti. Le succès sera tel, que les souverains voudrons voir représenter ces oeuvres dans le théâtre du palais royal et c’est la première fois que Domenico « fera le musicien » devant une cour royale. Cette même année 1776 verra encore la création de La Frascatana nobile [la noble dame de Frascati], du même Mililotti, au teatro Nuovo.

Cette fois, on peut dire Domenico « lancé » puisque le Teatro Valle de Rome l’invite l’année suivante pour I Tre Amanti de Giuseppe Petrosellini. En cette même année 1777, Domenico donnera encore deux opéras au Teatro dei Fiorentini de Naples, tous deux sur un livret de l’inépuisable Giuseppe Palomba qui en écrivit... trois-cents, paraît-il ! L’intention parodique de ces deux opéras apparaît dès leur titre sympathique : Il Fanatico per gli antichi Romani [le fanatique des Romains antiques] et Armida immaginaria, charmante parodie tassienne.

L’année suivante le Valle de Rome verra la naissance de Il Ritorno di Don Calendrino où figure une curieuse anticipation de la célèbre romance « La donna è mobile » ; en effet, l’un des personnages s’exclame : « La donna è sempre instabile, / Sempre si cangia e vola, / (...) Oh donne instabilissime, / Donne volubilissime / Voi sole lo sapete / Se questa è verità ». Au Teatro dei Fiorentini de Naples, Domenico fait représenter Gli Amanti comici o La Famiglia in scompiglio [les amants comiques ou la famille dans la confusion] de l’abbé Petrosellini, dont les quarante livrets donnèrent lieu à bien plus d’opéras! Parmi les plus connus, figurent La Finta Giardiniera de Mozart et Il Barbiere di Siviglia de Giovanni Paisiello. Le Stravaganze d’amore de P. Mililotti sont données dans le même théâtre, tandis qu’on hésite entre cette année ou la suivante, pour Il Matrimonio per raggiro [le mariage par manigance], connu également sous le titre La Donna bizzarra [la femme bizarre].

Entre temps, Domenico avait fait la connaissance d’une dame aisée, la Signora Pallante, dont il devait épouser successivement les deux filles ; d’abord Costanza, en 1777, qui mourra en couches, puis Gaetana, probablement vers 1778. Le 28 décembre de cette année, le Teatro Valle de Rome présentait L’Italiana in Londra [l’Italienne à Londres] qui porterait bientôt le nom de Cimarosa dans toute l’Europe. Le rôle de l’héroïne fut créé par le sopraniste Girolamo Crescentini, âgé de seize ans et sur lequel R. Parisi écrira cette phrase ambiguë : « La nature avait créé Crescentini pour le chant, le malheur le rendit soprano ». Cimarosa écrira pour lui le rôle de Curiazio (Gli Orazi e i Curiazi) et Zingarelli celui de Romeo dans son Giulietta e Romeo. Apprécié de Napoléon, Crescentini se fixera six ans à Paris puis se consacrera à l’enseignement et aura comme élève Isabella Colbran.

On considère L’Italiana in Londra comme le premier succès important de Cimarosa, et Roberto Iovino va jusqu’à dire que cet opéra termine sa période d’apprentissage, même s’il sera dépassé en qualité, par le futur Matrimonio segreto et même déjà par le prochain Giannina e Bernardone. Dans cette Italiana , Cimarosa sut habiller situations et personnages d’une musique à l’invention fraîche et séduisante, non seulement dans les arie mais également dans les « composites et longs finales » qu’il fut le premier à introduire à Rome, selon le marchese di Villarosa. L’aspect sentimental ne manque pas non plus, contrastant avec le ton comique dominant.

En cette fin de XVIIIème siècle, la ville de Naples comptait déjà de nombreux théâtres, outre les trois principaux (San Carlo, Nuovo, dei Fiorentini), et voilà qu’on en inaugure un autre en 1779, le «Teatro del Fondo », précisément avec un opéra de Domenico Cimarosa : L’Infedeltà fedele [l’infidélité fidèle]. Le livret était d’un habile homme de théâtre napolitain, Giovanni Battista Lorenzi, auteur notamment pour Giovanni Paisiello, de Nina ossia la pazza per amore [Nina ou la folle par amour] et de Socrate immaginario. Deux ans plus tard, Joseph Haydn reprendra le sujet, passant de « l’infidélité fidèle » à la «fidélité récompensée» mais La Fedeltà premiata aura beau présenter de notables morceaux musicaux, l’action en elle-même, édulcorée, censurée et tirée vers le genre semiserio, aura perdu le piquant et la spontanéité originels. c’est également en 1779 que le compositeur reçoit sa première charge officielle : organiste « surnuméraire » sans salaire (!) de la Chapelle Royale. Comme nous le disions plus haut, on hésite entre cette année et la précédente, pour un efficace opéra bouffe que Cimarosa donne au Teatro Valle de Rome : Il Matrimonio per raggiro [le mariage par manigance] de Giuseppe Maria Diodati. C’est encore au Teatro Valle que Le Donne rivali [les rivales] est créé l’année suivante. Précisément en 1780, sonne l’heure du premier opéra « seria » de Domenico, Caio Mario est créé au Teatro delle Dame de Rome, sur un vieux livret de l’abbé Gaetano Roccaforte ayant déjà été mis en musique par Jommelli (1746), Galuppi (1764) et Anfossi (1770). L’époque était enlisée jusqu’au cou dans ces sempiternels sujets classiques n’inspirant plus grand monde et Cimarosa semble suivre les habitudes et canons établis, sans nouveautés probantes.

Il donne encore au Teatro dei Fiorentini, et sur des livrets de Palomba, I Finti Nobili [les faux nobles] complété de la farce Gli Sposi per accidenti [les époux par hasard], ainsi que Il Falegname [le menuisier], aux personnages bizarres et originaux comme une alerte veuve de militaire, un corsaire maltais, un vieux menuisier, un entreprenant Don Fabio Cartapecora [« Papiermouton »] et des serviteurs mettant leur nez dans les affaires des autres...

Au Teatro Valle de Rome est créé en 1781, Il Pittor parigino [le peintre parisien] de Petrosellini, présentant d’agréables scènes de parodie d’opéra seria ainsi que les typiques moments de confusion mentale des personnages, que Rossini exploitera volontiers par la suite.

Alessandro nelle Indie [Alexandre aux Indes], donné sur un texte de Métastase au Teatro Argentina de Rome, est le deuxième opéra seria de Domenico. Le créateur du rôle principal est un ténor célèbre, Giacomo David, dont le fils Giovanni le dépassera en célébrité, comme interprète de Rossini. Une chronique de l’époque raconte que l’oeuvre porta tellement « aux anges » les abbés romains (!) qu’ils n’en finirent pas de composer des sonnets aux louanges du musicien napolitain !

Cette année-là, il donne également aux « Fiorentini » de Naples, L’Amante combattuto dalle donne di punto [], comédie de G. Palomba, connue également sous le plus joli titre de La Biondolina [la blondinette]. De cette oeuvre, on retient notamment un trio fort réussi, commençant dans un climat serein et bucolique, pour se transformer peu à peu en une violente dispute.