Comme le démontre notre dossier, le mythe d'Armide n'a absolument
rien d'original dans un livret d'opéra, bien au contraire. Néanmoins
il marque une apogée dans la carrière d'un des plus célèbres
couples Librettiste-Compositeur : Lully-Quinault. Apogée et chant
du cygne aimerait-on dire, car Armide est l'ultime chef-d'uvre d'un
des plus célèbres couples librettiste-compositeur de l'histoire
de l'opéra.
La collaboration entre l'humble fils de boulanger entré à
l'Académie Française et le fils de meunier florentin devenu
Grand Prêtre de la musique du roi soleil, n'a pas commencé,
comme beaucoup le pense, avec Cadmus et Hermione (1673). Quinault avait
écrit pour Lully le divertissement de La Grotte de Versailles (1668)
et rimé celui pour les Fêtes de l'Amour et de Bacchus (1672).
Ces deux uvres demeuraient, dans leur structure, conformes à
l'esthétique des spectacles de cour ou des uvres à
sujet mythologique qui régnaient misérablement sur le goût
français avant l'avènement de ce qui deviendra la seule
forme capable de rivaliser avec le style seria italien, qui régnait
alors sur toute l'Europe : la Tragédie Lyrique.
Pour comprendre comment ces deux hommes sont arrivés à cette
quasi " génération spontanée " d'un style
musical, il faut avoir conscience de l'état politique et culturel
où se trouvait la France au début du règne de Louis
XIV.
L'emprise de Richelieu puis de Mazarin sur les affaires du pays avait
considérablement italianisé la culture française.
A sa majorité le jeune Louis ne peut s'appuyer que sur le théâtre
pour reconstruire une réelle identité française qui
participera à l'installation de son pouvoir absolu. C'est bizarrement
à un jeune musicien et danseur florentin qu'il confie la refonte
d'un style français musical bien mal en point. Assailli de toute
l'Europe par un style italien triomphant, les compositeurs français
n'ont à offrir que de bien pâles ballets mêlés
de chant aux intrigues minces et de charmants airs de cours trop décoratifs
pour toucher vraiment l'auditeur. Lully se trouve donc devant plusieurs
contraintes : un roi et une cour friands de danse et de machines, un pouvoir
royal à célébrer par la musique et un théâtre
français qu'il serait stupide de ne pas utiliser étant donnée
son écrasante supériorité sur le reste de l'Europe.
Après une longue et riche collaboration avec un Molière
trop célèbre à son goût et un essai peu concluant
sur des vers de Corneille, Lully rencontre son alter-ego théâtral,
Philippe Quinault. Après deux collaborations dans le style ancien,
les deux hommes tentent de créer une forme nouvelle obéissant
aux différents désirs du roi : une tragédie en 5
actes, suivant la forme théâtrale française, et un
prologue allégorique célébrant le roi, mêlée
de ballet et usant de nombreuses machines. Cadmus et Hermione est un succès
sans précédent car il répond à tout les goûts
de l'époque, tout en flattant " l'anti-italianisme "
latent du public français. En effet, bien qu'inspiré de
l'opéra vénitien (Nourrice travestie, personnages allégoriques,
intrigues secondaires très importantes), cette première
tragédie lyrique bannit complètement l'air Da Capo, use
d'une orchestration très riche et d'une harmonie très complexe
et utilise avant tout la déclamation et les arioso très
courts au lieu de la virtuosité vocale italienne.
Entre 1673, date de la création de Cadmus et Hermione et 1686,
création d' Armide, Lully et Quinault vont collaborer pour neuf
autres ouvrages : Alceste (1674), Thésée (1675), Atys (1676),
Isis (1677), Proserpine (1680), Persée (1682), Phaéton (1683),
Amadis (1684), Roland (1686). Ces onze collaborations vont permettre d'affiner
le style, d'approfondir la forme de cette tragédie lyrique encore
jeune. On observe une véritable évolution en étudiant
les toutes premières tragédies, dont les intrigues sont
encore bien chargées, les transitions entre divertissement et tragédie
maladroites, et les trois dernières oeuvres qui forment un tout
miraculeusement équilibré et dont le dépouillement
dramatique sert à tout moment le discours musical.
Armide en tant qu'ultime chef d'uvre est sûrement le plus
équilibré et abouti des opéras de Lully et Quinault,
et le choix du sujet n'est pas étranger à cette perfection.
Contrairement aux autres livrets de Quinault, toute l'action tourne autour
d'un seul et unique couple : Armide et Renault, ce qui permet un approfondissement
sans précédent des sentiments des deux personnages. Que
ce soit dans Cadmus et Hermione (Couple comique Nourrice-Arbace), dans
Thésée (Médée et le Roi s'opposant au bonheur
de Thésée et d'Aeglée, sans parler du trio Cléone-Arcas-Dorine),
dans Atys (Cybéle et Célénus, amants éconduits
par Atys et Sangaride) ou encore dans Phaéton (sûrement le
livret de Quinault le plus compliqué pour ce qui est des sentiments),
les premiers opéras de Lully souffrent d'une trop grande profusion
d'intrigues annexes. Ce n'est pas le cas d'Armide : le drame ne concerne
qu'un seul couple et les personnages annexes sont très discrets
et servent toujours le drame sans l'encombrer. Ce dépouillement,
que l'on constate dès le prologue, permet vraiment aux auteurs
d'appliquer toutes les règles de leur nouveau style : rhétorique
musicale, description des sentiments, déclamation, alternance récit-arisos,
divertissements intégrés à la tragédie.
*
Prologue :
L'opéra commence
par une ouverture " à la française " : Grave et
pointée-Vif et fuguée-Grave et pointée. Assez courte,
elle exprime parfaitement l'aspect guerrier de l'opéra qu'elle
introduit, car, il ne faut pas l'oublier, Armide est avant tout un opéra
guerrier, autant dans son contexte " historique ", la prise
de Jérusalem, que dans la lutte des sentiments. Le prologue ne
fait intervenir que deux personnages allégoriques : la Gloire et
la Sagesse. Cette économie de rôles étonne une fois
de plus ; si l'on se penche sur les autres prologues de Lully-Quinault,
ce n'est le cas qu'une seule fois, dans Phaëton (Cadmus et Hermione,
6 personnages ; Alceste, 4 personnages ; Thésée, 7 personnages
; Atys, 5 personnages ; Isis, 12 personnages ; Proserpine, 5 personnages
; Persée, 6 personnages, Amadis et Roland, 3 personnages ). En
fait les quatre dernières tragédies lyriques de Lully comportent
un prologue considérablement allégé et retrouvant
son but premier : célébrer le roi. Le prologue d'Armide
est dans ce domaine une vraie démonstration rhétorique,
suivant point par point le plan décrit par Cicéron dans
De Oratore (Livre I, chap. XIV) : Exordium (introduction), Narratio (mettre
en évidence un fait), Partitio (problématique), Confirmatio
(thèse), Repreentio (antithèse), Conclusio (conclusion).
Le discours des deux
figures allégoriques, relayé par le chur, se découpe
ainsi :
*Exordium : "
Tout doit céder dans l'univers, A l'auguste héros que j'aime
"
*Naratio : "
Rien n'arrête l'ardeur de sa valeur extrême. (
)
Il est maître absolu de cent peuples divers, Et plus maître
encore de lui-même . "
*Partitio : "
Chantons la douceur de ses lois (
) ses glorieux exploits. "
*Confirmatio : "
Disputons seulement à qui sait mieux l'aimer. "
*Repreentio : "
Suivons notre héros ; que rien ne nous sépare "
*Conclusio : "
C'est à lui qu'il est réservé d'unir la Sagesse et
la Gloire ".
Grâce à
cette construction parfaite le duo Lully-Quinault sert à merveille
les deux principaux buts du prologue " à la française
" : il flatte, à la manière antique, Louis XIV et il
présente la figure allégorique du roi dans la tragédie
: le fier et sage Renaud.
Ce traitement rhétorique du discours musical est une constante
dans le style baroque mais il est particulièrement poussé
dans Armide, et pas seulement dans le prologue : toutes les grandes scènes
et en particulier les deux grands récits d'Armide à la fin
de l'acte I et de l'acte V sont de véritables bijoux de rhétorique
musicale.
*
Acte I :
Le théâtre
représente une grande place ornée d'un arc de triomphe ;
la tragédie commence par une courte ritournelle fuguée dans
un style galant. Elle introduit le discours des deux suivantes d'Armide,
Sidonie et Phénice, qui s'étonnent de l'air sombre de leur
maîtresse dans ce moment de victoire contre le camp de Godefroy.
Suivant la tradition de la tragédie, l'histoire commence alors
que l'action est déjà passée : Armide vient de mettre
aux fers les chevaliers chrétiens grâce à ses charmes,
et c'est cette victoire incomplète, puisqu'elle n'a pas triomphé
de Renaud, qui va entraîner la chute de l'héroïne. Le
ton des suivantes rompt avec le discours noble et élaboré
des deux personnages allégoriques du prologue ; tout n'est ici
que badinage et flatterie. Les personnages de suivantes sont une constante
dans les livrets de Quinault (Dorine et Cléone dans Thésée,
Doris et Mélisse dans Atys, Charite et Aglante dans Cadmus et Hermione)
elles permettent de mettre en valeur la noblesse des personnages féminins
principaux. Là encore le ton galant des deux suivantes marque une
forte rupture avec les grands récits d'Armide, dramatiques et harmoniquement
plus complexes ; Lully réussit ainsi à installer son personnage
en quelques mesures. La scène se termine par un grand récit
accompagné, introduit par une ritournelle très dramatique
: Armide décrit un songe où elle a vu Renaud vainqueur de
tous ses charmes. Les deux suivantes tentent une fois de plus de rassurer
leur maîtresse.
Introduit par une ritournelle pointée, Hidraot, oncle d'Armide
et roi de Damas, rentre en scène. Dans un premier récit,
d'un style très noble, le vieux roi félicite sa nièce
pour sa victoire et la conjure de prendre un époux. La magicienne
répond par un arioso plein de dédain contre l'hymen (Sentiments
marqués par la vocalise sur le mot " Chaîne ").
S'en suit une série d'arioso en dialogue entre le roi et Armide
; les mots du roi sont accompagnés par deux dessus de violon soliste,
ce qui donne à son discours un ton badin qui contraste avec les
réponses de la fière Armide. Celle-ci met fin à la
confrontation en déclarant " Le vainqueur de Renaud, si quelqu'un
le peut être, Sera digne de moi ". Une fois plus Armide associe
le personnage de Renaud à son propre bonheur.
Une marche introduit le peuple de Damas, venu pour chanter les charmes
et la gloire d'Armide dans un long divertissement, chanté et dansé.
Cette scène est interrompue par l'arrivée d'Aronte, chevalier
chrétien ayant trahi son camp pour Armide ; dans un récit
très expressif et haletant, il annonce que Renaud, à lui
seul, a délivré tous les chevaliers mis dans les fers par
la magicienne. L'acte se clôt par un Duo Armide-Hidraot très
pointé, dans un style très guerrier et repris par le chur
; les sarrasins jure la perte de Renaud.
*
Acte II :
Le théâtre
représente une île agréable ; Artémidore, compagnon
de Renaud, l'exhorte à rejoindre le camp des Chrétiens et
le met en garde contre les " charmes dangereux " d'Armide. Renaud
rejette l'idée de revenir parmi les chrétiens : Godefroy
l'a banni après qu'il ait tué en duel " le fier Gernand
" et il ne craint pas les pouvoirs de la magicienne. Là encore
les auteurs en une scène nous présentent le personnage fougueux,
fier, courageux mais insouciant de Renaud. Ils nous présentent
presque le chevalier comme un jeune héros fade et inconséquent,
ce qui rendra Armide encore plus attachante au spectateur.
La deuxième scène est introduite par un prélude très
dramatique ; Hidraot et Armide expriment leur désir de vengeance
dans un court récit avant d'invoquer les esprits dans un duo guerrier.
Sur un texte d'une grande force dramatique (" Esprits de haine et
de rage, démons, obéissez-nous. Livrez à notre courroux
l'ennemi qui nous outrage ") Lully propose une musique très
expressive : les voix haineuses des deux sarrasins appellent avec colère
tout l'enfer à leur aide. Cette scène ce termine par un
court récit d'Armide qui demande à son oncle le privilège
de tuer seule Renaud ; là encore les vers apparemment vengeurs
de la magicienne, sont remplis d'admiration pour sa future victime : "
Cette victime est mon partage : Laissez-moi l'immoler, laissez-moi l'avantage
de voir ce cur superbe expirer de mes coups. "
A la minéralité vengeresse du duo de la scène 2 répond
la liquidité languissante du prélude et de l'air de Renaud.
Le chevalier se trouve dans un décor bucolique et il est saisi
par le sommeil. D'un dépouillement extrême, l'accompagnement
à deux parties de dessus et basse continue exprime les doux chants
des ruisseaux et du vent qui endorment le héros. La mélodie
héroïque et aigue dans une première partie d'air devient
peu à peu plus médium et plus calme, suivant l'endormissement
de Renaud.
Suit un doux divertissement bucolique peuplé de naïades, de
nymphes, de bergers et de bergères, qui ne sont, en fait, que des
démons travestis pour charmer le chevalier. Ils vantent dans son
sommeil l'amour et les plaisirs.
L'acte se termine sur ce qui est, sans doute, le plus beau récit
dans le style français jamais écrit. Armide apparaît
devant Renaud endormi armé d'un poignard ; cette image est introduite
par un prélude terrifiant et guerrier qui se confond avec la première
et terrible phrase de la magicienne " Enfin, il est en ma puissance
". Mais dès les vers suivant on retrouve dans le discours
vengeur d'Armide une admiration pour sa victime : " superbe vainqueur
", " invincible cur ". Au moment de frapper elle
hésite trois fois puis tombe vaincue par l'amour. De rage et de
dépit elle décide de rendre Renaud amoureux grâce
à ses charmes et d'entraîner son amour coupable loin du monde.
L'acte se termine par une dernière invocation de la magicienne
: elle en appelle aux démons pour l'entraîner " au bout
de l'univers " avec son amant. Ce grand récit, une fois de
plus, est un plan rhétorique parfait mais en plus il dépeint
magnifiquement les différents sentiments d'Armide face à
Renaud : la rage, la vengeance, la pitié, l'amour et le dépit.
*Acte
III :
Le théâtre
change et représente un désert. Armide seule, après
un court prélude à la fois tendre et mélancolique,
se plaint des sentiments qu'elle éprouve pour Renaud. : "
Se peut-il que Renaud tienne Armide asservie ? ". La deuxième
scène réintroduit les deux suivantes d'Armide, qui, comme
à l'acte I, tentent d'apaiser leur maîtresse, toujours dans
le même style galant. Elles encouragent la magicienne à charmer
Renaud pour qu'il tombe amoureux d'elle ou bien d'invoquer la Haine pour
qu'elle la libère de son amour. Cette scène semble redondante
avec la première de la tragédie, mais elle permet au librettiste
deux choses : présenter à travers Sidonie le personnage
allégorique de la Haine qui va animer tout cet acte, mais surtout
de donner le vers clef de toute la tragédie, vers dit dans un long
récit souffrant par Armide : " Hélas que son amour
est différent du mien ! ". Cette scène exprime tout
le nud du drame : la différence entre l'amour réel
qu'éprouve Armide pour Renaud et l'amour inspiré par la
magie qu'éprouve le chevalier pour la magicienne. Tout le drame
va reposer sur ce déséquilibre, en particulier le cinquième
acte.
Dans la scène suivante Armide invoque la Haine dans un air quasi
hystérique, avec une très grande étendue vocale (chose
très rare dans la musique baroque française). Contrairement
aux autres préludes d'invocation de l'opéra, cet air est
introduit par une ritournelle quasi guerrière qui augmente le caractère
de transe du chant qu'il précède.
La Haine arrive avec sa suite pendant un prélude très proche
de celui qui introduisait Armide et Hidraot dans le second acte, très
dramatique et théâtral. Lully a confié le rôle
de la Haine à une taille (baryton aigu) ce qui rend son apparition
encore plus impressionnante : dans un court récit, le personnage
allégorique assure Armide de son aide et entame une invocation
contre l'Amour dans un rythme endiablé, presque joyeux, invocation
reprise par sa suite (un chur d'homme). La Haine invite ses sbires
à rompre les nuds, déchirer le bandeau, brûler
les traits et éteindre le flambeau de l'amour dans une accumulation
très évocatrice. Après cette " messe noire ",
la Haine s'approche d'Armide pour arracher l'amour du cur de la
magicienne, mais celle-ci dans un récit déchirant se soustrait
à la cérémonie : " Laisse-moi sous les lois
d'un si charmant vainqueur, Laisse-moi, je renonce à ton secours
horrible. Non, non, n'achève pas, non, il n'est pas possible, De
m'ôter mon amour sans m'arracher le cur. ". Furieuse,
la Haine prend congé, non sans avoir prédit à Armide
que : " Malgré tes soins, au mépris de tes larmes,
Tu le verras échapper à tes charmes. "
Cet acte ne fait pas partie du mythe du Tasse, c'est une invention de
Quinault. Cet ajout permet à Lully de composer une de ses plus
saisissantes scènes infernales, mais surtout il place Armide dans
la situation qui entraînera sa perte : elle est consciente du déséquilibre
qui existe entre son amour et celui de Renaud et en refusant l'aide de
la haine elle accepte cette fatalité.
*Acte
IV :
Cet acte est sans
aucun doute le plus faible de l'ouvrage dramatiquement, il n'est qu'une
suite de scènes magiques qui devaient permettre l'utilisation de
nombreuses machines et démontrer l'art chorégraphique de
Lully dans des scène infernales ou pastorales. Ubalde et le chevalier
danois arrive près du palais d'Armide au milieu du désert
pour libérer Renaud. Ils sont armés d'un bouclier de diamant
et d'un spectre d'or pour dissiper les enchantements de la magicienne.
Une vapeur s'élève et se répand dans le désert,
des antres et des abîmes s'ouvrent et il en sort des bêtes
farouches et des monstres. Les deux chevalier chasse les apparitions grâce
au sceptre, la vapeur se dissipe ; le désert disparaît, et
se change en une campagne agréable, bordée d'arbres chargés
de fruits et arrosée de ruisseaux. Tour à tour les deux
chevaliers vont voir apparaître leurs amantes Lucinde et Mélisse
et tour à tour il vont échapper à ces apparitions
grâce au sceptre d'or. L'acte se clôt par un duo guerrier
: " Fuyons les douceurs dangereuses des illusions amoureuses : On
s'égare quand on les suit ; Heureux qui n'en est pas séduit
! ".
Cet acte n'a pour but qu'un divertissement de grande qualité mais
aussi d'expliquer la réaction futur de Renaud face à l'amour
d'Armide.
*Acte
V :
Le théâtre
change, et représente le palais enchanté d'Armide. Le dernier
acte s'ouvre sur un long duo entre Armide et Renaud, introduit par une
ritournelle douce et languide ressemblant étrangement au prélude
de l'air de Renaud au deuxième acte. Renaud apparaît comme
hypnotisé par la magicienne : il répète deux fois
les vers " Armide vous m'allez quitter ! " sans écouter
les explications de son amante. On sent par contre dans le discours d'Armide
l'inquiétude face à un amour trop parfait. Ce duo d'amour
d'une grande beauté est le pendant du duo de séparation
qui va suivre où Renaud apparaîtra fier et plein de pitié
pour la magicienne suppliante à ses pieds. Après avoir échangé
une fois plus des promesses d'amour éternel, Armide laisse son
amant pour aller invoquer l'enfer qui le tient dans ses chaînes.
Elle commande aux démons un divertissement pour occuper Renaud.
Commence alors l'un des plus beaux divertissements de la tragédie
lyrique : la grand Passacaille d'Armide. Sur une basse obstinée,
Lully va développer tout son art de l'harmonie et de la variation,
avec une ornementation qui annonce le ballet XVIIIe. Un amant fortuné
chante à Renaud les plaisir de l'amour accompagné par le
chur.
Renaud chasse la troupe des plaisir : " Allez, éloignez-vous
de moi, Doux plaisirs, attendez qu'Armide vous ramène. ".
Un prélude doux et rêveur annonce l'arrivé de Ubalde
et du Chevalier Danois. Ils profitent de l'absence d'Armide pour éblouir
Renaud avec le bouclier de diamant, ce qui lui ouvre les yeux. Il rejette
les " vains ornement d'une indigne mollesse " et s'apprête
à rejoindre le camp des chrétiens quand Armide arrive et
le supplie de l'emmener au combat avec lui : la magicienne est prête
à trahir les siens pour garder son amant. Renaud dans un récit
plein de pitié repousse cette idée mais annonce à
Armide que " Vous serez après la Gloire Ce que j'aimerais
le mieux ". Dans un long récit plein de rage et de douleur
la magicienne reproche à Renaud de n'avoir jamais ressenti le moindre
amour pour elle ; elle prédit sa mort prochaine et le menace de
venir le hanter car , même morte, elle ne pourra se détacher
de lui. Elle tombe inanimée et Renaud fuit, entraîné
par ses deux compagnons, tout en plaignant le sort d'Armide. L'opéra
se termine par un grand récit de la magicienne, pendant de la fin
de l'acte II. Là encore les auteurs expriment toute la douleur
et la rage, mais aussi l'amour de l'héroïne, qui détruit
son palais et part sur un char volant.
*
Pour écouter l'uvre :
Armide : Guillemette
Laurens
Renaud : Howard Crook
Hidraot/ Ubalde : Bernard Deletré
La Haine/Artemidore : John Hancock
Le chevalier danois/Un amant fortuné : Gilles Ragon
Sidonie/La Sagesse/Lucinde/Une Naïade : Noémi Rime
Phénice/La Gloire/Mélisse/Un bergère héroïque
: Véronique Gens
Collegium Vocale/La Chapelle Royale
Direction : Philippe Herreweghe
2 CD Harmonia Mundi
Un seul enregistrement intégral est encore disponible à
la vente (et la disparition de la première intégrale d'Herreweghe
n'est une perte que pour la brûlante Armide de Rachel Yakar). Tout
est rassemblé ici pour une grande version de n'importe quel opéra
de Lully : Un grand chef baroque, ce que l'on fait de mieux en orchestre
et ensemble vocal et surtout continuistes pour cette musique et des solistes
tous nourris à ce style, tout frais sortis du giron de Bill Christie.
Alors pourquoi ce disque est décevant ? Deux raisons principales
: La direction trop sage et flamande d'Herreweghe et pas assez de différenciation
dans les rôles : 9 rôles de soprano et seulement trois interprètes,
je veux bien que l'on fasse des économies mais là, le drame
en souffre vraiment. Le chef gentois dirige Lully comme du Bach, c'est
propre, précis, respectueux du mot mais
insipide !
C'est vraiment dommage pour le continuo magnifique d'Yvon Repérant
et Emmanuelle Haïm, la fascinante Armide de Guillemette Laurens (on
pourra trouver voix plus " politiquement correcte " techniquement,
mais jamais une diction si acérée et un tel sens de la tragédie),
le très héroïque Renaud d'Howard Crook, et tout les
seconds plans absolument parfaits.
En définitive, une belle réalisation pour découvrir
l'uvre, mais qui ne donne pas un instant le frisson. Vivement la
grande classe d'un Christie ou la fougue d'un Minkowski pour arranger
ça !
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