Hommage à Vincenzo Bellini
A l'occasion du bicentenaire de sa naissance : 1801-2001
Première époque
Les débuts - Les deux premiers opéras : 1801-1826

Acte premier

Yonel Buldrini

 

Premier tableau : Un charmant parc ; sur la droite, le château de Lord Adelson, à gauche, un petit temple et au fond, un bois.

Introduzione. a) Cavatina. Fanny (contralto) est en train de peindre en soupirant d'amour pour un mystérieux personnage qu'elle ne nomme pas. Musicalement, la cavatine arrive presque brusquement mais son introduction plaintive par la flûte est déjà la signature de Bellini, tant elle est empreinte de toute la mélancolie suave de son style.
b) Scena. Un crescendo orchestral accompagne l'entrée du choeur des paysans, de Geronio (bs.) et de Madama Rivers (m.-s.), gouvernante du château et tante de Fanny. Elle annonce le retour de lord Adelson, absent depuis de nombreux mois : la liesse générale accueille cette nouvelle. Le crescendo est copieusement répété et l'on s'attendrait à ce qu'il introduise une énergique Cabaletta, mais il n'en est rien...
Recitativo secco. Geronio signale que Lord Adelson pourrait bien être retenu à Londres... mais Madama Rivers ne croit pas qu'il puisse rester encore loin de Nelly, sa fiancée bien-aimée qui vit au château.

Deuxième tableau : Un bois près du château.
Cavatina di Struley. Sur une musique mélancolique et tourmentée, le colonnello Struley (bs.), révèle comme la proximité de cette demeure l'émeut... mais il doit résister aux larmes et accomplira le dessein qui l'obsède.
Recitativo secco. On apprend que la famille de Struley fut injustement proscrite par le père de Lord Adelson et que celui-ci, profitant de l'exil du colonnello, obtint la tutelle de Nelly, la propre nièce du colonnello. Lorsque Geronio survient, le colonnello Struley rappelle qu'il l'a sauvé alors qu'il était déserteur, puis fait engager comme domestique de Lord Adelson. A présent Struley veut reprendre Nelly. Geronio maudit le jour où il a déserté, ce qui le rend " esclave de celui-là ".
Cavatina di Bonifacio. Un vif et fort sympathique thème à la Rossini accompagne le chant du bon serviteur Bonifacio (bs.). Je dis " à la Rossini " car l'auditeur attentif reconnaîtra la manière mais non la couleur, Bellini insuffle en effet au morceau, une tendresse et une chaleur, suivant en celà les traces de Donizetti, qui l'avait précédé en cette difficile recherche d'originalité par rapport au novateur pésarais ! Bonifacio est le serviteur du peintre Salvini, italien comme lui, et vivant sous le toit de son ami Lord Adelson. Bonifacio rapelle ses jours heureux à Naples... et ses innombrables créances... d'ailleurs voici un messager lui apportant une lettre lui expliquant que ses débiteurs ont retrouvé sa trace ! La Cabaletta ou second mouvement est construite sur un crescendo délicieusement revu lui-aussi, à la chaleureuse manière donizetto-bellinienne.
Rec. Secco. Bonifacio. Ah ! l'heureuse époque où il s'était enrichi en vendant de la charcuterie ! Le voici à présent confident d'un peintre fou d'amour et qu'il doit tempérer...
Duetto Salvini-Bonifacio. Salvini (t.), le peintre italien, est tellement perdu dans ses pensées que Bonifacio craint pour sa raison. C'est un " disperato amor ", un amour désespéré qui le mine car Salvini est épris de Nelly, la fiancée de son ami et mécène ! ...Il décide de se tuer... " Pour qui ? pour une femme ! " s'exclame Bonifacio, qui tente de l'en empêcher. La Stretta originale est plus linéaire et répétitive, plus machinalement ornée, aussi. La Stretta refaite est plus sensible et intéressante, d'autant qu'elle reprend deux beaux thèmes de l'ouverture, que l'on retrouvera dans l'ouverture et la Cabaletta de Gualtiero (acte I) dans Il Pirata.
Rec. Secco. Bonifacio-Salvini. Le brave serviteur commente avec bon sens le geste inconsidéré que Salvini allait commettre, la pire folie parmi toutes celles qu'il a faites...et qui sont plutôt nombreuses ! et il cite un amusant proverbe :
" Chi lava il capo all'asino / Perde l'acqua e il sapone " (celui qui lave la tête à l'âne, gaspille l'eau et le savon !). Salvini pense à son heureuse vie d'artiste en Italie... Bonifacio évoque la réaction d'Adelson lorsqu'il apprendra l'amour de Salvini pour Nelly... mais la voici, précisément ! Salvini s'enfuit... Bonifacio commente cette autre " toujours-en-pleurs " en bénissant sa salutaire bonne humeur !
Romanza Nelly. Une superbe mélodie proposée par la flûte donne toute la mélancolie du personnage : Nelly (s.) se lamente de l'absence de Lord Adelson qui ne lui a pas écrit depuis longtemps. L'auditeur bellinien sera étonné de retrouver dans cette fort belle romance, un air de connaissance, la cavatine de Giulietta, au début du deuxième tableau du premier acte de I Capuleti e i Montecchi. L'air sera bien sûr plus lent, plus éthéré, plus lunaire mais cette version simplement mélancolique, avec son accompagnement ondulant est intéressante et tout de même touchante.
Rec. secco. Salvini survient et lui remet une lettre de Adelson qu'elle lui demande de lire, ne se doutant pas de la peine qu'elle lui inflige ainsi. Elle-même va bientôt ressentir une forte souffrance quand Salvini lit la consternante nouvelle : l'oncle dont Adelson est l'unique héritier lui impose un mariage avec la fille d'un pair... C'en est trop pour Nelly qui s'évanouit.
Scena e Duetto Salvini-Nelly. Salvini n'a même pas pu achever et dire que Lord Adelson affirmait sa fidélité à Nelly ! Devant Nelly évanouie, Salvini perd la tête... rêve à un baiser... évoqué par un orchestre suave... qu'il pourrait donner, pour ensuite s'enfuir!.... il s'exécute mais Nelly revient à elle et le repousse... Il lui confesse son amour désespéré ; la musique souligne avec une douceur dramatique, une tension caressante, l'instant crucial... La Stretta originale donne l'avantage à Salvini, au bout du désespoir, tandis que la version retravaillée rappelle certes le Bellini plus lyrique, plus achevé -on entend La Straniera- mais perd la spontanéité, l'élan de la version originale que cette fois, on peut trouver plus resserrée (traduction du mot " stretto "!) et efficace... d'autant que la " bridge section " avant le Da Capo comprend un crescendo à la Rossini mais fortement poignant, correspondant au moment où Salvini demande pardon à Nelly.
Terzetto, les mêmes, Bonifacio. Ce dernier annonce le retour de Lord Adelson et la pauvre Nelly croit qu'il est accompagné de son épouse mais Bonifacio la détrompe. Musicalement, un crescendo (un peu trop répété) accompagne la révélation de Bonifacio puis chacun, selon ses sentiments, se lance dans la vive Stretta qui est au moins efficace, même si G. Cataldo 4 juge que " tout procède à l'enseigne de la plus fruste banalité ".

Troisième tableau : Atrium du château de Lord Adelson.
[La version originale ne prévoit pas ici de changement de décor mais fait surgir les autres personnages et le choeur, du bosquet.]

Coro e Finale primo. Madama Rivers, Geronio et le choeur entrent, en un joyeux ensemble sautillant faisant un peu " standard " mais charmant au demeurant et lançant quelques jalons jusqu'à La Sonnambula....
L'entrée de Lord Adelson donne lieu à une sorte d'air, très posé, dans lequel il déclare son impérissable sentiment pour Nelly, qui intervient pour affirmer sa joie, terminant le morceau en une sorte de " duettino ". Chacun rend hommage à Lord Adelson mais Bonifacio, dans un Arioso au charmant dessin à l'orchestre dans la version refaite, et un peu pompeux dans la première, tente un compliment et s'embrouille ! Lord Adelson ne le prend pas mal et s'en amuse, même ; tous l'assurent que Bonifacio fut l'interprète de leur affection. Le maître de maison cherche son ami qui lui manque... mais le mélancolique Salvini ne paraît pas... Expression musicale de la liesse générale, la Stretta finale n'a rien de particulier si ce n'est son efficace crescendo... que l'auditeur habitué aux accents belliniens reconnaîtra comme le crescendo de la Stretta finale I de Il Pirata .


4 Cataldo (Glauco) : Il Teatro di Bellini, Edizioni Bongiovanni, Bologna 1980.

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