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5 questions à Measha Brueggergosman

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Interview
6 août 2008

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La canadienne Measha Brueggergosman , élève de Mary Morrison à Toronto et d’Edith Wiens à Dusseldorf, commença en fanfare sa jeune carrière en remportant en 2002 le premier prix du concours de chant de Montréal, après avoir raté de peu, derrière une certaine Marie-Nicole Lemieux, celui des Jeunesses Musicales du Canada. Beau timbre, voix puissante, tempérament de feu, rien dès lors ne s’opposait à une ascension irrésistible, rapide… et périlleuse.

A 20 ans tout juste, Measha Brueggergosman endosse son premier rôle fétiche, incarnant une jeune esclave poussée à la révolte dans Beatrice Chancy de James Rolfe,. Elle participe également aux Turandot, Elektra, Dead man walking (Jake Heggie) montés à Cincinnati. Mais on la rencontre désormais essentiellement au concert, partout… sauf en France, où ses disques , aux programmes s’évadant pourtant des sentiers battus des débutantes, sont hélas fort mal distribués (*). Le lied a sa prédilection, comme école idéale du théâtre, et révèle des qualités vocales réelles, notamment de projection, de diction. Mais aussi et surtout un charisme hors du commun.  Forumopera.com la retrouve en 2008 à Verbier, métamorphosée. Celle qu’un journaliste peu élégant qualifiait en 2005 de « bonne grosse fille joufflue et espiègle » est devenue une jeune femme non seulement ravissante, mais réfléchie, à la sérénité communicative (voir notre chronique du concert du 31 juillet). Rencontre…

Vous êtes invitée cet été à Verbier, on vous a entendue, hors Canada et Etats-Unis, dans bien des endroits en Europe, Espagne, Angleterre, Belgique… Mais en France, sauf erreur, nous ne relevons qu’un concert à Paris avec les Quatre derniers Lieder de Strauss. Pourquoi ? Organisateurs sans idées ou volonté délibérée de votre part ?

Non, c’est seulement que je trouve que l’erreur à ne pas commettre est de rater sa première prestation dans un pays. En France il se passe beaucoup de choses, il y a tant d’artistes de valeur, il ne faut pas arriver comme cela, sans réfléchir. J’ai beaucoup d’amour pour la France, pour le pays. Honfleur, Etretat, que c’est beau ! Mais j’ai aussi de la déférence pour le public que je sais cultivé et exigeant. Je ne peux donc proposer que des choses qui sont le prolongement de moi-même pour respecter cela. A l’automne, je ferai un concert à Paris avec l’Ensemble Intercontemporain et ce concert est vraiment le résultat d’un choix de ma part, d’une stratégie mûrement réfléchie de débuter dans ce pays-là avec ce visage-là : avec plus précisément une pièce très théâtrale et dramatique de Berio, Recital for Cathy, qui je pense me correspond bien. C’est aussi une forme d’hommage à travers l’EIC à ce grand musicien et visionnaire qu’est Boulez. Et puis je pense qu’il y a un bon moment, une bonne heure pour chaque projet. Je vais faire un show case avec Universal à Paris bientôt, comme présentation au marché français, et puis avec l’EIC il y aura une soirée un peu plus « close », proche des gens, où on pourra parler ensemble. C’est comme ça que je veux me présenter en France.

Mais votre éclectisme, vos allers-retours entre gospel, jazz, musique contemporaine, répertoire romantique, songs américaines, pensez-vous que c’est un frein ou au contraire l’élément moteur essentiel de votre carrière ?

Stop, le gospel et le jazz, c’est un secret ! (rires…) c’est juste en club, comme çà (NDLR : Measha a fait une prestation remarquée à Verbier au Casbah aux côtés de Gabriel Kahane). Pour moi, c’est un rêve, cette variété de répertoire me plaît, passer comme récemment dans la même soirée de Berg à Mozart. Je veux seulement pouvoir me dire à la fin de la journée : bon travail ! Vous savez, c’est comme quand vous changez constamment de salle de concert, vous vous adaptez à l’acoustique, quand vous changez de répertoire, vous changez les couleurs, le style. Mais la technique, elle, ne change pas, si vous avez de bonnes fondations, pas de problème; la versatilité n’est pas un défaut, c’est une philosophie de vie.

Depuis vos débuts, vous vous êtes métamorphosée physiquement. Stratégie de carrière aussi ?

Non, c’est bien sûr plus que cela. Très tôt, je me suis fixé des objectifs de vie : être en paix avec mes proches, avec moi-même, être en bonne santé, être en confiance avec mon équipe de management, signer avec un bon label, maîtriser mes émotions, mon business… Ce n’était pas pour régler des problèmes personnels, je ne me détestais pas, mais il y a de lourds héritages dans ma famille côté santé, diabète, problèmes cardiaques, et je me suis dit que si je prenais pas en main certains problèmes très vite, je ne réaliserais pas ces objectifs-là. Cela va beaucoup plus loin que la carrière ! Mais en même temps ce que vous dîtes est vrai : cette volonté de maîtrise, le fait d’être bien dans ma tête, se ressent aussi dans mon travail, je contrôle par exemple mieux la puissance de ma voix qu’à mes débuts. Et en concert également cela me sert : quand vous êtes sur scène vous êtes ce que les américains appellent un « leader », et si vous êtes en accord avec votre propre personne, ce « leadership » est encore mieux perçu, et vous emmenez le public avec vous. Et puis c’est aussi une question d’âge. La pratique du yoga m’aide, je suis d’ailleurs des cours pour l’enseigner moi-même à partir de 2010. Mon job est une exposition de l’âme, en permanence. Et je veux exprimer une âme gentille, sereine. C’est quasiment spirituel mais c’est normal, mon père est pasteur… A l’Eglise, vous cherchez à être vrai. C’est épuisant à longueur de temps, mais vous essayez. Je veux être vraie dans mon job.

Cette générosité, cette nouvelle assurance, et votre tempérament, devraient vous conduire tout naturellement sur la scène lyrique. Quels sont vos projets dans ce domaine?

Toutes ces qualités que vous me reconnaissez gentiment sont précieuses aussi en musique de chambre, et parce qu’on est dans le domaine de l’intimité, de la proximité, je peux parler au public, partager une expérience intime du début à la fin d’une phrase, plus que s’il y a un personnage entre eux et moi comme dans l’opéra. Ceci dit, j’ai chanté récemment à Toronto le rôle d’Elettra dans Idomeneo, c’était une expérience formidable parce que le personnage est un cadeau à jouer. J’ai pensé alors que je pourrais vraiment travailler pour des personnages aussi riches, Jenufa, Maria dans Wozzeck, qui ont autant de sentiments simultanés, de contradictions. Ce sont ces femmes qui me tentent, il y a un deal avec ces rôles… Ou encore Madame Lidoine ! Cela viendra à son heure. Quand je regarde en arrière, les rencontres avec des compositeurs, des musiciens, je me rends compte que le meilleur de ce que j’ai fait c’est quand cela n’était pas forcé, mais que c’était juste le moment de l’accomplir. Il y a tant à faire, récital, musique de chambre, opéra, mon seul problème est que la vie sera trop courte pour tout expérimenter.

D’où tirez-vous la sérénité que vous semblez éprouver sur scène ?

En fait, je n’ai réalisé vraiment que récemment la puissance de la voix humaine, qu’elle pouvait être capable de charmer mais bien plus que cela, de donner aux gens une forme de sérénité, d’assurance, comme si je leur disais qu’ils peuvent me faire confiance, que je suis là, au début, mais aussi à la fin, et que je ne les lâcherai pas en route. J’adore mon métier, même si c’est une pression, un travail, des angoisses constantes, mais quand je suis en scène, My God, je suis prête, je donne ! (rires…)

Propos recueillis à Verbier par Sophie Roughol

(*) La situation devrait néanmoins s’arranger. Surprise, son dernier enregistrement, sera commercialisé en France le 6 octobre. Measha Brueggergosman donnera un premier récital à Paris le 20 octobre 2008 au Théâtre de l’Atelier (programme du disque – Satie, Debussy, Schönberg, Bolcom – avec Justus Zeyen au piano) et elle interprétera Recital for Cathy de Luciano Berio le 28 novembre 2008 à La Cité de la Musique avec l’Ensemble Intercontemporain sous la direction de David Robertson.
Pour en savoir plus : www.measha.com.

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